A Contretemps, Bulletin bibliographique
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À contretemps, n° 18, octobre 2004
Article mis en ligne le 28 septembre 2005
dernière modification le 17 novembre 2014

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AGONE
n° 31-32, 2004, 324 pages

La dernière livraison de la revue-livre Agone, consacrée à cet « exemple américain » tant vanté par les idéologues d’un moderne « radicalisme libéral » si cher au vieux Hayek, nous invite à une réflexion en profondeur sur l’état de la société états-unienne. Pour ce faire, elle a choisi de privilégier les points de vue d’analystes et de témoins américains, comme Howard Zinn, Nat Hentoff, Matthew Rothschild, William Greider, Andrew Kopkind, Thomas Frank, Gina Neff, Jamie Kalven, Daniel Raeburn, Sheldon Rampton et John Stauber. Leurs contributions, auxquelles s’ajoutent celles de Serge Halimi, Marianne Debouzy et Loïc Wacquant, évitent, pour la plupart, de céder aux illusions alter-capitalistes d’une « gauche de gauche » assez largement « mike-moorisée ». Hormis ce dossier américain, ce numéro d’Agone publie un essai de Max Weber – inédit en français : « Les fondements économiques de l’ “impérialisme” ». Quant à la toujours intéressante rubrique « Histoire radicale », elle est cette fois-ci consacrée à la belle figure de Marcel Martinet – sur laquelle nous reviendrons longuement dans un prochain numéro –, dont Charles Jacquier exhume trois remarquables textes : « Civilisation française en Indochine » (1933), « Lettre ouverte à Romain Rolland » (1935) et « Qu’avez-vous fait de la révolution d’Octobre ? » (1936). Par ailleurs, last but not least, ce numéro d’Agone reprend, avec mention d’origine et remerciements d’usage, le texte de Claudio Albertani, « Empire et ses pièges. Toni Negri et la déconcertante trajectoire de l’opéraïsme italien », initialement publié dans le n° 13 (septembre 2003) de notre bulletin.

NI PATRIE NI FRONTIÈRES
n° 8-9, mai 2004, 272 pages

Consacré pour l’essentiel à l’attitude des marxistes et des anarchistes face à la « question juive », ce copieux numéro de Ni patrie ni frontières confirme, sur un sujet qui lui tient à cœur, la démarche très originale de ce bulletin de traductions et de débats. Pour l’occasion, il offre au lecteur, à condition qu’il dépose au vestiaire « bonne conscience et arrogance radicales », une impressionnante quantité de « matériaux de réflexion variés » choisis « non parce qu’ils apporteraient la Vérité, mais parce qu’ils contiennent un certains nombre d’informations historiques et théoriques indispensables pour entamer un débat sérieux ». Alimentant les quatre grands chapitres de ce numéro (« Israël et la Palestine aujourd’hui », « Les marxistes face à la “question juive” et au sionisme », « Les anarchistes face à l’antisémitisme et au sionisme » et « Antisémitisme, judéophobie, négationnisme, antisionisme : convergences possibles et différences fondamentales »), les denses et riches contributions retenues ici prouvent, en tout cas, chacune dans leur domaine, une authentique volonté de ne céder ni au déni, ni à l’angélisme, ni au lieu commun. Notons, enfin, qu’en introduction au chapitre consacré aux anarchistes face à la « question juive », Yves Coleman pointe une particulière aptitude chez les auteurs libertaires publiés dans ce numéro à « sortir les cadavres de leurs placards » et à « mettre à nu les tares » de leur mouvement. « Même s’ils n’ont pas de réponse magique ni à la question du sionisme ni à celle de l’antisémitisme dans leurs propres rangs, au moins ont-ils le courage d’affronter le problème », ajoute-t-il. Le compliment (car c’en est un, à nos yeux) valait d’être signalé. Ajoutons-y, pour ce qui nous concerne, la satisfaction de voir reproduites en langue française les contributions de Mina Graur, de Rudolf de Jong et de Sylvain Boulouque, parues originellement en italien dans l’excellent L’anarchico e l’ebreo, storia de un incontro (Elèuthera, Milan, 2001). Une raison supplémentaire, mais il y en a beaucoup, de consacrer toute l’attention qu’il mérite à ce numéro de Ni patrie ni frontières.

