■ L’histoire de l’Association internationale des travailleurs (AIT) et des conflits qui la parcoururent, constitua longtemps un terrain privilégié d’affrontements interprétatifs le plus souvent fondés sur le ralliement des experts – académiques et/ou militants – à l’une ou l’autre des deux conceptions du socialisme qui, sous diverses formes et en divers épisodes, irriguèrent l’existence mouvementée et passionnante de l’association jusqu’à la rupture finale entre « autoritaires » et « anti-autoritaires ».
L’analyse historique peut se concevoir, à charge ou à décharge, comme une sorte de traque de responsabilités. Dès lors, il ne s’agit plus, pour l’expert, que d’alimenter un dossier dont il sait, par avance, ce qu’il devra prouver. Et il prouve. Quitte à se voir démenti par un autre expert qui, lui, prouvera le contraire. Pour le cas, l’impératif était de choisir le camp de Marx ou celui de Bakounine. Et, longtemps, celui du premier fut dominant, y compris dans l’Alma Mater. Dire qu’il ne l’est plus relève de l’évidence, ce qui ne saurait signifier que l’autre a pris sa place. Les temps sont plutôt à l’ignorance relativiste.
Pour qui continue de s’inscrire – imaginairement – dans la tradition historique de cette Première Internationale, la question demeure, cependant, d’en dégager la conflictualité – vitale – qui la caractérisa de sa gangue idéologique explicative. C’est là, nous semble-t-il, le principal intérêt de ce texte de Georges Haupt (1928-1978), historien français d’origine roumaine, qui, pour être marxiste, n’en aspirait pas moins à être un historien social se défiant, par nature, de tout parti pris idéologique réducteur. Ceux qui, comme élèves, l’ont fréquenté pourront en attester.
Cette étude a paru, en hommage à l’auteur, dans Bakounine, combats et débats, collection historique de l’Institut d’études slaves (XXVI), Paris, IES, 1979, pp. 133-142. Avec pour titre original : « La confrontation de Marx et de Bakounine dans la Première Internationale : la phase initiale ».– À contretemps.
Parmi les combats de Bakounine, celui qu’il a mené contre Marx et dont la scène fut la Première Internationale occupe indubitablement une place de choix. Il a tout autant contribué à perpétuer la célébrité du révolutionnaire russe qu’à la ternir. Cette querelle a polarisé longtemps l’attention des militants et des historiens de l’AIT. Elle garde une résonance d’actualité étonnante, exerce un appel idéologique continu, d’autant plus que le débat pose des problèmes de fond et dans le feu de la polémique jaillissent des accents prophétiques. Ainsi la hantise des conséquences possibles des velléités hégémoniques : les termes d’orthodoxie, de dogmatisme apparaissent pour la première fois dans l’évocation du danger qu’ils représentent pour l’AIT. Marx dénonce Bakounine et son Alliance qui « sous le masque de l’anarchisme le plus outré dirige ses coups non contre le gouvernement existant, mais contre les révolutionnaires qui n’acceptent pas son orthodoxie ni sa direction... Elle substitue effrontément son programme sectaire et ses idées étroites au large programme, aux grandes aspirations de notre Association ». Bakounine réplique : « Aucune théorie philosophique ou politique ne doit entrer, comme fondement essentiel, officiel, et comme condition obligatoire, dans le programme de l’Internationale, parce que, comme nous venons de le voir, toute théorie imposée deviendrait, pour toutes les Fédérations dont l’Association se compose aujourd’hui soit une cause d’esclavage, soit la cause d’une division et d’une dissolution non moins désastreuse... C’est l’existence d’une théorie officielle qui tuerait, en la rendant absolument inutile, la discussion vivante, c’est-à-dire le développement de la pensée propre dans le monde ouvrier. Du moment qu’il y aurait une vérité officielle, scientifiquement découverte par le travail isolé de cette grande tête exceptionnellement – et pourquoi pas providentiellement aussi ? – garnie de cervelle, une vérité annoncée et imposée à tout le monde du haut du Sinaï marxien, à quoi bon la discuter ? Il ne reste plus qu’à apprendre par cœur tous les articles du nouveau Décalogue. »
En fait, le débat se déroule sur un terrain bien différent, moins élevé, plus sinueux que ne le suggèrent les textes polémiques. Ouvrir ce dossier comporte des risques certains et des dangers.
