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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Vive la gigue et le rigodon !
À contretemps, n° 29, janvier 2008
Article mis en ligne le 19 octobre 2008
dernière modification le 2 décembre 2014

par .

Paul-Louis COURIER
PÉTITION POUR DES VILLAGEOIS QUE L’ON EMPÊCHE DE DANSER
suivie de deux autres écrits impies et, par Armand Carrel,
d’un ESSAI SUR LA VIE ET LES ÉCRITS DE PAUL-LOUIS COURIER
Préface de Julius Van Daal
Montreuil, L’Insomniaque, 2007, 96 p.

La belle prose de Paul-Louis Courier canonna avec une telle force les notables, les cagots et les bien-pensants de son époque que sa fin brutale les apaisa durablement. Le 10 avril 1825, en effet, un coup de fusil suffit pour que le pamphlétaire passât de vie à trépas.

Helléniste distingué, le bonhomme, né en 1772, avait exercé quelque quinze ans comme artilleur dans l’armée du Rhin. Pratiquant avant l’heure le refus de parvenir, il prit la guerre en horreur dès qu’il la vit de près. Officier singulier d’une armée chargée de porter, outre-frontière, l’esprit de la Grande Révolution, il choisit de rester subalterne, préférant la rêverie au tapage et la lecture à la bravoure. Dépêché en Italie, le 6 brumaire an XII, il s’acquitta de ses devoirs de chef d’escadron à la va-vite, plus enclin à traduire Xénophon qu’à mater, le cœur léger, les insurgés anti-français. De son périple transalpin, il rapporta quelques faits d’armes, mais surtout un penchant certain pour la langue, la culture et l’art italiens. Rentré en France, le Directoire devint Consulat. Courier, qui s’occupait peu de politique, se mit alors à écrire des petits opuscules savants traitant d’antiquités et de philologie. Le Consulat touchant à sa fin, on le rappela sur les champs de bataille de Marengo, où il s’acquitta de sa tâche avec le même manque d’entrain. Bonaparte, qu’il détestait, se mit en tête d’être empereur et obtint son titre en fusionnant, sous sa coupe, la noblesse de l’Ancien et du nouveau régime. Le tirailleur fut de l’aventure jusqu’à Waterloo avant de changer de vie, et ce définitivement. C’est alors qu’il devint vigneron et que, paysan, il s’improvisa homme de plume et pamphlétaire.

En préface à cette réédition, Julius Van Daal précise avec justesse : « C’est la dimension “littéraire” de ces écrits séditieux – la justesse de ton, l’ironie subtile, la prosodie ciselée – qui fonde leur universalité et a assuré leur postérité ; cependant c’est bien l’esprit de ces coups de colère soigneusement composés qui leur conserve une pertinence – un esprit de liberté et de raison qui est loin d’avoir triomphé dans la civilisation depuis l’élimination de Courier. »

Cet esprit de liberté, Paul-Louis le dirige ici contre un curé qui s’entête à vouloir interdire « aux habitants d’Azai de danser le dimanche sur la place de leur commune ». En cette sombre année 1822 où la réaction a jeté la République aux poubelles de l’Histoire, les dévots dictent et les préfets exécutent. C’est insulter Dieu, prétend alors le « conscrit de l’église militante » qui préside au salut des ouailles du lieu, que de pousser la gigue et le rigodon devant sa maison, ce que confirme un firman préfectoral « proclamé au son du tambour ». L’arrêté vaut bien un opuscule, et torché, s’il vous plaît. Sa notoriété dépassera largement les confins des bourgs environnants. Elle vaudra à l’entêté Paul-Louis, qui sortait à peine de Sainte-Pélagie pour avoir vertement tancé le duc de Bordeaux, de se retrouver devant le tribunal de l’Ordre.

C’est bonheur, franchement, que de plonger dans cette prose de grand cru, resserrée, percutante, admirable de maîtrise et follement drôle, bonheur prolongé par la lecture des deux autres textes inclus dans ce volume – « Lettre VI au rédacteur du Censeur » (1819) et « Seconde Réponse aux anonymes qui ont écrit des lettres à Paul-Louis Courier, vigneron » (1823) –, qui manifestent les mêmes essentielles qualités.

Un Essai sur la vie et les écrits de Paul-Louis Courier, bellement composé par Armand Carrel six ans après son assassinat, conclut en apothéose cet ouvrage. « La vie d’un grand écrivain, y lit-on, est le meilleur commentaire de ses écrits ; c’est l’explication et pour ainsi dire l’histoire de son talent. Cela est vrai surtout de celui qui n’a point suivi les lettres comme une carrière, et dont l’imagination, dans l’âge de l’activité et des vives impressions, ne s’est point appauvrie entre les quatre murs d’un cabinet ou dans l’étroite sphère d’une coterie littéraire. »

Courier n’était, somme toute, qu’un esprit libre qui aimait écrire et danser.

Arlette GRUMO