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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Votre fin est notre avenir
Article mis en ligne le 12 décembre 2019

par F.G.

■ Une semaine après le début d’un mouvement massif pour l’abandon d’une contre-réforme des retraites concoctée par une oligarchie d’État totalement liée au capital et totalement dépendante de la milice armée qu’elle cajole et qui lui fait encore rempart, un certain Philippe, premier baron de la Macronie, a cru bon de répondre à des questions que personne ne lui posait puisque tout le monde avait compris la teneur de l’ignominie en cours.

Il y a, assurément, du côté de ce pouvoir, et d’abord de son jupitérien détenteur, une réelle incapacité à comprendre que, quand la plaine brûle, il est inutile d’attiser les braises. Et ce d’autant que ce « Macron, oh ! tête de con », comme le crient, depuis plus d’un an dans les rues du pays, les vaillants Gilets jaunes, fait désormais écho, sous diverses variantes, au sein des longs cortèges d’aujourd’hui, beaucoup plus hardis que d’habitude dans l’expression des multiples colères qui les animent. Il est vrai que cette adresse gilet-jaunée, facilement mémorisable et hautement jouissive, a cet indiscutable avantage de pouvoir être reprise par quiconque veut aller droit au but : « On va te chercher chez toi ! » Et c’est bien ce dont il est question, même métaphoriquement : en finir avec ce régime.

Quelque chose, en effet, semble être en train de changer dans la perception du désastre social en cours, mais surtout dans les formes de résistance devant être mises en place pour sortir de la sphère infinie des défaites. Il se pourrait bien qu’on assiste à une sorte de confluence de passions joyeuses s’inventant des pratiques communes, débordant les lignes d’appartenance, créant ses propres dynamiques de lutte, conjuguant ses efforts. L’attestent les multiples actions de blocage qui essaiment un peu partout dans le pays, les assemblées générales ouvertes, les rencontres impromptues, les fraternités naissantes, la mise en place de caisses de grève, une certaine aptitude partagée pour l’offensive. Il faudra bien sûr beaucoup de persévérance et d’invention pour déjouer les pièges et les trahisons à venir, mais la dynamique est là, et en soi elle fait espérance.

Les deux textes que nous publions ici confirment l’analyse qui est la nôtre et le sentiment qui nous anime. Le premier – « Discours sur les retraites, le feu aux poudres » –, émanant du collectif « Plateforme d’enquêtes militantes », analyse, dans la forme et sur le fond, la teneur de la prestation du 11 décembre dudit Philippe, premier baron de la Macronie. Le second – « Une grève gilet-jaunée » – nous a été adressé, pour reprise, par l’Assemblée des Gilets jaunes de Belleville. Il a l’insigne mérite d’ouvrir des perspectives de réelle convergence susceptibles de dépasser les cadres sectoriels et les clivages boutiquiers pour inventer des manières désaliénées de résister, tous ensemble et sans faillir, à la canaillerie ultralibérale autoritaire. Car sa fin est notre seul avenir.– À contretemps


[bleu]Discours sur les retraites, le feu aux poudres[/bleu]

Dans un discours totalement orwellien, le Premier ministre a parlé d’« égalité », d’« équité », de « justice sociale »… alors qu’il présentait une réforme profondément inégalitaire, punitive, d’une violence sociale inédite, en promettant seulement des broutilles pour mieux diviser le mouvement.

Une chose est sûre désormais : avec la retraite à points calculée sur toute la carrière, la grande majorité va devoir travailler plus longtemps, pour des pensions qui baisseront de 10, 20, 30% selon les cas. Seuls les plus riches pourront s’en sortir en se payant des retraites par capitalisation auprès des assurances, qui n’attendent que ça.

Les écrans de fumée lâchés par É. Philippe, c’est d’abord un recul dans le temps de la réforme, qui n’entrera en vigueur que pour celles et ceux qui sont nés après 1975. Donc il nous demande de laisser les jeunes et nos enfants galérer avec ça, à l’opposé total des principes de solidarité entre les générations portés par le mouvement ouvrier et fièrement réactivés par les Gilets jaunes.

Pour diviser les différents secteurs en lutte : des petites promesses mais que du flou. Les fonctionnaires devraient toucher des « primes », les salaires des enseignants seront (peut-être) revalorisés, les aides-soignantes seront « écoutées », les handicapés et les précaires aussi… mais rien de concret. Une arnaque avec le sourire qui rappelle très fortement l’allocution de Macron il y a pile un an.

Ses propos mielleux sur les retraites des femmes ont atteint des sommets d’infamie. La réforme proposée va aggraver les effets des carrières hachées, des temps partiels subis et des inégalités de salaire sur les retraites des femmes. Et tout ce qui est proposé, ce sont des compensations minimes (dont la plupart existaient déjà), seulement pour les mères de famille et les veuves… Vive le patriarcat !