Le risque, c’est de succomber aux « bavardages incompétents » ou « scientifiquement indécents ». Les dangers sont tendus par les sources mêmes dont nous disposons. Elles ont en quelque sorte tissé les rets dans lesquels se sont laissé prendre les exégètes qui ont accordé la même importance à des faits de portée inégale, les ont mis sur le même plan et ont amplifié la signification des gestes et des paroles. Documents de nature polémique où chacun trouve la citation qui ne laisse « subsister aucun doute » sur la justesse de telle ou telle interprétation, ils permettent de prolonger la démarche partisane justificatrice ou l’approche projective et laissent la porte grand ouvert aux suppositions les plus contradictoires.
La personnalité des protagonistes, la complexité des situations, la forme que revêt le conflit, elles aussi, contribuent à un certain arbitraire de l’éclairage. « La hiérarchie des relations de cause à effet dépend dans cette affaire de la manière dont on aborde le sujet », constate Miklós Molnár. L’écueil signalé est de taille, de même que ses conséquences. Il a faussé considérablement un point essentiel : les origines et les motifs de la querelle. L’explication qui reste toujours enracinée a été accréditée explicitement par Bakounine, suggérée avec habileté par Marx : l’antagonisme personnel, moulé dans une haine profonde. Les comportements, les propos, les agissements des protagonistes permettent aisément d’étayer cette thèse. Et pourtant sa validité est contestable dans la mesure où elle inverse causes et conséquences. Inversion génératrice de tout un système d’explications susceptible de faire dévier l’analyse et surtout d’occulter les articulations de ce conflit majeur. L’importance de la dimension personnelle dans cette affaire est indéniable. La réduire à ses justes proportions, la décaper de sa coloration psychologisante est indispensable pour comprendre le pourquoi et le comment de cet affrontement âpre, sans merci, entre deux systèmes de pensée et d’action dont Marx et Bakounine ont été les chefs de file.
Un tel essai de remise en question de la tradition n’a rien d’original. Il y a un demi-siècle, soumettant à une critique serrée les diverses légendes, accusations et affirmations péremptoires, Franz Mehring a examiné de près la nature des relations entre Marx et Bakounine pour conclure que rien n’autorise la thèse d’une hostilité qui aurait découlé du caractère, de l’ambition et de l’aversion des deux géants. Certes, les points de friction initiaux étaient multiples, les divergences potentielles notables, mais pas de nature à dégénérer forcément en un conflit sans mesure. Mehring qui conclut à une responsabilité (ou à une irresponsabilité) partagée introduit à son tour une autre explication, tout aussi susceptible de déplacer l’accent : ce sont les intrigues, les interventions, les agissements de tierces personnes qui ont tissé la trame du conflit. En figeant l’image d’un Marx mal informé, induit en erreur et d’un Bakounine emporté, dépourvu de « sagesse » politique, Mehring projette en quelque sorte sa propre expérience dans le SPD : les attaques dont il a été l’objet, son attitude « politiquement sage » qui a permis d’éviter un éclat, de désamorcer l’explosif et d’apaiser les passions.
