A Contretemps, Bulletin bibliographique
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D’une pensée critique sous emprise
Un entretien avec Russell Jacoby
Article mis en ligne le 10 avril 2023

par F.G.


Si une politique émancipatrice n’est pas dissociable d’une pensée critique, il n’en demeure pas moins douteux qu’une telle tâche puisse être confiée au seul milieu professionnel universitaire. Ce problème a longtemps occupé l’historien américain Russell Jacoby. Son dernier livre, On Diversity, interroge la portée limitée et finalement trompeuse d’un « jargon de campus » relatif à la « diversité », désormais largement employé dans l’espace public américain. Dès 1987, dans un livre qui fit date aux États-Unis, The Last Intellectuals, l’auteur s’inquiétait, non sans susciter la polémique, des conséquences pour le débat public du poids croissant de l’université dans la vie intellectuelle. L’ouvrage, qui avait attiré l’attention d’auteurs comme E. P. Thompson ou Murray Bookchin, critiquait par là-même une nouvelle génération de professeurs, celle de l’auteur, formée au cours des années 1960 et 70, qui avait remis en cause l’establishment et l’institution universitaire avant de finir, plus qu’aucune autre auparavant – quoique sous des oripeaux « radicaux » – par l’intégrer.

Observateur peu complaisant de son propre milieu, professeur émérite de l’Université de Californie de Los Angeles, bien qu’il n’ait jamais obtenu un statut de titulaire, Russell Jacoby a écrit sur l’École de Francfort, sur les courants hétérodoxes du marxisme et de la psychanalyse, sur les ressorts de la violence ainsi que sur la signification de la pensée utopique. Il a, par ailleurs, sans nécessairement partager les dimensions parfois conservatrices de leurs analyses, côtoyé des penseurs comme Christopher Lasch ou le fondateur moins connu de la revue Telos, Paul Piccone. Avec un intérêt constant pour les intellectuels étrangers au monde académique, voire dont l’œuvre s’est avérée inséparable d’une vie risquée de révolutionnaire.

Dès son premier livre, Russell Jacoby se proposait de lutter contre « l’amnésie sociale » qui empêche, par oubli du passé, de penser en termes adaptés la critique du statu quo présent au-delà des tendances dominantes du moment. Poursuivant cette inspiration, l’entretien qu’il nous a accordé ne se propose pas uniquement de présenter un parcours et une œuvre trop peu connue en France en dépit de son indéniable intérêt, mais d’offrir un éclairage historique ne concernant pas uniquement la vie intellectuelle américaine et permettant de soulever, dans une perspective émancipatrice, quelques questions significatives sur ce que devrait être la critique sociale contemporaine.

Fabien DELMOTTE


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