Le Premier ministre a poussé le cynisme jusqu’à faire croire que « les caissières, les livreurs à vélo et les agents de la propreté » seraient désormais sur un pied d’égalité avec les députés et le personnel politique. Il a oublié que des milliers d’euros nous séparent et que les ouvriers ont aujourd’hui une espérance de vie inférieure de dix ans à celle des cadres… ce qui n’est absolument pas pris en compte.

Comble du ridicule, É. Philippe s’est posé comme un héritier du Conseil national de la Résistance qui « connait la culture de la lutte », porte des valeurs de « solidarité », refuse le règne de « l’argent-roi », mais qui ne veut pas « entrer dans le rapport de forces ». De toute évidence, c’est le rapport de forces qui va lui rentrer dedans, pour lui rappeler le véritable sens de ces mots.

Derrière Delevoye – le ministre cumulard financé par les assurances – et derrière É. Philippe « droit dans ses bottes », c’est bien sûr Macron qui déroule son néolibéralisme autoritaire et qui pour le moment ne veut pas sortir de chez lui.

Maintenant c’est à lui de rentrer dans l’octogone et de faire face à nos colères. Dans la rue jeudi 12, pour l’Acte 57 du samedi 14, puis massivement le mardi 17 Décembre, dans les cortèges comme sur les piquets de grève et les actions de blocage, c’est très certainement son nom qui sera dans toutes les têtes, dans tous les cris, dans tous les slogans.

On veut la retraite du régime !

Plateforme d’enquêtes militantes
11 décembre 2019



[bleu]Une grève gilet-jaunée[/bleu]

Une grève gilet-jaunée. Voilà la belle surprise de ce jeudi 5 décembre, les trois quarts des centaines de milliers de manifestants (un million et demi dans toute la France, 250 000 à Paris !), lycéens, étudiants, enseignants, travailleurs, chômeurs, grévistes qui ont marché en dehors des syndicats l’ont fait en criant à tue-tête des slogans gilets jaunes. Et, surprise encore, même dans le cortège syndical arrivant finalement avec ses ballons à 20 h sur la place de la Nation (après être parti six heures plus tôt de la gare de l’Est !), ce sont les classiques chants des Gilets jaunes que l’on entend, à commencer par « Ré-vo-lu-tion ! ». La détermination des Gilets jaunes a fini par imprégner la société tout entière, et en 2019 c’est le dernier style de la contestation. C’est un bon début, mais il manque encore le versant pratique. En particulier ce prodige que constituent la multiplication, la divergence et l’exploration des manifestations sauvages.

Une convergence a déjà eu lieu. C’est la révélation du jeudi 5 et du vendredi 6 décembre au terme d’assemblées générales où l’on a pu mesurer la distance qui sépare les pratiques horizontales des Gilets jaunes et la logique de représentation corporatiste. Un Gilet jaune prend la parole à Saint-Lazare après des prises de parole successives de travailleurs en lutte (enseignants, cheminots, RATP, etc.) : « Pour moi le mouvement des Gilets jaunes, c’est déjà la convergence, c’est un mouvement où il y a des jeunes, des plus anciens, et tous les corps de métiers représentés. Ce que je vois en face de moi, c’est pas des enseignants, des cheminots, c’est des humains ! Et c’est ce qui me plaît ici, c’est de voir des personnes différentes. Maintenant je préférerais vous voir devant l’Assemblée ou devant l’Élysée. »

C’est ce chemin qu’il reste à faire ! Mais d’abord, il faut bien comprendre que les Gilets jaunes ne se définissent pas par leur profession, ils ne se définissent pas par ce qui les asservit, mais par ce qui les enrichit, par le fait d’être en lutte, par ce sentiment d’appartenir à une communauté d’humains qui partagent un même but, une même finalité. C’est cette force, ce sentiment unitaire qu’il nous faut arriver à partager avec tous.

Ils vont nous la faire à l’envers… Tout le monde, les syndiqués comme les non-syndiqués s’accordent à dire que les représentants des syndicats « vont nous la faire à l’envers », ajoutant : « comme d’habitude ». Nous sommes prévenus. De longue date. Et nous ne les laisserons pas faire.

Désectorialiser la grève. Pour cela, il nous faut faire dérailler le train-train de la négociation syndicale que tentent d’installer médias et gouvernement. Allons dans les AG professionnelles pour les désectorialiser. Créons des assemblées fondées sur la démocratie directe. Créons des lieux ouverts, créons des QG. Généralisons la critique ad hominem de toute forme de représentation, comme les Gilets jaunes l’ont fait sur les politiques et les journalistes.

Faisons de décembre 2019 l’aboutissement et la réalisation de décembre 2018.

Pour le retrait de la loi sur les retraites !

Pour la justice fiscale, sociale et pour la démocratie directe !

Pour des lieux publics de rencontre et de délibération !

Dissolution de l’Assemblée ! Macron et ta clique, dégagez !

Assemblée des Gilets jaunes de Belleville
9 décembre 2019

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