A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Littérature et Chiapas : les voyages de B. Traven
À contretemps, n° 22, janvier 2006
Article mis en ligne le 25 janvier 2007
dernière modification le 20 novembre 2014

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Cette étude de Guido Barroero est extraite d’un article originellement paru en italien dans le numéro de juillet-septembre 2002 de Rivista storica dell’anarchismo. Nous en reproduisons ici, dans une traduction de Miguel Chueca, la partie relative à l’œuvre « mexicaine » de B. Traven. Le titre retenu pour cet article est de la rédaction.

Entre 1925 et 1929, Traven a écrit trois romans plus ou moins autobiographiques : Die Baumwollpflücker (« Les Cueilleurs de coton »), Das Totenschiff (Le Vaisseau des morts) et Die Brücke im Dschungel (Le Pont dans la jungle). Dans ces trois romans [1], le narrateur est Gerald Gales, un jeune Américain qui a rompu avec sa famille et sa société d’origine.

Dans Le Vaisseau des morts, Gerald Gales, qui exerce alors le métier de marin, est débarqué du navire Tuscaloosa sans le moindre papier et il ne parvient pas à retrouver une identité parce qu’il se heurte à l’obtuse méticulosité des appareils bureaucratiques, policiers et judiciaires de tous les pays européens (Pays-Bas, Belgique, France) dans lesquels il erre. On a là une description des plus fidèles, digne de l’œuvre d’Hasek, de l’idiotie des procédures de la bureaucratie dans l’Empire des Habsbourg.

À Cadix, en Espagne, Gales s’embarque sur le Yorikke, un « vaisseau des morts », c’est-à-dire un navire condamné par ses propriétaires à sombrer afin qu’ils puissent toucher la prime d’assurance. Comme Gales, aucun des membres d’équipage n’a de papiers d’identité : par conséquent, ils sont tous des hommes oubliés, déjà « morts » en quelque sorte. La vie à bord se déroule dans des conditions inhumaines. L’odyssée de ces « sans-papiers » [2] est sans espérance et ne peut finir que par leur mort. Seul Gales échappera au naufrage [3].

Dans Die Baumwollpflücker (« Les Cueilleurs de coton ») [4], Gerald Gales est un « homme sans qualités ». Yankee vagabond et déguenillé, il erre dans le Mexique d’Obregón. Sans métier, il fait tout et rien. Sa propre identité est impalpable : il ne prononce presque jamais son nom. Il n’est pas poussé par des élans idéalistes, mais ne veut pas non plus s’enrichir à tout prix. Il sait travailler durement, mais, quand il le peut, il préfère rester à ne rien faire. Il s’enivre, mais il peut aussi bien se priver de boire. Il semble indifférent à tout, mais est capable de s’émouvoir devant la beauté de la nature ou de se prendre de pitié pour le traitement infligé aux bêtes de somme.

Gales s’improvise d’abord chasseur, cueilleur de coton, puis il travaille comme foreur dans un champ de pétrole et, enfin, trouve à s’employer en tant que pâtissier dans une ville moyenne. Là, se déclenche une grève du syndicat des garçons de café, des barmen et des employés de pâtisserie. C’est là qu’est le sujet central du roman, qui oppose la dégénérescence du mouvement syndical européen et sa bureaucratisation à la vivacité révolutionnaire des Wobblies [5] américains et à la combativité anarchiste du syndicalisme mexicain, et met l’accent sur les différences entre les mouvements ouvriers de ces pays [6].

Dans Le Pont dans la jungle, Gales est le témoin muet d’une tragédie annoncée : la noyade d’un enfant indien. Sa mort est causée par une paire de chaussures neuves que son frère aîné, qui travaille dans un champ de pétrole à Corpus Christi, lui a achetée au Texas. De plus, l’enfant tombe d’un pont, dépourvu de parapet et d’éclairage, qu’une compagnie pétrolière américaine a construit sur un fleuve du lieu. Les coupables de la mort de l’enfant sont le pétrole, l’argent, le progrès technique, bien qu’elle soit stoïquement acceptée par la mère comme la volonté du « destin » [7].

Ce qui précède nous suggère quelques remarques.

