Le peuple – car il s’agit de lui – se réveille contre les dernières mesures en date de la caste : contre les mesures ciblées d’obligation de vaccination de certaines professions, l’imposition d’un contrôle social digital généralisé et présenté comme un moindre mal, l’hypocrisie d’une politique dont les « éléments de langage » prétendent ne rien imposer, mais qui en vérité contraint à tout ; contre la banalisation d’un « passe sanitaire » entraînant la mise au ban programmée de nombreuses personnes, des travailleurs ou des élèves.
D’un côté, il y aura les bons, doublement vaccinés ; de l’autre, les mauvais, pas encore ou pas assez vaccinés, ou simplement méfiants vis-à-vis du vaccin, pas convaincus ou pas encore. Pour les premiers, le flux ; pour les autres, le reflux, sauf à présenter un test bientôt payant et donc discriminatoire.
La cause de la levée des colères est simple. Elle est juste aussi. À condition de s’en tenir aux raisons qui la motivent. Il est inutile de chercher d’autres raisons en puisant au fond des passions tristes et du délit d’opinion, en complotant sur le complotisme supposé – et parfois avéré – des manifestants. Comme pour les Gilets jaunes, tout mouvement de masse en formation charrie ses contradictions. Le peuple est comme il est, jamais comme certains voudraient qu’il soit. Comme au temps des Gilets jaunes, l’appareil politique du discrédit recommence à frémir avec la même hargne, en s’instaurant garant de la morale publique, celle qu’il piétine pourtant chaque jour.
La droite dure et extrême veut s’emparer de la rue sur le thème de la « liberté »… Mais ces dévots habituels de l’autorité n’ont qu’un seul objectif : imposer la leur en devenant calife à la place du calife. Nos principes sont à l’opposé : ils sont la responsabilité et la solidarité. Notre cause est celle d’un peuple qui veut s’autodéterminer, éclairé sérieusement et en conscience par les faits scientifiques, guidé par la dure expérience des personnels hospitaliers hier célébrés comme des héros, aujourd’hui menacés comme des traîtres.
Mais Jupiter confond sciemment vaccination et passe sanitaire. Ce sont pourtant deux choses différentes. Le passe n’est pas un simple carnet de vaccination, il n’a pas seulement vocation à « protéger » comme on nous l’annonce, mais aussi à « renseigner ».
Depuis les premiers jours de mars 2020, le gouvernement impose une politique sanitaire/sécuritaire sur le mode de l’obligation, de la coercition, à l’image de ce qui s’est passé dans le domaine social. Il postule que la population est majoritairement irresponsable et que seules des mesures autoritaires sont à même de permettre le contrôle de la situation.
Bien au contraire, une authentique politique sanitaire doit refuser l’infantilisation et l’autoritarisme. Elle doit s’appuyer sur la pédagogie et la délibération. La contrainte et la décision d’un seul, dans un contexte d’état d’urgence quasi permanent, suscite en revanche la méfiance, alimente la suspicion et crée un terrain propice aux théories abracadabrantesques. Chacun doit pouvoir juger par lui-même grâce à la disposition publique d’une information complète, précise et honnête sur les avantages de chaque option.
La logique demanderait de faire porter les efforts sur les « personnes à risque », celles qui devraient être vaccinées en priorité ou bien être confinées. Or c’est le contraire qui est mis en œuvre. Si l’État prenait ses arguments au sérieux il devrait également être déjà en mode « open source » pour le vaccin, avec une licence libre pour que tous les pays à même de le produire, comme par exemple la Tunisie, puissent le développer et l’utiliser. Les États qui n’ont pas hésité à financer les Big Pharmas et à prendre sur eux les risques d’échec de la recherche, n’hésitent pas à bloquer le processus de libération des vaccins obtenus en bonne partie sur fonds publics.
La logique à l’œuvre, une fois encore, est la soumission à une décision autoritaire et non concertée, ce qui est déjà une bonne raison de ne pas s’y soumettre. Le but est en outre d’expérimenter des techniques de contrôle des populations –leur faisabilité, leur coût, leur acceptation – afin de les mettre au point et, conformément à la technique du pied dans la porte, d’habituer les populations à les accepter.