OISEAU-TEMPÊTE
n° 11, été 2004, 64 pages

« Le voile et la loi, la laïcité, la République, l’école, etc. Sur les différents théâtres de ces débats “citoyens”, dans la presse, dans la rue, lors de manifestations de profs, ont retenti maints fervents appels aux mânes de Jules Ferry (1832-1893), véritable ombre tutélaire de la République » (Hélène Fleury). Comme si, en se ressourçant à cette laïcité française, cette loi sur l’interdiction du voile à l’école avait, de fait, atteint son but, celui de rééditer le même consensus citoyen qui envoya Chirac à l’Élysée avec pour mission de sauver une République en danger. On retiendra, d’abord, de ce onzième numéro d’Oiseau-tempête, revue de critique sociale, trois textes évoquant le même sujet sous des angles différents. Hélène Fleury – « Ah ! Passez, Républiques de ce monde !... » – se livre, dans le premier des trois, « à un petit exercice de mémoire historique » fort utile sur cette laïcité républicaine, dont l’idée poussa « sur les ruines encore fumantes de la Commune ». « La vieille lune de la laïcité, écrit Hélène Fleury, peut [encore] faire l’affaire et remplir sa mission idéologique historique : confisquer la question sociale et masquer la lutte de classe ». Pour Charles Reeve – « De l’exploitation du voile au voile de l’exploitation » –, la « question du voile », « sous-produit de la fin de l’intégration de l’exploitation », doit nécessairement être liée, pour être comprise, à « la phase moderne d’un capitalisme en crise » générant « une surpopulation prolétaire, placée hors du processus productif » et se devant, pour tenir, d’instiller la peur et la stigmatisation permanente. Un troisième texte – « Regards sur la servitude contemporaine et son devenir » –, cosigné Alfredo Fernandes et Barthélémy Schwartz, s’interroge, dans une perspective plus large, sur le recul d’une pensée critique « qui se retrouve à livrer combat sur un champ de bataille qui lui est imposé par l’ennemi : le Capital, l’État, la Religion ». Par ailleurs, on trouvera, dans ce numéro, comme autant d’illustrations de ce qui précède, des analyses sur la situation en Allemagne (Marc Geoffroy), aux États-Unis (Harry Black) et au Québec (Titus d’enfer). À signaler, également, un fort intéressant entretien avec Lucia Bruno – joliment titré « L’espace rétréci des vendeurs d’illusions » – sur la situation au Brésil. Si l’on y ajoute un texte critique de C. Reeve – « Ultra-gauche en salade » – revenant sur une actualité éditoriale récente et une nouvelle incursion de Ngô Van en territoire d’utopie libertaire antique et de guerre des paysans en Chine, on aura compris que cette dernière livraison d’Oiseau-tempête vaut le détour.

PLEIN CHANT
n° 77, printemps-été 2004

Il est des poètes qui passent à côté de leur temps parce qu’ils sont d’abord du leur, et que celui-ci n’est jamais calendaire, mais intérieur. Artaud fut de ceux-là, sans doute, contre toute école et jusqu’à la folie. Ilarie Voronca (1903-1946) aussi, à sa manière, moins vociférante, mais tout aussi nette. De ses engagements poétiques de jeunesse – expressionnisme, dadaïsme, surréalisme –, il ne garda que « la flamme d’un espoir indompté ». De sa Roumanie natale, que les nuages. De ses amis, que l’idée d’une absence. De son existence, que l’expérience poétique. Dire qu’il chercha le bonheur, c’est peu dire, mais il le chercha à sa façon, sans reniement, et plus préoccupé de le quêter que de l’atteindre. Fidèle en tout cas, et pour toujours, à l’idée fraternelle qu’il s’en fit. Son affabilité fut légendaire. À tel point qu’on le crut « optimiste », ce qu’il fut aussi, car il fut tout et rien de définissable, ce Voronca hors norme, hors patrie, hors coterie, rien d’autre que ce Juif errant qui demeurera « l’exilé, l’apatride et le prisonnier » définitifs d’une « vie courante » sur laquelle, de lui-même, il décida de s’échouer, tout juste après avoir achevé son dernier manuscrit : Petit manuel du parfait bonheur. Il faut remercier Edmond Thomas, directeur de Plein Chant, « revue erratique de littérature imprimée », d’avoir confié à Jean Pierre Begot le soin de tirer Voronca de l’oubli où il était tombé. À lire ce superbe numéro, on est convaincu qu’il ne pouvait trouver meilleur passeur.

