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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Une anarchiste entre espoir et raison
À contretemps, n° 38, septembre 2010
Article mis en ligne le 13 décembre 2011
dernière modification le 17 janvier 2015

par F.G.

Voltairine DE CLEYRE
D’ESPOIR ET DE RAISON
Écrits d’une insoumise

Textes réunis et présentés par N. Baillargeon et C. Santerre
Montréal, Lux Éditeur, 2008, 328 p.

Nous connaissons Louise Michel (1830-1905), bien sûr ! Emma Goldman (1869-1940) aussi, mais connaissons-nous Voltairine de Cleyre (1866-1912) ? Elles sont contemporaines, ou peu s’en faut ; elles se sont rencontrées, croisées probablement à l’occasion de voyages en Europe : trois figures de l’anarchisme au féminin, deux Américaines et une Française. Pourtant, le nom de la troisième est moins familier, surtout en France, même si quelques-uns de ses écrits sont parus ici ou là en langue anglaise, même si une petite biographie d’elle, signée Chris Crass, fut traduite en français par Yves Coleman il y a quelques années.

Une équipe d’universitaires canadiens, sous la houlette de Normand Baillargeon et de Chantal Santerre, vient de publier l’ouvrage qui manquait en français sur Voltairine. En une quarantaine de pages, présentation est faite à travers une biographie éclairante : vie bien remplie mais malheureusement trop courte puisqu’elle est morte à l’âge de quarante-cinq ans. Elle est marquée dès sa naissance… par son prénom dû à l’admiration de son père, français, pour Voltaire ! Née dans une famille pauvre, élevée au couvent d’où elle tire l’instruction qui la fera vivre (mal, du reste) toute sa vie − enseignement et écriture −, elle est sensibilisée à la misère et à la fraternité, mais, d’esprit indépendant et rationnel, elle fait très vite siens les idéaux du socialisme et de la libre-pensée avant d’en arriver à l’anarchisme, à l’âge de dix-neuf ans, « pour des raisons affectives et émotionnelles », et surtout après une profonde réflexion personnelle sur les événements de Haymarket, au bout de laquelle « la transformation de la socialiste est achevée » : on est en 1888, Voltairine de Cleyre devient anarchiste.

Tout s’enchaîne alors, et la deuxième partie de l’ouvrage offre seize essais qui sont autant d’articles ou de conférences dans lesquels elle s’interroge sur la question de l’organisation sociale, mettant constamment en regard celle dans laquelle elle vit et celle dans laquelle elle voudrait vivre, répondant aux arguments communs avec conviction et précision sur les questions économiques, les problèmes de la violence et de l’action directe, la criminalité, la place de la femme, la littérature « miroir de l’humanité », qui fait transition avec l’exposé d’un certain nombre de ses poésies dans lesquelles transparaissent une très grande sensibilité et un fort pouvoir d’indignation.

Émouvante et remarquable figure, la contemporanéité de sa pensée l’est surtout sur deux points : la violence, d’abord ; si elle ne l’approuve pas, elle l’explique toujours et n’élude pas la complexité de ce problème, mais elle n’aura de cesse de défendre certains de ses compagnons d’idées qui se sont livrés à des assassinats, d’expliquer les raisons de leur geste, d’interpeller les grands et les puissants, allant jusqu’à s’offrir comme cible, en mars 1902, au sénateur Hawley qui donnait 1 000 dollars en échange de la permission de « faire feu sur un anarchiste » ; la place de la femme, ensuite, question sociale et politique à la fois, avec le mariage, la mode et les normes vestimentaires, qu’elle vilipende, l’esclavage sexuel, la domination et l’autorité dans la sphère privée qui répondent à celles qui ont cours dans la sphère publique.

Insoumise, combattante et voyageuse infatigable malgré une santé déficiente, avide de rencontres qui la font progresser dans sa réflexion, elle n’échappe pas au doute : « Est-il possible de tirer les hommes de leur indifférence ? », et à l’espoir : « Je voudrais que les hommes aient la dignité de choisir un but plus élevé que la chasse aux écus ; qu’ils choisissent une chose à faire dans la vie qui soit en dehors des choses qui se font pour se faire et qu’ils s’y tiennent. Non pour un jour, non pour une année, mais pour toute la vie. Et qu’ils aient foi en eux-mêmes ! »

D’espoir et de raison, ses pensées, politiques, sociales, féministes, terreau riche pour l’élaboration d’une société différente, sont à découvrir ou à redécouvrir, et à approfondir.

Michèle CRÈS


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