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« De l’audace ! » Voilà ce qu’il exige. Quatre-vingts conseillers, un « déjeuner de travail », une table en fer à cheval, une pintade. Il vibrionne, poudré, jacte : « Mettez-vous du côté des gens ! » Les gens sont mécontents ; Le Pen en embuscade, elle va tout emporter. Je veux, entonne-t-il (il est poète et philosophe), je veux « sentir le pays ».
Les commensaux paniquent dans l’inventaire de leur inconsistance : quoi lui fourbir, encore, pour l’apaisement des crottés ? Sentir le pays ; ils savent ce que réclame l’agité : sentir les gens pâmés, les Français extasiés. Comment, quoique équarris, rendre les gens béants devant l’équarisseur ?
« Créer une carte vitale écologique ? Légaliser le cannabis ? »

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On n’attendait plus rien, ils peuvent toujours faire pire.
François Patriat le premier, qui, visionnaire, s’est mis du côté des gens très en amont du gueuleton. À la question : pourquoi la retraite à 65 ans ?, il répond : parce que tout est tellement plus simple aujourd’hui, « les déménageurs, les couvreurs, les gens dans les travaux publics sont équipés d’exosquelettes ». Et puis, Marc Ferracci, registre low tech : de quoi se plaindraient les carreleurs, désormais ? Ils portent des « genouillères » ! Oui, c’est surtout cette dimension voluptueuse des vies de corvée que Claire Guichard juge elle aussi nécessaire d’évoquer : « La vie est faite de choix […] beaucoup d’AESH […] choisissent ce statut pour avoir le mercredi et les vacances scolaires ! »

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Ce que voyant, du côté des gens, on a remis la main sur les moyens de production.
« Nous avons, après décision en assemblée générale, mené plusieurs actions. »
Un syndicaliste CGT explique la grève sur BFM. Lunettes, méthode, liste « ce que les Robin des bois de l’énergie, au service de l’intérêt général, ont réalisé toute cette journée [du 27 janvier] ».
Dans le café que l’écran colonise, quelqu’un crie « chut ! ».
« Plusieurs hôpitaux ou cliniques, des patinoires, des piscines municipales […] des collèges, des lycées, des crèches, des chauffages collectifs d’université, des HLM, des éclairages publics […] placés en gratuité d’électricité ou de gaz. »
Le bruit est tombé.
« Des petits commerces, boulangers ou autres, des petites entreprises, placés en tarif réduit. »
Un rire monte, irrésistible.
« Rétablissement des usagers coupés en électricité ou en gaz, malgré la trêve hivernale, par des fournisseurs peu scrupuleux. »
Maintenant, c’est à l’endroit.

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Tu cherches des idées, Macron ?
Demande à la classe ouvrière.

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Grève : décision collective de bloquer l’inversion générale.
En commençant par distribuer à l’endroit – l’énergie, déjà.
Dans le monde à l’envers, pour le boulanger, le teinturier, le ménage ordinaire ou les services publics, l’énergie n’est distribuée qu’à soutenir le doublement, le triplement de la facture. Dans le monde à l’envers, on dé-distribue – respect des priorités : déréglementation européenne et fournisseurs privés d’abord.
Distribuer à l’endroit : se dit d’un acte de production souverain ; demande une console de contrôle, des salariés déterminés à s’en servir ; bien décidés à répartir. Retour du courant chez les plus précaires et dans les institutions d’intérêt collectif.
Maintenant, c’est à l’endroit.

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D’une distribution l’autre. Celle de l’énergie appelle son prolongement : celle des richesses. Lunettes, méthode, liste – ça marche aussi bien pour les deux. Les grévistes remettent la société sur ses pieds, et d’un coup, on voit : le ruissellement.
Phénomène étonnant, logique troublante du monde à l’envers : en réalité, ça ruisselait vers le haut. Des pauvres vers les riches.
Essorer les services publics, saccager les retraites, dépouiller les chômeurs : où trouver autrement les 200 milliards d’argent public enfournés chaque année par le capital ?
Richesse comme énergie, distribution anti-redistributive.
LaDettePubliqueC’estMal, « attractivité du territoire », « discipline budgétaire » tourne le disque à l’envers. De ce qui est : prendre aux pauvres pour donner aux riches. Maintenant, les termes intervertis, c’est à l’endroit – c’est Robin des bois.

