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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Le chemin de l’exil
À contretemps, n° 44, novembre 2012
Article mis en ligne le 3 juillet 2014
dernière modification le 6 février 2015

par F.G.


À Paris, un minuscule groupe d’intellectuels de gauche, mais non inféodés au Parti communiste, lutte pour la libération de la famille Serge. Il faut dire et répéter leurs noms car, sans eux, Victor Serge et Vlady auraient disparu dans les basses-fosses du Goulag. Outre Poulaille, il y a Magdeleine Paz, André Gide, Marcel Martinet, Georges Duhamel, Luc Durtain, Charles Vildrac, Victor Margueritte, Léon Werth, Georges Pioch, le romancier belge Charles Plisnier, l’historien italien Gaetano Salvemini, quelques militants anarchistes et socialistes.

Finalement, c’est Romain Rolland qui obtient la libération à la faveur d’une entrevue personnelle avec Staline. Au terme d’un repas particulièrement bien arrosé, Staline se penche vers son hôte, fait un geste large qui englobe la salle de réception et ses œuvres d’art aussi bien que ses occupants, et peut-être même le reste de l’Union soviétique, et lui demande sur un ton très « petit père des peuples » quel présent pourrait lui faire plaisir. « La liberté pour Serge », répond Romain Rolland qui, informé par les amis de Victor Serge, attend ce moment depuis le début de son voyage. « Serge, Serge… hésite Staline un instant. Mais c’est un tout petit bureaucrate soviétique. » À quoi Romain Rolland rétorque du tac au tac : « Petit bureaucrate soviétique peut-être, mais grand écrivain français certainement. » [1]

Staline était pris à son propre piège. Au demeurant, le plus célèbre « compagnon de route » des communistes français méritait bien quelques égards. Ainsi fut accordée la grâce pour Victor Serge et sa famille. Pendant ce temps au Kazakhstan, Victor Serge montre à Vlady un journal avec la photo de Romain Rolland serrant la main de Staline : « Regarde bien le visage de cet homme. Si nous devons être sauvés, c’est maintenant ou jamais. » [2]

En fait, les deux déportés durent encore attendre dix mois pour être libérés. L’entrevue entre Romain Rolland et Staline eut lieu en juin 1935, l’annonce de la libération survint en septembre suivant et la libération elle-même en avril 1936 dans des circonstances dramatiques.

Jean-Guy RENS

[Vlady. De la Revolución al Renacimiento, p. 55
version française disponible sur http://rens.ca/2012/?p=524]


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