Le premier confinement a permis à l’exécutif d’expérimenter l’état d’urgence généralisé en accoutumant la population à un déploiement jusqu’alors inimaginable de policiers, militaires et robots de surveillance. Le consentement sous peine d’amende exorbitante à l’auto-autorisation de sortie – souvent renommée « ausweiss » en mémoire de l’occupation allemande – fut le prélude à l’acceptation contrainte de l’autorisation – maintenant étatique – à fréquenter tel ou tel lieu public, pour certains vitaux, comme l’hôpital.
La technologie utilisée allie surveillance et contrôle via le téléphone portable. L’application TousAntiCovid contient un « carnet numérique » qui stocke des données personnelles. Les promoteurs de cette technologie ont beau jurer de leur bonne foi en arguant que seules les informations nécessaires à la lecture des tests et vaccins accessibles sur l’appli seront effacées trois à six mois après, il est raisonnable d’en douter.
C’est donc tout à la fois la technologie et les modalités d’application du passe sanitaire qu’il faut refuser. Plus qu’un abandon de libertés, on nous demande de donner quitus de toutes les menaces d’ingérences, de surveillances que recèle ce dispositif. Bien sûr cela nous est demandé au nom du bien commun, pour sauver des vies. Comment se refuser à ce modeste sacrifice au nom d’une cause si noble, sinon se sentir coupable ?
Mais les quelques décennies qui viennent de s’écouler sont déjà lourdes des nombreux reculs et concessions obtenus de loi en loi par les pouvoirs successifs. Ce passe pourra être contrôlé par un groupe fortement élargi et globalement dédié au contrôle social. La nouvelle doctrine de l’Intérieur publiée au printemps veut ainsi mettre en place un gradient des « personnels sécuritaires » toujours plus nombreux intégrant militaires professionnels et réservistes, police nationale, police municipale, polices privées et sociétés de gardiennage. Chacun son rôle et son armement, mais tous unis au sein d’une mission renforcée.
Chacun d’entre eux sera autorisé à contrôler les passes, même ceux qui ne sont pas assermentés. La mise en application intégrera à cette cohorte les responsables d’une grande partie des lieux publics (cinémas, restaurants...), transformés bon gré mal gré – amendes exorbitantes à la clef – en auxiliaires de police.
Si ces avancées peuvent se faire si rapidement, c’est parce qu’à un moment donné, les technologies sont prêtes. Le passe sanitaire annonce le système déjà en place en Chine sous la forme du Crédit Social qui est une extension du Credit Score américain, développé par une boîte d’intelligence artificielle et synthétisant de nombreuses données personnelles en une note utilisée pour attribuer ou refuser un crédit.
Un jour, des petits malins de la Startup Nation trouveront ça « cool » et vanteront les avantages de leur nouvelle vie connectée, du temps gagné... Le milieu des startups organise déjà des happenings d’auto-puçage. Peu à peu mobilisée à coup d’incitations « nudge », la masse suivra. Bientôt les réfractaires verront des accès se fermer, comme cela commence déjà à être le cas pour les non-possesseurs de téléphones « smart ».
Le précipice est devant nous, la société du Pass Big Brother est « En marche ».
1er août 2021
Serge AUMEUNIER (ingénieur), Pierre BANCE (juriste), Virginie COLLOMB (juriste), Pauline COUTEAU (philosophe), Franck DAVID (écrivain), Alain ÉLUDUT (dessinateur-projeteur), Nicolas ÉPRENDRE (réalisateur documentariste), Véronique FAU-VINCENTI (historienne), Freddy GOMEZ (écrivain), Hélène HERNANDEZ (féministe), Guillaume LÉTURGIE (boulanger), Wenceslas LIZÉ (sociologue), Patrick MORENO (informaticien), Philippe PELLETIER (géographe), Anne STEINER (sociologue), Annick STEVENS (philosophe).
[Ce texte collectif est repris du blog « No-passaran » hébergé par Mediapart]