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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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À contretemps, n° 22, janvier 2006
Article mis en ligne le 5 mars 2015
dernière modification le 19 mars 2015

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Sa vie durant, B. Traven cultiva patiemment le mystère. Il recouvrit d’une nouvelle identité littéraire une ancienne existence de révolutionnaire traqué ; il enfouit le fracassant tumulte d’une jeunesse subversive sous les grands tirages de ses livres à succès ; il s’employa à brouiller les pistes de sa biographie avec une rare constance. Comblé et bien marié, il s’éteignit le 26 mars 1969, à Mexico, laissant à son épouse et collaboratrice, Rosa Elena Luján, le soin de déchirer partie du voile qu’il avait lui-même tissé : B. Traven, l’homme de nulle part, était bien Ret Marut, ce vaincu héroïque d’une trop courte République des conseils de Bavière.

Ce faisant, sa mort même ponctuait, en l’amplifiant, le mystère d’une vie remarquablement maîtrisée. Dès lors, Marut/Traven installait à jamais sa légende dans un questionnement sans fin, questionnement qui dure et dont il sera amplement fait état dans ces pages.

Au-delà de l’indéniable part de jeu qui entre dans cette pratique de l’anonymat sous pseudonyme, il faut bien admettre, pourtant, une forte évidence : au contact de son lieu d’exil, B. Traven se découvrit mexicain jusqu’au bout de l’âme. Ne pouvant l’être tout à fait, il s’inventa, alors, un lien continental avec ce pays, laissant à Marut ses rêves de jeunesse et à l’Europe son pesant de défaites. On aurait tort de voir dans cette auto-dépossession le prix à payer pour une entrée en littérature. De l’avoir été, B. Traven eût trahi, non seulement Marut, mais la cause qui ne cessa d’être la sienne, la leur : celle de l’émancipation du prolétariat, pour l’un, celle des Indiens chiapanèques, pour l’autre.

Paranoïaque, a-t-on dit de lui... Comme si le fait de renaître pleinement ailleurs, sur une terre libérée des fantômes du Vieux Continent, et de s’y plaire en clandestin définitif, arc-bouté sur sa seule identité d’écrivain et soucieux de n’être que le porte-parole d’une culture minoritaire durement réprimée par les rejetons d’une Révolution fondatrice, ne pouvait avoir d’autre explication que de fuir le passé dans l’exotisme et d’y tirer quelque notoriété. De le penser, on serait bien évidemment à côté de la plaque.

Entre Ret Marut et B. Traven, c’est l’écriture qui fait lien, l’écriture comme combat, celle qui fit les belles pages militantes du Ziegelbrenner munichois, de 1917 à 1921, celle qui donna sens, du Vaisseau des morts à Aslan Norval, à la vérité de l’exilé, doutes et intuitions compris.


Posada

Regroupées dans cette vingt-deuxième livraison de notre revue, les contributions de Pierre Afuzi (« Marut/Traven : l’homme de l’ombre était aussi homme de lumière »), de Claire Auzias (« De l’anonymat comme passion à l’écriture comme combat »), de Guido Barroero (« Littérature et Chiapas : les voyages de B. Traven ») et de Théodore Zweifel (« Notes sur un dernier roman ») explorent, chacune à leur manière, le « mystère B. Traven ». Dire qu’elles le percent serait, cependant, exagéré, et c’est tant mieux, car il importe peu, finalement, de tout révéler du personnage et, bien davantage, d’inciter, tant que faire se peut, à lire l’écrivain. Les quelques « morceaux choisis » - Le gros capitaliste et Administration indienne et démocratie directe - de lui que nous donnons, dans une traduction d’Adèle Zwicker, y contribueront peut-être, comme les « repères bibliographiques » que nous y adjoignons. Quant au Mexique, ce Mexique en révolution qu’il aima passionnément, c’est à travers la noble figure de Ricardo Flores Magón et sous la plume de David Doillon, que nous avons choisi de le traiter (« Ricardo Flores Magón et le magonisme : itinéraire et trajectoire »).

Au bout du compte, et au-delà du mystère, B. Traven n’écrivit que ce qu’il voulut, quand et où il se le proposa. C’est sans doute pourquoi ses livres font œuvre. Comme sa vie.

Bonne lecture, et à la prochaine.

À contretemps