La première tient de l’évidence : les expériences de Gales reflètent le vécu de Traven lui-même [8] - ses pérégrinations à travers l’Europe, la recherche de papiers et d’une nouvelle identité, l’embarquement pour l’Amérique, la fréquentation des Wobblies, la découverte d’un nouveau prolétariat, sa condition de déraciné, sa vie vagabonde et les nombreux métiers qu’il exerce, sa rencontre avec la réalité indienne.

La deuxième est que, en tant que figure, Gales s’efface progressivement dans le triptyque des romans : protagoniste actif au début, il devient simple témoin. On a affaire là à une sorte de reflet de la vie de Traven, qui, militant politique à l’origine, se transforme en âpre observateur des phénomènes sociaux et culturels.

La troisième est que ces trois romans – à côté du fameux Le Trésor de la Sierra Madre [9] et de Rosa Blanca [10], tous parus en 1929 – font partie d’un parcours intellectuel qui est une sorte de voyage à contresens dans la complexité de la société et de l’économie capitaliste. Un voyage aux « sources du fleuve » qui sera complété par les successives productions littéraires de Traven : les six romans du « cycle de la caoba » [11] écrits entre 1931 et 1940.

Il s’agit là, en vérité, d’un parcours complexe qui mêle les expériences et les choix de vie personnels, les considérations sur la variété des formes de domination économiques et sociales du capitalisme, les réflexions sur le prolétariat, sur les révolutionnaires et sur la nature même de la révolution.

Voyons les choses dans l’ordre : le Marut de Munich est un intellectuel et un rebelle, un polémiste et un agitateur des masses prolétariennes dans un pays capitaliste avancé où les contradictions de la société s’expriment, de façon classique, au plus haut degré (crise, guerre, révolution).

Le Marut-Gales qui fuit à travers l’Europe puis s’embarque sur un cargo en direction de l’Amérique est un vaincu et le témoin d’une défaite historique, mais c’est précisément en tant que tel qu’il conserve des liens très forts avec l’Ancien Monde.

Le Traven-Gales qui aborde au Mexique, voyage sur les traces de l’IWW, le nouveau syndicalisme révolutionnaire d’origine américaine et anglo-saxonne, le mieux outillé, par son dynamisme et sa vivacité, pour représenter les masses prolétariennes du Nouveau Monde, soit les masses multi-ethniques et précarisées d’Amérique du Nord, soit les masses en développement tumultueux de la réalité urbaine mexicaine.

Le Traven qui est devenu le simple narrateur des expériences tragiques des trois yankees déracinés  [12] du Trésor de la Sierra Madre, rejetés parmi les déchets de toutes les sociétés, ou de celles de l’indio Yáñez de Rosa Blanca, écrasé avec ses compagnons par la machine capitaliste du profit, est le Traven qui disparaît, anéanti par l’évidence de l’impossibilité d’une perspective révolutionnaire dans la société capitaliste, conscient de la puissance destructrice de l’argent dans l’affrontement des économies, des cultures et de l’existence même des sociétés les plus primitives, comme celle des indios du Chiapas.

Tierra y Libertad

Ce Traven qui disparaît passe le témoin à Andrés Ugalde – personnage-clé du « cycle de la caoba » –, un jeune indio « civilisé » qui dégringole dans l’échelle sociale du Mexique urbain semi-esclavagiste de Porfirio Díaz, où un être humain peut être « perdu » au jeu des patrons [13]. C’est ainsi qu’Andrés devient carretero [14] et que, dans les dures fatigues du labeur, s’accomplit le premier acte de sa prise de conscience.

Le personnage d’Andrés est absent du deuxième roman du cycle, Regierung  [15], mais il revient pour s’imposer finalement comme un de ses protagonistes les plus importants. Dans Der Marsch ins Reich der Caoba, Andrés Ugalde et Celso Flores, son compagnon d’infortune, condamnés, pour des dettes inexistantes, à une sorte de travail forcé dans une montería [16], doivent affronter un dur et dangereux voyage à travers la jungle pour rejoindre le lieu où ils purgeront leur peine. Celso, qui a déjà travaillé dans la montería, se sent mourir avant même de s’y rendre. On peut en dire autant de tous les indios traités en esclaves dans les monterías : ils sont morts au monde, ils sont traités comme des morts par leurs chefs parce qu’ils n’ont aucun des droits dont jouissent les vivants. Ils sont considérés comme des morts, comme une marchandise utile à leurs recruteurs.