QUESTION SOCIALE (La)
n° 1, printemps-été 2004, 176 pages

Il nous plaît de signaler ici la parution d’une nouvelle publication, la Question sociale, « revue libertaire de réflexion et de combat ». Apparentée, par la forme et par l’esprit, à la presque trentenaire et toujours vaillante revue italienne Collegamenti-Wobbly – même rigueur de présentation, même refus du sectarisme idéologique –, La Question sociale s’en rapproche également par la démarche. « Articuler la réflexion théorique à un regard critique sur les luttes d’aujourd’hui, leurs potentialités et leurs limites, en prenant au sérieux les questions qu’elles posent », lit-on en ouverture de ce premier numéro. Et, en effet, la thématique qu’il choisit de développer – « Droit (et pratiques) de grève » –, l’attention particulière qu’il porte aux conflits sociaux et l’analyse lucide qu’il tire des plus récentes luttes développées au sein d’un salariat de plus en plus précarisé définissent, à l’évidence, l’originalité et l’ambition de ce projet éditorial. Ainsi, Nicole Thé – « Retour sur une longue saison de luttes » – et G. Soriano – « L’expérience des collectifs de solidarité parisiens » – reviennent en détail sur les conflits sociaux de grande ou de moindre ampleur qui ont récemment agité la France, pour en déceler tout aussi bien les faiblesses que les promesses. Dans la même perspective, « Droit de grève : tour d’horizon international » fait le point sur les législations en vigueur en France (G. Soriano), en Espagne (Corsino Vela), en Suisse (Ariane Miéville), aux États-Unis (Oso Bear) et au Brésil (Mauricio Sarda de Faria), en s’attachant à montrer « comment la loi reflète l’histoire de la lutte de classe, comment les capitalistes tentent de lui faire servir leur intérêt et comment le monde du travail apprend à réagir à l’intérieur de contraintes législatives spécifiques ». Car le principal enseignement qu’on tire de la lecture de ce riche dossier, c’est sans doute qu’aucun encadrement, même sévère, du droit de se défendre et de revendiquer n’empêchera jamais une grève « sauvage » d’éclater, comme le prouvent abondamment quelques exemples récents et l’histoire sociale en général. D’histoire, il en est aussi question dans ce numéro. « Pour nous aider à retrouver, est-il précisé, une communauté d’esprit au-delà des âges et du temps ». Histoire récente, avec « Grèves “sauvages” dans l’Europe de 1969 », de Diego Giachetti. Histoire plus ancienne, aussi, pour faire lien « avec des idées et des pratiques qui ont fondé la lutte pour l’émancipation des travailleurs » avant la double domestication, sociale-démocrate et léniniste, du mouvement ouvrier. « La genèse de la grève générale », texte écrit par Émile Pouget en 1904 et brillamment présenté par Miguel Chueca, constitue, de ce point de vue, un excellent choix. De même, les contributions d’Oscar Mazzoleni – « De l’emprise de l’État » – et de Claudio Albertani – « Les dilemmes de l’empire » – et la copieuse rubrique « Lire et relire » – 23 pages de notes de lecture dues à Miguel Chueca, Daniel Blanchard, Diego Giachetti et François Roux –, contribuent pour beaucoup à la qualité de ce premier numéro, de belle facture, de La Question sociale. Convaincu que les suivants confirmeront d’aussi prometteurs débuts, nous souhaitons à son équipe bon cap et longue route en « des temps [décidément] trop durs pour se taire ».

RÉFRACTIONS
n° 12, printemps 2004, 176 pages

« Les premières années du XXIe siècle nous obligent à constater que nous vivons une époque frappée par une profonde régression de la pensée politique », indique, en ouverture de ce numéro, l’équipe rédactionnelle de Réfractions. Et d’énoncer, comme autant de preuves de cette « régression », la culture du compromis, la sur-valorisation de la sphère privée, le recul de la pensée critique et l’apathie généralisée d’une « masse sans illusions, dépossédée de sa volonté souveraine » et livrée à cet imaginaire dominant, où la démocratie « représentative et de marché » incarnerait désormais tout à la fois la modernité, le droit, la raison et la fin de l’Histoire. Légitimée par une moderne cléricature intellectuelle, elle serait devenue indépassable au prétexte que le totalitarisme guetterait, par force, toute subversion de l’ordre démocratique institué. Abordant cette thématique, Monique Boireau-Rouillé – « La modernité contre la démocratie ? » – souligne le rôle qu’a joué la critique anti-totalitaire – chez un Marcel Gauchet, mais plus fortement encore chez un Claude Lefort – dans la revendication actuelle d’une démocratie de plus en plus réduite à son acception libérale. De la même façon, Miguel Abensour – « Lettre d’un “ révoltiste ” à Marcel Gauchet converti à la “ politique normale ” » – invite le lecteur à s’interroger sur les « dégâts » que provoqua « l’effet-Furet », y compris sur « des esprits indépendants » et qui n’avaient pas, eux, comme leur maître en « juste milieu », à se repentir d’avoir été staliniens. La question complexe des rapports entre anarchisme et démocratie occupe, on s’en doute, une importante place dans ce numéro de Réfractions. Eduardo Colombo – « L’escamotage de la volonté » –, situe la singularité de l’anarchisme, y compris par rapport à la démocratie directe, dans son refus de la « loi de la majorité ». Pour Daniel Colson – « La force radicale de l’anarchie » –, c’est ailleurs qu’il faut la chercher, dans sa prétention à défendre « la capacité des êtres à penser et à exprimer eux-mêmes, directement, à partir de leur expérience et de leur subjectivité, toutes les nuances des rapports qui les unissent et qui les opposent ». De son côté, Alain Thévenet – « Un bateau ivre... » – explore la piste du tronc commun (les Lumières) et de la « mésentente » entre une démocratie au singulier et un anarchisme au pluriel. Enfin, Claude Orsoni – « Le monde moderne et la recherche de la démocratie » – nous offre une étude stimulante d’où il ressort qu’aucune « doxa » anarchiste n’apporterait de réponse convaincante aux interrogations d’aujourd’hui et que tout serait, par conséquent, à réinventer. L’espace manque pour évoquer plus en détail les travaux d’Annick Stevens, de Louis Janover, d’Antoine Bevort, de Fabio Ciaramelli, d’Alain Brossat, d’Eugène Enriquez, de Dominique Rousseau et de Bernard Hennequin. Ils contribuent tous, pourtant, à faire de ce douzième numéro de Réfractions une livraison de grande cuvée, dont la lecture, on l’aura compris, est vivement recommandée.

[Recensions : Freddy GOMEZ]