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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Les mots de l’écriture
Sans dessus et très en dessous
Article mis en ligne le 25 mai 2023
dernière modification le 24 mai 2023

par F.G.


Il y a toujours une adresse…

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Le matin, lorsque les impressions de mes cauchemars s’abandonnent au seuil de ma conscience, comme le reflux échoue le naufragé sur la grève, et que le brouillard de leurs ombres confuses se dissipe peu à peu, je me débarrasse des échos de leur existence en écrivant sur des feuilles volantes le tout et le rien de mes brèves illusions perdues et déjà dispersées. Entre l’ironie joueuse et taquine, le plagiat volontaire et involontaire, l’hommage et l’imitation, le vertige de l’écriture navigue de-ci de-là, parfois sous contrôle, mais pas toujours. Elle godille sur l’écume des vagues poussées par des courants capricieux. L’implosion des émotions dans la houle d’un petit filet de voix charrie son lot de douleurs anciennes, puis disperse ses modulations au gré de sa transcription laborieuse. L’écriture des jours envahis de solitude est le résultat d’une aspiration plus que d’une inspiration. Le sens et le ton fluctuent au gré des humeurs, de sorte que leur transcription n’est jamais totalement maitrisée. Presque toujours trahi par son élan, l’écriture est agie, prescrite par l’affliction.

Je n’ai pas d’autres satisfactions que de lancer les phrases en l’air comme on le ferait d’une poignée de sable fin pour contempler la dispersion de ses grains emportés par le vent. Au gré de son mouvement et sachant qu’il est par nature changeant et capricieux. Au point de retourner parfois à l’expéditeur ses maladroites prétentions. Elles l’aveuglent, ces prétentions, et tant que l’on peut ainsi s’amuser des significations cocasses qui en découlent en se disant que cela fait partie du jeu que d’accepter le détour nécessaire d’un retour de l’inattendu.

Ces parenthèses littéraires sont nourries de la beauté durable des textes anciens. Tel est mon plaisir. Il sifflote en flottant et jamais ne coule malgré la tentation de disparaître dans un abandon silencieux comme, par exemple, dans un journal intime. Il s’agit donc bien d’un abandon auquel je n’offre que peu de résistance. L’indésirable devient désirable et ses conséquences sont consenties avec délectation – mais c’est aussi, et surtout, un chemin qui permet d’éviter celui de la consolation.

Oui, je compose… une partition et joue avec les quelques accords que je connais sans toujours savoir d’où ils viennent et à qui ils doivent leur petite rengaine, un peu à la façon d’un singe de foire manipulant une boîte à musique. Une traversée en solitaire du langage sur un océan d’incertitudes houleuses. J’en donne des nouvelles. Une trace qui ne mène nulle part, mais en quête de lecteurs.

Le monde qui me rattrape et avec qui j’entretiens une complaisante liaison en connaissance de cause, me pose la question de l’optimisme et du pessimisme. Je m’y trouve constamment confronté. Un reproche que l’on me fait et que, bien sûr, je me fais à moi-même. L’intérieur se confond avec l’extérieur, à moins que ce ne soit l’inverse. Le propos est le fruit de la rencontre de ces deux masses d’air qui interagissent et créent des dépressions qui s’alimentent l’une l’autre. C’est une humeur impossible à juguler dans cette langue traversée d’impressions dépressives.

Pour être juste, il y a aussi, enfouie dans cette obsession du témoignage, une réelle volonté, jamais avouée, de toute-puissance infantile, une croyance dans un esprit magique, comme si l’écrit pouvait à lui seul agir sur le réel, tel le souffle (divin) donnant vie à une boule de terre glaise. Cette illusion jamais ne disparaît totalement. Elle demeure enfouie, cachée dans un recoin sombre du désir d’écrire. Un désir souillé par un rêve de gloire sanctifiante dont on a un peu honte, tant il est niais, de ne s’en être jamais vraiment totalement débarrassé. Car, au fond, tout au fond, toujours le niais demeure vivace. Honteux mais vivace. Il entachera toujours les mots et les phrases que l’on aurait voulus innocents et purs. Pur comme est supposé l’être le sujet parlant au jour de sa naissance. Celui qui découvre le monde et ses propres sentiments dans l’interaction, très vite, il devient acteur dans un monde perçu et vécu à travers un univers symbolique que l’on appelle culture. Lorsque l’on prend la plume dans les conditions que « j’ai dites », face à de telles contradictions, on se sent fragile, maladroit, bref illégitime (encore une histoire de filiation).

À chacun selon ses âneries !

C’est l’enfance de l’art !

Jean-Luc DEBRY


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