Louis Mercier (1914-1977) mérite d’être connu, et ce pour au moins trois raisons. La première, c’est qu’il traversa le vingtième siècle sans jamais abdiquer la passion critique qui l’anima dès son plus jeune âge. La deuxième, c’est qu’il conçut l’anarchisme comme une méthode – de réflexion et d’action – et non comme une doctrine aboutie, aux principes définitivement établis. La troisième, c’est qu’il vécut son existence comme une aventure multiple.
Comme d’habitude, c’est à partir de livres que s’organise ce huitième numéro d’À contretemps, de facture thématique et d’une pagination exceptionnelle. Le premier de ces livres, Présence de Louis Mercier, sert de fil conducteur à notre voyage. José Fergo s’attache à analyser cet ouvrage collectif, dont l’intérêt lui semble évident pour comprendre le parcours militant et intellectuel d’un personnage « hors du commun de l’anarchisme ». Le second livre, lui, n’existe pas encore, mais on y travaille. « On », c’est Phil Casoar, qui a collaboré au premier et s’échine sur le second depuis… un certain nombre d’années. Ce sera « un “livre-objet” casoarien », nous dit-il, fait de textes et de dessins – dont certains, à l’état d’ébauches, illustrent ces pages. Le long entretien qu’il nous accorde, outre qu’il met l’eau à la bouche, prouve, en tout cas, sa parfaite connaissance du sujet.
Pour cerner le personnage de Louis Mercier, il est sans doute différentes méthodes, mais la plus sûre consiste, bien sûr, à le lire. Parmi les nombreux ouvrages qu’il nous a laissés – épuisés pour la plupart –, La Chevauchée anonyme fait un peu bande à part. Cette œuvre de fiction nous en dit beaucoup sur l’époque d’effondrement qu’elle décrit – celle de la Seconde Guerre mondiale –, mais davantage encore sur cette farouche volonté de lucidité, intemporelle celle-là, qui caractérisa son auteur. C’est à sa lecture que se sont attelés, d’un double point de vue, Arlette Grumo et Freddy Gomez.
Cette « lucidité sans rivage » est encore au cœur de la dernière expérience à laquelle se consacra Louis Mercier au cours des années 1970, la revue Interrogations. Freddy Gomez en témoigne sans prétendre faire œuvre d’historien, mais sur le ton de l’amicale connivence.
Enfin, comme « la vertu n’est pas simple » en terre d’anarchie, on savourera le récit de Lucien Feuillade, l’ami de toujours, sur une « vilaine affaire » qui fit quelque bruit à l’époque où Mercier s’appelait Ridel et où les pandores étaient à ses trousses.
À l’évidence, ce voyage exigeait qu’on laissât la parole à l’intéressé. Pour ce faire, nous n’avions que l’embarras du choix tant les textes que nous avons parcourus étaient de qualité, mais l’heure arrive toujours où il faut trancher. De lui on lira donc une superbe « Esquisse du monde anarchiste d’hier », datant de 1974, et sa critique de The Grand Camouflage, de Burnett Bolloten, datant de 1961. Histoire de nous inscrire dans une tradition.
Voilà… Un mot encore : en plein travail, les multiples échos sur-médiatisés d’un grand zèle citoyen sont venus jusqu’à nous. Le fascisme, disaient-ils, était à nos portes et, pour s’en guérir, il fallait choisir la République chiraquienne. « Il y a des périodes, écrivait Mercier, où l’on ne peut rien, sauf ne pas perdre la tête. » La remarque vaut, bien sûr, pour le présent. Quand le délire est à ce point consensuel, le hors-jeu s’impose, car la raison l’exige.
Sommaire
– « L’itinéraire d’un anarchiste hors du commun de l’anarchisme » (José Fergo), à propos de l’ouvrage collectif Présence de Louis Mercier (pdf) ;
– « Figures de l’anarchisme en temps de guerre » (textes d’Arlette Grumo et de Freddy Gomez), à propos de La Chevauchée anonyme (pdf) ;
– « Raison garder ou la lucidité sans rivage » (Freddy Gomez) (pdf) ;
– Un entretien avec Phil Casoar(pdf) ;
– « Une vilaine affaire » (Lucien Feuillade) (pdf), suivi d’un document de police sur ladite affaire
– Bibliographie des ouvrages en langue française de Louis Mercier (pdf).