Les rapports personnels entre Marx et Bakounine sont bien connus, de même que le fait qu’ils se prêtent à des interprétations contradictoires selon l’angle sous lequel est l’objectif à travers lequel ils sont examinés. En soi, cette dimension ne suffit pas pour faire la part des travestissements et des motivations réelles. Travestissements en ce qui concerne le langage dans lequel s’expriment les protagonistes et les formes que revêt la confrontation à ses différentes étapes. Ils occultent notamment la question : depuis quand peut-on parler d’un conflit ? Quelles sont la signification et les implications des divergences qui apparaissent dans l’intervalle qui sépare l’adhésion de Bakounine à l’AIT en 1868 de sa mort en 1876 ? Car l’image d’un conflit unilinéaire, allant en crescendo pour déboucher sur la scission de l’AIT repose en premier lieu sur le postulat de l’antagonisme personnel. Or par la nature, la signification, l’intensité et la portée des divergences, on peut distinguer trois moments. Le premier se situe entre 1868 et 1870 : tout y est flou, à peine ébauché. Bakounine multiplie ses témoignages d’amitié envers Marx et l’on ne saurait encore parler d’un conflit. Leurs désaccords – quant au contenu et à la forme – ne se singularisent pas par rapport aux altercations et aux confrontations dont regorge l’histoire de l’AIT. Les suspicions existent. Elles prennent une dimension et une importance démesurées par rapport à leur signification originelle à la lumière de l’affrontement devenu aigu après 1870. La seconde période est cruciale, elle se situe entre 1870 et 1872, années qualifiées par Engels d’« époque décisive » (entscheidende Zeit). Le conflit d’abord latent, camouflé, se transforme en rivalité, en hostilité, y compris sur le plan personnel. Il devient une guerre totale, une rupture définitive. C’est avec la Commune de Paris que l’antagonisme sur le plan idéologique et personnel devient irréductible. Dans la dernière phase, quand la scission est consommée, la pomme de discorde apparaît dans toute son ampleur et la polémique acquiert la tonalité de la haine. Cet essai de périodisation n’est qu’un préambule pour indiquer le cadre et les limites de cet exposé.
Quelles sont en effet les sources qui accréditent l’idée de l’animosité personnelle et la situent dans une période où rien ne laissait prévoir l’antagonisme entre les deux hommes ? D’abord, certains documents provenant de Bakounine, écrits dans les années 1871-1872, donc en plein conflit. Dans ces documents de nature justificatrice, que ce soit des lettres privées ou destinées au grand public, il cherche à fournir ses explications de l’origine et de la cause de cette querelle et à mobiliser ainsi les militants contre Marx. Bakounine, qui à cet égard ne manque pas d’arguments, s’est employé à démontrer qu’il est la victime de l’autoritarisme et des ambitions de Marx. Il privilégie, dans son système d’explication, le facteur personnel pour étayer sa thèse : la responsabilité incombe à son adversaire. Il situe l’origine du conflit au congrès de Bâle et la cause dans l’animosité d’un Marx guidé par l’idée de vengeance. La défaite qu’ont subie « les communistes autoritaires de l’école de Marx » à ces assises sur la question de l’héritage a été cruellement ressentie par Marx qui, dit-il, « n’a jamais pu nous pardonner ». C’est pourquoi, « aussitôt après ce congrès, lui et les siens ont commencé contre nous une guerre qui ne tend rien moins qu’à notre démolition complète » (lettre à Lorenzo, 1872). Ces explications sont davantage une légitimation qu’un essai d’analyse. Ainsi Bakounine antidate-t-il souvent les faits. Dans la même lettre à Lorenzo, il dira : « Depuis 1868, époque de mon entrée dans l’Internationale, j’ai soulevé à Genève une croisade contre les principes mêmes de l’autorité et prêché l’abolition des États en enveloppant dans la même malédiction cette soi-disant dictature révolutionnaire que les jacobins de la Première Internationale, les disciples de Marx, nous recommandent comme un provisoire absolument nécessaire à la consolidation et à l’organisation de la victoire du peuple. » Or l’idée de la dictature du prolétariat à laquelle Bakounine fait allusion n’a été formulée par Marx avec une telle connotation qu’après la Commune de Paris. Bakounine systématise et rationalise les faits autour des défauts de la personnalité de Marx – son extrême vanité, sa jalousie – pour expliquer le conflit. L’accent est mis sur la haine de Marx et des marxiens contre lui, qui les conduit à mettre en œuvre toutes les infamies, « les abominations, les calomnies et les mensonges », méthode adoptée « par les Allemands et surtout par les Juifs allemands pour combattre leurs adversaires ». Ses rancunes déjà anciennes contre Borkheim, Moses Hess refont alors surface.
