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Pousser le bouchon
Dix thèses sur le temps qu’il fait
Article mis en ligne le 2 juillet 2021

par F.G.


[bleu marine]– I –[/bleu marine]

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Il n’est pas rare que le succès aille à l’imposture en portant au pouvoir un personnage d’importance nulle. Macron en est l’exemple, et probablement le plus flagrant depuis longtemps. Il n’est pas rare non plus, ce qui réconforte, qu’une apparente réussite, louée par une presse sans âme ni intelligence, finisse par tourner aussi mal que possible. Au grotesque pour l’imposteur ou au bain de sang pour les gueux qui ont révélé l’imposture. L’inconnue qui demeure, c’est la manière dont se conclura le tout. Car l’histoire peut passer l’éponge quand elle devrait vider le seau. Et plus souvent que nécessaire. D’où cet incertain qui guette.

[bleu marine]– II –[/bleu marine]

Il faut être aveugle ou sourd, ou les deux à la fois, pour ne pas comprendre que la démocratie représentative ne représente plus rien : ni la forme de démocratie qu’elle est censée organiser, ni le peuple qui lui en a donné mandat. Tous ses masques sont tombés les uns après les autres : celui de son efficacité, de sa vertu, de sa défense de l’intérêt général. Le dernier en date, celui de sa légitimité, celle que lui conféreraient ses représentés, mise à mal d’élection en élection, vient d’être jeté aux puits des chimères par la gigantesque vague abstentionniste – autour de 68% – du dernier scrutin en date avant échéance présidentielle. Désormais, cette démocratie représentative de rien apparaît clairement pour ce que, de fait, elle est : la forme politique d’un régime oligarchique géré par un appareil d’État qui, lui-même, est à sa botte et ne gouverne que pour défendre ses intérêts. Au prix même de l’organisation de la guerre civile.

[bleu marine]– III –[/bleu marine]

Le macronisme aura au moins eu cet avantage de rendre si visible la bassesse de ses intentions que, quels que soient les coups tordus qu’il prépare, aucun faux-nez ne la dissimule plus. Il y a du pathétique dans sa clique. Elle rame sans accoster nulle part, comme hantée par une idéologie en déshérence contre laquelle, de partout et de nulle part, se lèvent des colères que, dans sa folle croyance d’avoir définitivement gagné la partie, le néo-libéralisme – cette forme de capitalisme total – a porté, porte ou portera à incandescence.

[bleu marine]– IV –[/bleu marine]

À partir du moment où la démocratie représentative ne représente, pour le coup, rien d’autre que cette part de méfiance sécessionniste et légitime qui semble s’emparer des ex-électeurs, tous les partis, sectes, clans ou factions qui, d’une façon ou d’une autre, s’en réclament, sont exposés au désaveu, c’est-à-dire au risque, sitôt élus, d’être déclarés illégitimes par l’expression populaire. Car si Macron a prouvé qu’on pouvait être président à 24% – et même le croire –, c’était sans oublier de préparer sa fuite à Varennes au plus chaud de l’insurrection des Gilets jaunes. Depuis, il ne parade que convoyé sous bonne garde policière, dans des villages Potemkine méticuleusement choisis et préalablement vidés de ses habitants. À la moindre erreur de vigilance de ses services, il risque au moins une petite baffe. À la mesure de son glorieux score.

[bleu marine]– V –[/bleu marine]

Aussi honnie que celles de politicien et de flic, la profession d’éditorialiste mainstream a sombré depuis longtemps dans le discrédit le plus total. Sa constance dans le mensonge et la mauvaise foi, sa disqualification de toute forme de résistance au désordre du monde, sa bassesse propagandiste, ses affects autoritaristes sont à la mesure de la panique qu’elle éprouve à l’idée de l’effondrement d’un système qui la fait grassement vivre à la mesure de ses ambitions de passe-plat de l’obscénité régnante. Aveugle et stupide, elle s’est déjà condamnée aux poubelles de l’histoire, celle dont personne ne la sortira.

[bleu marine]– VI –[/bleu marine]

Ce qui progresse, c’est l’idée qu’aucune gauche de transformation n’est désormais en capacité de nous redonner l’air qui nous manque, et donc qu’il ne sert plus à rien de céder à l’illusion. Ce qui monte, c’est la nécessité de se déprendre des anciens mécanismes de reproduction de l’illusoire, la volonté diffuse de sortir de l’espace de la pensée close, le désir de décider ici et maintenant des formes plurielles, inventives et conjuguées que prendront nos assauts concertés contre une société mourante qui favorise l’extrême richesse de quelques-uns et condamne les autres à l’épuisement, la déréliction ou la paupérisation sans que jamais les porte-voix du capitalisme total ne corrèlent les effets et les causes. Ce qui sourd et remonte d’écho en écho, c’est la conviction que rien ne nous sauvera que nous-mêmes de l’effondrement social qui menace, de la désespérance qu’il engendrera et des cauchemars historiques qu’une telle défaite radicale pourrait réactiver.