Dans le roman suivant – Die Troza –, on décrit la vie des indios dans la montería, des hacheros qui abattent les arbres avec leurs haches et des bouviers qui mènent les trozas [17] jusqu’au fleuve. Comme il a déjà travaillé avec des bœufs quand il était carretero, Andrés choisit de se faire bouvier, mais il se rend compte très vite qu’être carretero, aussi difficile que ce soit, n’a rien de comparable avec sa nouvelle condition. Dans la montería, les animaux sont maltraités, mais plus encore les humains, soumis qu’ils sont à de durs châtiments jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il est habituel, par exemple, de suspendre un homme à un arbre par les bras et les jambes toute une nuit quand il n’a pas fourni la quantité de travail obligatoire, soit deux tonnes de trozas par jour.

Dans La Révolte des pendus – le cinquième roman, le plus important du cycle –, les tensions atteignent leur point culminant pour exploser enfin dans une révolte sanglante, juste quand s’accomplit le processus de maturation humaine et politique d’Andrés.

La vie dans la montería est toujours plus insupportable : à la dureté du travail vient s’adjoindre la cruauté et les châtiments des surveillants [18]. La révolte semble pourtant impossible étant donné l’attitude fondamentalement soumise des indios, leur manque d’armes, la férocité des surveillants et l’arrivée toujours possible des soldats. Mais plus les conditions d’exploitation deviennent bestiales et plus tout espoir semble s’évanouir chez les opprimés, plus fort est le feu qui brûle sous la cendre, le feu véloce et brutal de la révolte. Et c’est ainsi que les choses vont se passer, la rébellion éclatant de la façon la plus violente qui soit. Les patroncitos, les capataces, et même les artesanos et leurs familles, tenus pour traîtres et collaborateurs, seront brutalement exécutés : « Il fallait d’abord (...) tuer les maîtres et leur progéniture, saccager les domaines fortifiés comme des châteaux forts, pour que les petits paysans pussent cultiver les champs et les protéger contre un retour offensif des patrones, quand les rebelles auraient déposé les armes. » [19] Rien ni personne n’est épargné : « Tous les livres et tous les inventaires seront brûlés. Et tous les contrats aussi ! Il n’y a plus ni comptes ni rien ! Plus de dettes, plus de contrats ! Quand nous nous mettons à nettoyer, nous faisons le nettoyage en grand... Pour que nous soyons tout à fait libres, il faut que nous brûlions tout. » [20] La révolution triomphe et après qu’on a fait justice de tous les argousins, les péons des fincas et les muchachos des monterías accourent de partout, comme un fleuve en crue, au cri de « ¡ Viva la rebelión ! ¡ Tierra y libertad ! » pour construire une sorte d’armée révolutionnaire dont Andrés devient un des chefs.

Le cycle se clôt avec Ein General kommt aus dem Dschungel. Le roman relate les batailles de l’armée des travailleurs de la montería au cours de son voyage à travers la jungle, avec l’espérance de conquérir, par eux-mêmes, la terre et la liberté. La devise de Zapata, « Tierra y Libertad », est leur cri de ralliement. Ils libèrent les travailleurs d’autres monterías, lesquels viennent grossir leurs rangs, et remportent de brillantes victoires dans leurs batailles contre les surveillants des fincas, contre la police, les rurales et l’armée régulière. Recueillant les armes des vaincus, ils continuent leur marche vers la capitale. Arrivés là, ils découvrent que la révolution a déjà eu lieu, et qu’elle s’est achevée il y a seize mois par la fuite de Porfirio Díaz. Le chaos règne dans Mexico : les partis politiques et les chefs militaires luttent les uns contre les autres pour le pouvoir.

L’armée des péons est saisie de découragement, mais bien vite surgit une commune anarchiste qu’on va nommer Solipaz (Sol y Paz). La révolution a gagné, la révolution a perdu, la révolution continue sous d’autres formes.