Une comparaison avec les justifications que Bakounine avait fournies quelques années auparavant, quand ses relations avec Marx commençaient à se détériorer, permet de déceler les changements d’accent, de langage et de style qui se produisent ultérieurement au cours d’un conflit ouvert.
Je me réfère à la fameuse lettre que Bakounine envoie à Herzen le 28 octobre 1869. Document remarquable en ce qu’il se prête à diverses interprétations en fonction de la lecture et de l’usage qu’on veut en faire. Bakounine présente à Herzen le terrain sur lequel il compte engager ses rapports avec Marx. Si l’on isole la seconde partie de cette lettre, on peut conclure à des intentions belliqueuses de la part de Bakounine, qui se prépare à une lutte à mort avec Marx. Mais déclencher une offensive lui semble prématuré, les conditions du succès n’étant pas réunies puisque la majorité de l’AIT appuie Marx : « Si j’entamais une guerre contre Marx, les trois quarts de l’Internationale se tourneraient contre moi. » Commencer la lutte par une attaque contre ses acolytes semblerait une opération plus payante car il pourrait contraindre ainsi Marx à prendre parti pour lui. « Nos ennemis constituent une phalange qu’il faut d’abord diviser, briser, pour pouvoir ensuite les battre plus facilement. » Si l’on s’en tient aux termes de ce fragment, les épreuves de force, qui se déclenchent quelques mois plus tard, apparaissent comme parfaitement logiques et prévisibles et on peut procéder à une déduction apparemment cohérente à la lumière des faits qui interviennent peu après : l’entourage de Bakounine abat trop tôt ses cartes et Marx, suspicieux, décrypte une manœuvre belliqueuse qu’il met au compte de Bakounine. Examinons néanmoins la première partie de la lettre dans le contexte des rapports Bakounine-Herzen et de l’attitude hostile de ce dernier envers Marx, des attaques humiliantes qu’il subit de la part de Borkheim et de Liebknecht, tous deux proches de Marx ; cette lettre acquiert alors une autre résonance, elle dévoile le système de justifications que Bakounine va employer trois ans plus tard. Seul l’accent est différent. Répondant à la lettre de Herzen qui lui rappelait à quel point Marx était coupable à leur égard et s’étonnait de ce que, malgré cela, il collabore avec lui et chante ses louanges, Bakounine se sent obligé de fournir une double explication : la justice et la tactique. La justice, c’est de tenir compte des « immenses services rendus par Marx à la cause du socialisme » depuis un quart de siècle. La tactique lui fait temporairement respecter une alliance. Ce n’est qu’au conditionnel qu’il parle de l’éventualité d’une guerre « non pas pour l’offense personnelle... mais pour une question de principe, à propos du communisme d’État... Alors, ce sera une lutte à mort ».