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Des deux précédentes une troisième : redistribution du sens.
L’inversion tient aux structures mais se ratifie par ressassement. Inépuisable tournoiement d’énoncés retournés, densifiés par leur reprise seule, qui expriment et valident la domination d’une poignée sur des millions. Que le réel pourtant vienne percuter cet édifice imaginaire, que les millions s’avisent de reprendre leur souveraineté : le voici qui bascule.
« Sans nous, ils ne sont rien, ils ne valent rien. Camarades, on va tout leur reprendre ! »
Quand la remise en sens est commencée, ça peut gagner très vite. Telle, précipitée vers la vérité par cette poussée irrésistible, une éditorialiste du Monde, pourtant rompue au service bourgeois, qui déclare soudain sur un plateau : « La réalité, c’est que beaucoup de riches sont hostiles à une politique plus redistributive parce que ça lèse leurs intérêts. »
Découverte tardive de ce que les corps tombent de haut en bas – découverte quand même.
Maintenant, c’est à l’endroit.

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Dans le monde à l’envers, l’effort continuel pour persuader que le monde à l’envers est en fait à l’endroit s’appelle pédagogie.
Dans le monde à l’endroit, « à chaque fois que le gouvernement prétend faire de la pédagogie, la part de la population opposée à la réforme des retraites augmente » ». Et de fait : plus on sonde, plus les sondés sont contre.
C’est électrique, une vérité qui se diffuse.
La vérité de Moussah, 67 ans, qui pousse encore des palettes chez Géodis. Opéré plusieurs fois : épaule, main droite, articulations. Sous opioïdes le jour : pour travailler. Sous opioïdes la nuit : pour dormir. Tous ses collègues dans le même cas – le forçage du squelette commence à 34 ans. Et pas d’arrêt de travail, sauf à perdre sa place.
La vérité de Véronique, caissière. Postée au point d’accumulation de toutes les impatiences des clients – et sourire. Toujours : elle est filmée. Des centaines de kilos de produits défilent par ses mains – « des bouts de corps qui craquent ». Dos, cou, poignets qui brûlent, elle passe à la mise en rayon : tendinite calcifiante à l’épaule. Retour en caisse.
Darmanin : « Le travail n’est pas une maladie. »
En effet : ils en ont fait une démolition.

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Après les exosquelettes, les genouillères, le mercredi et les vacances : Darmanin rejoint – dépasse – Patriat, Ferracci, Guichard. Le geste des grévistes les fait tous apparaître pour ce qu’ils sont. C’étaient des importants, ce sont des immondices.
Ça aussi, maintenant, c’est à l’endroit.

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Cependant, c’est à l’endroit de la grève, à cet endroit seulement, que la remise sur pied peut durer ; s’étendre ; l’emporter.
On se retrouve des millions dans la rue : joie toujours plus nombreuse. « La manif » fait ce bien. Mais fait-elle de l’effet ? – à qui doit le sentir ?
Sans doute, on s’y éprouve plus forts. Néanmoins : pour quoi faire ?
Calcul : depuis 2006, nombre de journées de « manifs », nombre de manifestants cumulés ? Nombre de victoires ?
Depuis 2006, qu’est-ce que « les manifs » ont remis à l’endroit ?
Fausse joie ?

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Les employés de Géodis font grève 30 jours. À la fin la direction plie.
Les femmes de ménage d’Onet font grève 45 jours. À la fin la direction plie.
Les femmes de chambre de l’hôtel Ibis des Batignolles font grève 22 mois. À la fin la direction plie.
On fait grève, la direction plie – gouvernement comme patronat. Joie pure.
On manifeste par millions : 49.3, 47.1 – pintade.
Marcher-manif n’a jamais dérangé personne. Le gouvernement nous en informe assez souvent comme ça.

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Pour qu’il y ait remise à l’endroit, il faut renverser le monde à l’envers.
Lunettes, méthode, liste : bloquer son économie. Lunettes, méthode, liste : se réunir en assemblées. Lunettes, méthode, liste : ouvrir à un autre ordre social.
C’est la grève qui percute. La grève qui mord, la grève qui retourne. La grève tenue.
Or tenir a un coût.

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Sophie : « Moi ma grève ne sert à rien, je suis prof de yoga ! »
Pareil pour moi, sans le yoga.
Distribuer à l’endroit : répartir l’effort de blocage. Caisse de grève.

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La main à la caisse vaut la main à la grève.
L’une plus l’autre : il va les sentir, les gens.
Et enfin une idée d’aplomb : qu’il prépare sa retraite anticipée. On lui a accordé bien assez d’annuités.

Sandra LUCBERT [1]