L’anarchisme de Traven

Les convictions anarchistes de Traven, du moins pour ce qui est de sa période bavaroise, sont proches du noyau « dur » de l’anarchisme du début du XXe siècle. Les ennemis sont : l’État, le principe d’autorité, le capitalisme, le nationalisme, la guerre, l’Église, la bureaucratie, les préjugés raciaux, mais aussi les partis politiques et le socialisme autoritaire ou institutionnel des communistes ou des sociaux-démocrates. Il ne s’agit pas en l’occurrence d’une conception explicitement « classiste », ni particulièrement portée sur l’organisation stable des révolutionnaires, mais elle se reconnaît au moins dans le travail d’agitation des années munichoises, l’acceptation du rôle des conseils ouvriers et l’activité de la minorité agissante dans le processus révolutionnaire. Elle n’est donc pas assimilable à la conception principalement « éducationniste », ou simplement testimoniale, typique de certains secteurs de l’anarchisme.

D’après Baumann, l’anarchisme de Traven est profondément connoté dans un sens stirnérien, individualiste et anti-organisationnel. Ces conclusions sont surtout fondées sur le goût de l’agitation individuelle, déjà manifestée à Munich, par exemple avec la rédaction individuelle de Der Ziegelbrenner, et l’analyse des conceptions exprimées dans Le Vaisseau des morts concernant la responsabilité individuelle des exploités.

En réalité, alors que le penchant pour l’activité individuelle n’implique pas forcément un refus total des formes d’organisation (rappelons le rôle de Marut dans la République socialiste de Bavière et dans la brève expérience de la République des conseils), en ce qui concerne le second point, on peut trouver dans la pensée de Traven quelques aspects assez particuliers.

Le premier est sans conteste la responsabilité des exploités dans l’acceptation de leur propre condition. L’échec des tentatives révolutionnaires de masse ne laisse comme seule option que la lutte individuelle. Mais celle-ci est une lutte inégale, vouée elle aussi à l’insuccès parce qu’on ne sait pas, ou qu’on ne veut pas, se soustraire aux règles imposées par l’ennemi. Voici ce qu’en pense Gales : « Si j’avais enjambé le bastingage, je ne serais pas dans cet enfer ; je n’ai donc pas le droit de me plaindre ou d’accuser. Pourquoi n’ai-je pas sauté ? Pourquoi ne sauterais-je pas maintenant ? Pourquoi supporter ce martyre ? » [21]

Mais l’acquiescement aux règles, et voici le second aspect du problème, n’est que le reflet d’une attitude plus générale, qui est l’acceptation du pouvoir : « Tous les problèmes de l’homme commencent avec la pensée. Si on pense bien, on est bon. Si on pense mal, on est mauvais. Si on pense à la guerre, on a la guerre. Comme tous les gens pensent à l’argent, l’argent et le capitaliste sont le seul pouvoir, le plus important et le plus influent de tous les pouvoirs. [22] » Ou encore : « Ce n’est pas tant l’or qui transforme les êtres que la puissance qu’il leur donne. C’est cela qui les excite, dès qu’ils voient de l’or ou même en entendent parler. » [23] C’est justement ce caractère inévitable du pouvoir et de l’argent qui rend le capitalisme invincible, et qu’on le perçoit comme une « seconde nature ». Mais il est peut-être possible de se soustraire à cet état de choses par une prise de conscience individuelle, avec toutes les limites des actions qui en découleront, ou en partant d’une autre condition « naturelle » non encore soumise, mentalement et culturellement, aux rapports de domination capitalistes.

C’est ainsi qu’il en va pour les indios réduits à l’esclavage dans les monterías, pour le protagoniste de Rosa Blanca, Jacinto qui, devant « ce régiment de pièces d’or qui étaient rangées là sur la table[...], n’en comprenait pas la valeur. C’était une fantasmagorie. De telles valeurs n’existaient pas [...] » [24], ou encore pour les mestizos qui tuent Dobbs, après l’avoir volé, dans Le Trésor de la Sierra Madre : remplaçant la poudre d’or par de la terre, ils abandonnent les sacs éventrés et la précieuse poudre est emportée par le vent, comme un symbole de sa caducité [25]. Eux tous perçoivent les aspects les plus cruels du capitalisme et du pouvoir : n’en tirant guère que des miettes, ils ne sont pas soumis à une quelconque corruption idéologique. Traven n’idéalise pas les indios : il rend compte de leur résignation atavique et du fait que, dans le choc entre les cultures, la leur, c’est-à-dire la plus faible de toutes, sera à la longue écrasée [26]. Mais, s’il existe une possibilité d’insurrection collective, de révolution, elle ne peut que passer par là.