Les sources provenant de Marx et de son entourage se prêtent également à des lectures multiples. Il s’agit en premier lieu de sa correspondance avec son vieux complice et confident, Friedrich Engels. La virulence des adjectifs, des accusations, frappe le lecteur non avisé et fournit les citations nécessaires pour étayer la thèse de l’hostilité personnelle : « Manifestement ce Russe voudrait devenir le dictateur du mouvement ouvrier d’Europe », écrit Marx à Engels le 27 juillet 1869, lançant ce qui pourrait paraître comme un avertissement : « Qu’il prenne garde, sans quoi il sera officiellement excommunié. » Cette phrase aurait une valeur indicative si elle avait été écrite à un membre influent de l’AIT qui n’eut pas été son intime. Elle n’a pas la même signification dans une lettre à Engels qui, de surcroît, n’est pas encore associé à l’activité du Conseil général. Sa réponse est du même style ; il se demande « si ce maudit Russe pense effectivement à se hisser en intriguant à la tête du mouvement ouvrier européen » et s’il ne serait pas alors « temps qu’on s’en occupe sérieusement et qu’on soulève la question de savoir si un panslaviste peut être membre d’une Association internationale des ouvriers ». Interrogation qui provoque le commentaire : « Qu’il ne s’imagine surtout pas qu’il puisse faire le communiste cosmopolite en face des ouvriers et le panslaviste fanatiquement national en face des Russes. » Le son que rend tout ceci est très belliqueux. En fait, il ne tranche guère sur l’ensemble du ton employé dans cette correspondance à propos d’autres personnes, même des proches tels que Liebknecht, accusations qui ne débouchent pas forcément sur un acte. Ce n’est même pas la traduction d’une pensée intime ; c’est le registre passionnel dans lequel s’exprime un milieu à une époque.
La signification de la correspondance de Marx change en fonction de son correspondant et du moment, lorsque le conflit est déclaré. Quand, dans une lettre à Lafargue du 10 avril 1870, il reproche « à ce maudit Moscovite d’avoir réussi à provoquer dans nos rangs un grand scandale, à faire un mot d’ordre de sa personne », il ne s’agit plus d’emphase du langage. C’est déjà la traduction d’une situation et d’une pensée réelle. Cette lettre consigne en quelque sorte le début du conflit. La critique philologique n’est qu’un présupposé indispensable pour trouver la grille adéquate à la lecture de ces textes si riches en invectives, en attaques personnelles, en calomnies employées pour discréditer l’adversaire sur la toile de fond de la méfiance et des soupçons. Evidemment, ce qui rend la tâche ardue, c’est que cette lecture s’effectue sur deux plans et que l’articulation des textes diffère selon qu’on suit les motifs du conflit à travers Marx ou à travers Bakounine.
Néanmoins, les deux hommes se situent sur un terrain commun : l’ambiance mentale, psychologique du milieu dont ils font partie. Le style du pamphlet, les écrits polémiques, les invectives sont propres au genre répandu, à la forme d’expression privilégiée du milieu socialiste des années 1850-1870. Marx et Bakounine excellent dans le genre, le manient à la perfection. Le style pamphlétaire transparaît même dans leurs correspondances.
La méfiance et les soupçons ne peuvent être réduits à des traits de caractère. Ils sont eux-mêmes caractéristiques, avant tout, de l’atmosphère dans laquelle vit la gauche post-quarante-huitarde. Milieu restreint, marginal, persécuté, déchiré par les dissensions, tributaire encore de l’horizon mental propre à l’exil politique qui donne largement le ton. Marx qui juge sévèrement les mœurs de l’exil et garde ses distances n’en fait pas moins partie, tandis que Bakounine est immergé dans le monde des révolutionnaires exilés. Traumatisé par l’échec de la révolution de 1848 et galvanisé par le nouveau flux du mouvement ouvrier dont la création de l’AIT apparaît comme le produit, ce milieu est atteint d’espionnite. La méfiance règne envers les agents imaginaires à la solde de Bonaparte, de Bismarck ou du tsar, ainsi que la crainte d’agents de la police qui infestent réellement le mouvement. Nul n’échappe aux soupçons et les accusations calomniatrices sont monnaie courante. Tolain est qualifié d’agent de Bonaparte, Marx d’agent de Bismarck, etc., Herzen et Bakounine sont accusés, surtout par les socialistes allemands, d’être les agents du tsarisme : Liebknecht, Borkheim et Hess l’affirment en public. Ultérieurement, Bakounine soutient que ces pamphlets calomniateurs ont été inspirés, sinon écrits par Marx. Hypothèse peu fondée qui est susceptible de surcroît, de masquer l’essentiel. La méfiance envers Bakounine de la part des socialistes allemands est bien indépendante de Marx. Elle reflète aussi bien l’état d’esprit dominant que les préjugés et les craintes dont Bakounine fera les frais : la russophobie consécutive au traumatisme de l’échec de la révolution de 1848, le spectre du panslavisme, idéologie réactionnaire par excellence de l’époque, support de l’ennemi principal, le tsarisme. Ce sont là certains des traits fondamentaux de l’horizon mental et de la sensibilité des socialistes allemands, qui subsisteront jusqu’en 1914.