[bleu marine]– VII –[/bleu marine]

Les adeptes du sociétal, en marche comme sa « République », nous diront que c’est faire là peu de cas de la complexité, des données objectives, des subjectivités en conflit, des aspirations d’une jeunesse urbaine supposément gagnée au nomadisme et à l’ubérisation du monde. Grand bien leur fasse ! C’est ce monde, précisément, qui craque de partout et qui va finir par nous péter à la gueule, ce monde infâme de l’illimitation du capital, de la crise permanente, de l’épuisement de l’imaginaire, des écrans du malheur, de la climatisation des neurones, de la guerre de tous contre tous, du retour de la peste religieuse, de l’ineffable ennui qui nous sclérose aux terrasses de la survie diminuée qu’on nous vend comme indépassable. Rien de tout cela ne peut ouvrir une perspective sauf à avoir abdiqué toute aspiration à reprendre le pouvoir sur nos vies.

[bleu marine]– VIII –[/bleu marine]

Depuis que l’économie a colonisé les esprits, aucune pensée critique n’a d’effet qui contente de répéter les anciennes formules de la dialectique du maître et de l’esclave. Le réel, c’est le monde de l’économie totale, celui qu’elle nous impose comme devant déterminer nos us, nos coutumes, nos désirs, nos affects, nos manières d’être des êtres d’avoir et d’en être ravis. Dans ce dispositif totalitaire, celui qui n’a rien n’est rien. On ne le tolère que comme invisible. Et, isolé dans son univers, il finit par se convaincre de sa qualité de surnuméraire. Plus il s’immerge dans le concret de son malheur social, plus il s’isole. Et plus il s’isole, plus il s’aliène, comme perdant définitif, à l’idéologie des gagnants. Il n’y a pas là de servitude volontaire, mais le résultat d’un long processus qui fait de l’homme brisé le responsable de son malheur. On l’appelle et il vient pour la corvée : quelques pizzas à livrer dans la nuit glaciale d’un hiver qui lui a gelé le cœur. Il faut qu’il trouve la chaleur d’un rond-point occupé par des Gilets jaunes pour que tout s’inverse dans sa tête et que, de but en blanc, il comprenne que le monde de l’économie totale est un monde de tueurs qu’il faut détruire avant qu’il ne nous asphyxie un à un.

[bleu marine]– IX –[/bleu marine]

C’est au-delà de soi et de nos identités politiques propres qu’il faut dorénavant chercher et trouver des raisons de multiplier des pratiques horizontales, locales et globales, susceptibles de desserrer l’étau de l’invivable devenir-monde que le capital à son stade actuel de folle accumulation nous promet. En ce sens tout ce qui, par la voie de la sécession ou du retrait, contribue à l’enrayer, ne serait-ce qu’à la marge, est bon à prendre. De même, aucune critique conséquente de la marchandisation du monde ne peut, aujourd’hui, se passer d’une attitude claire sur la nécessité de se déprendre des fausses solutions de rechange que génèrent le capitalisme lui-même – dans sa version verte anti-fossile, par exemple –, et sa sphère politique – dans la pseudo-revitalisation « citoyenne » de la démocratie représentative. Voter, ce n’est plus seulement abdiquer, c’est aussi relégitimer la forme la plus fossile de délégation de pouvoir et le refus du mandat impératif.

[bleu marine]– X –[/bleu marine]

Mais tout cela, qui est à portée de vouloir et ne dépend que de nous, ne suffira pas à inverser le rapport des forces. Car le macronisme a amplement prouvé comment la démocratie représentative était capable d’accoucher, sur la base d’un vote de consensus « antifasciste » de second tour, d’un régime policier au bilan répressif inégalé. Aucune stratégie de sortie du capitalisme ne saurait donc éviter de se poser, à terme, la question des modalités que devra prendre l’affrontement avec la milice armée du capital qu’est devenue la police « républicaine ». Les Gilets jaunes ont, certes, réinventé le courage dans l’engagement, mais celui-ci n’a pas suffi à faire plier les nervis en uniforme. Reste à se doter collectivement d’audace, de capacités d’invention et d’intelligence stratégique pour pousser plus loin le bouchon de l’insoumission civile organisée – la vraie, s’entend. C’est à ce prix que nous gagnerons le pain et les roses.

FOUQUET’S et MAT
Amicale des ronds-points


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