Et si la rébellion peut exploser, ce sera donc une explosion (flamboyante et sanglante comme dans La Révolte des pendus) instinctuelle – que ne dirigera aucune avant-garde, quelle qu’elle soit –, et certainement pas un processus articulé et progressif. Le pouvoir et ses symboles seront extirpés avec une violence égale à celle dont les exploités ont été les victimes. Ce sera une révolte anarchiste, libertaire, une délivrance rudimentaire, élémentaire, mais efficace, conforme à la vision que pouvait en avoir un révolutionnaire européen désillusionné par la fin des espérances dont fut porteur un mouvement ouvrier désormais écrasé par la domination capitaliste, la lourdeur de plomb de la social-démocratie et les menées du stalinisme.

Traven, dernier acte

À la fin des années 30, les romans du « cycle de la caoba » mettent un terme à l’activité littéraire militante de Traven et à l’évolution de sa pensée politique. C’est la période de son grand succès littéraire. Ses romans sont traduits dans de nombreuses langues. Son style simple, mais riche en sarcasmes et en traits contre les mécanismes d’enrichissement, d’exploitation et d’exclusion de la société capitaliste, lui valurent un grand succès populaire, le transformant en une sorte de nouveau Jack London. À cette réputation contribua également l’adaptation cinématographique du Trésor de la Sierra Madre par John Huston. Dans les années suivantes, d’autres romans et récits de Traven servirent d’inspiration à des films, produits principalement par des Mexicains [27]. Toutefois, comme cela a lieu parfois, le succès est suivi d’une période d’assèchement de l’inspiration littéraire : Traven n’écrira plus rien de significatif au cours des vingt années postérieures. Dans ces années, les hypothèses et les spéculations sur la véritable identité de l’écrivain se succèdent : on se met à parler de plus en plus de lui comme d’un révolutionnaire allemand en exil. Traven démentira toujours catégoriquement cette hypothèse [28].

En 1960, paraît sa dernière œuvre littéraire, Aslan Norval, un roman injustement sous-estimé par la critique, qui y a vu l’abandon définitif de toute velléité révolutionnaire face au capitalisme triomphant. En réalité, il s’agit d’une satire féroce d’une société où le pouvoir de la finance et des mass-médias s’impose sur tout et sur tous [29].

Le 26 mars 1969, Traven meurt dans sa maison de la rue Mississipi, à Mexico. Ses cendres seront dispersées au Chiapas. Les indios n’ont pas fait la révolution et le capitalisme triomphant anéantit, jour après jour, la culture et les traditions de tout un peuple. Cependant, ainsi que l’écrivait prophétiquement Traven en 1929, les indios « avaient perdu une belle patrie, une patrie chérie à la ruine de laquelle ils avaient cru naguère ne pouvoir survivre. Mais lorsqu’ils apprirent à voir, qu’ils s’éveillèrent de leur torpeur et qu’ils rejetèrent les petites habitudes qui pesaient sur eux depuis un temps immémorial, ils reconnurent qu’à la place de leur petite patrie étriquée, ils en avaient acquis une plus grande qui avait aussi sa beauté. Et tandis que la petite patrie semblait toujours rester ce qu’elle était, la nouvelle patrie, plus grande, était d’une autre essence. Elle ne se bornait pas à l’horizon. Elle s’accroissait de jour en jour avec leurs connaissances, elle semblait n’avoir plus de limites et englobait tous les hommes, tous les pays, toutes les pensées que l’on pouvait concevoir » [30].

Et nous pourrions ajouter : la possibilité d’une révolution de tous les peuples, de tous les gens, de tous les exploités, du monde entier, enfin.

Guido BARROERO
[Traduit de l’italien par Miguel Chueca.]

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