Car la méfiance que Marx manifeste envers Bakounine dès son adhésion à l’Internationale se situe dans ce contexte, mais elle s’abreuve à bien d’autres sources. La personnalité de Bakounine, ce qu’il incarne, le moment de son adhésion, le lieu de son audience, ses initiatives le mettent en garde et le prédisposent contre lui.
Le passé révolutionnaire, les conceptions de Bakounine sur l’action révolutionnaire, notamment son association avec les sociétés secrètes, constituent pour Marx un danger potentiel pour le développement de l’AIT. À partir de la fondation de l’Internationale, il a cherché à parer la tentation de prolonger un passé qu’il juge révolu et qui constitue à ses yeux un piège redoutable, les sociétés secrètes. En 1868, par l’intermédiaire du journaliste Eichhoff, auteur d’une histoire autorisée de l’AIT, Marx explique la rupture avec les formes traditionnelles des associations révolutionnaires qu’il a voulu réaliser au cours de l’élaboration des documents constitutifs de la Première Internationale. La structure centralisée et conspirative proposée par les statuts d’inspiration mazzinienne a été selon Marx rejetée par le Conseil général provisoire parce qu’elle « aurait anéanti dès le départ les conditions de vie du mouvement ouvrier international ». La menace continue à peser sur l’AIT comme en témoignent les multiples mises en garde du Conseil général. « L’essence d’une Association qui s’identifie à la classe ouvrière elle-même, est d’exclure toute résurgence de la forme des sociétés secrètes. » C’est en ces termes que le Conseil général proteste le 3 mai 1870 contre le procès intenté en France aux dirigeants de l’AIT, accusés d’avoir fomenté un complot contre Napoléon III.
Or, au-delà de la véracité des accusations formulées ultérieurement par Marx et jamais démontrées, à savoir que Bakounine aurait maintenu une société secrète à l’intérieur de l’AIT, contrairement à ses engagements, un fait incontestable demeure : Bakounine ne s’est jamais départi de sa conception qui se situe au cœur même de sa théorie de la révolution avant son adhésion à l’AIT. Il tente encore en 1869 de réunir ses amis dans une association secrète, la Fraternité internationale. N’oublions pas que trois ans plus tard, en mars 1872, définissant le caractère des sociétés secrètes, Bakounine y voit un noyau composé de militants sûrs, éprouvés et énergiques, âme et inspirateur de l’Internationale, « le pont nécessaire entre la propagande des théories socialistes et la pratique révolutionnaire ». Les soupçons ou les allégations de Marx ne peuvent donc être déchiffrés uniquement en termes de mauvaise foi, ou de désir de forger un instrument de guerre contre Bakounine, mais aussi comme une inquiétude réelle. Le problème des sociétés secrètes est un élément essentiel des divergences fondamentales entre Marx et Bakounine sur le concept de révolution.
L’emploi du terme de secte n’a pas chez Marx une connotation uniquement polémique. C’est pour lui la manifestation inévitable de l’immaturité, de l’enfance du mouvement ouvrier. Il met sur le même plan des groupes idéologiques enfermés dans leur système rigide et les tentatives conspiratrices en tant qu’instrument de la révolution. Les antinomies entre Marx et Bakounine vont se cristalliser ultérieurement, après la Commune de Paris, à une phase déjà avancée du conflit, sur les notions de parti, de lutte politique et de dictature du prolétariat.
Le moment de l’adhésion de Bakounine à l’AIT est aussi un élément dont il faut tenir compte. L’année 1868 est cruciale dans l’histoire de l’AIT qui après un démarrage lent et pénible connaît un début de diffusion rapide. César de Paepe parle alors de l’ « immense développement que prend cette vaste organisation des forces prolétariennes ». En fait, cette expansion est très souvent embryonnaire ; elle suggère une puissance mais ne marque qu’une présence. Le recrutement reste limité et surtout peu stable. De surcroît, l’extension géographique, marquée par l’entrée des pays latins à prédominance agraire est susceptible de produire de nouveaux clivages sociologiques et d’alimenter la tentation des sociétés secrètes. Tout en affichant l’optimisme, Marx est conscient de la fragilité de l’institution, de la vulnérabilité de l’orientation qu’il cherche à lui donner et surtout de l’emprise que peut exercer le Conseil général sur cet ensemble diffus, peu structuré qu’est l’AIT. Dans le rapport du Conseil général présenté en septembre 1868 au Congrès de Bruxelles, il note : « L’AIT se trouve dans une situation excellente, mais n’oublions pas qu’elle n’a vu le jour que d’hier. » Cette jeunesse, mais surtout la croissance rapide, qu’elle ne parvient pas à contrôler, la rendent vulnérable à ses yeux et perméable aux tentatives pour la détourner de la voie qu’il essaie de tracer et pour lui ôter le caractère de classe qu’il souhaite accentuer.
Enfin, le lieu d’où commence à irradier l’influence de Bakounine est également pour Marx un sujet de préoccupation. Genève est un point stratégique, après Londres le second centre de l’Association, son pôle continental. La section allemande de Genève, dirigée par Johann Philipp Becker, un vieux quarante-huitard, proche de Marx sans lui être acquis, orchestre l’action en Europe centrale et rayonne dans toutes les zones germanophones. Le Conseil général songe d’ailleurs à plusieurs reprises à se transférer aux bords du Léman. Or, il lui semble que Becker, un des fondateurs de l’Alliance, a été acquis à Bakounine, « à ce nouveau venu ». Dès l’été 1869, Marx s’interroge sur le comportement de Becker. Derrière ses thèses développées dans le Vorbote concernant l’organisation du parti social-¬démocrate allemand et la réorganisation de l’AIT sur des bases linguistiques, Marx décèle non seulement l’intention de légaliser la situation de point central de Genève, mais surtout « une machination archi-réactionnaire, digne des panslavistes ! » Il y voit la main de Bakounine car il ne croit pas Becker, qu’il juge médiocre, capable d’une initiative d’une telle envergure.
Faudrait-il ajouter à ces facteurs de discorde l’histoire bien connue de la demande d’adhésion collective de l’Alliance internationale de la démocratie socialiste. Contrairement à une opinion largement répandue, cette affaire ne semble pas jouer un rôle important dans les rapports Marx-Bakounine avant 1870 et n’est pas génératrice de l’antagonisme. Expliquer l’attention particulière accordée par le Conseil général à la demande d’adhésion de l’Alliance en premier lieu par la personne de Bakounine n’est qu’une supposition. Certes, en soi, cette démarche n’a rien d’extraordinaire. Mais ce n’est pas non plus une question banale. Elle ne saurait être assimilée aux demandes habituelles d’affiliation collective qui constituent l’essentiel du recrutement de l’AIT. Rappelons que l’adhésion à l’AIT pouvait être individuelle ou collective, de sorte que la Première Internationale est restée, selon Steklov, « un conglomérat assez hétéroclite d’unions syndicales, de coopératives, d’associations de propagande et d’éducation ». Mais il s’agissait toujours d’associations, de sociétés, de syndicats locaux ou, à la rigueur, nationaux. Ce n’est pas le programme de l’Alliance, mais son organisation pratique, son caractère et l’objectif poursuivi qui étaient incompatibles avec l’AIT. Fondée en partie par des militants en vue de l’Internationale, elle se présente comme une association internationale et désire le rester à l’intérieur même d’une autre Association internationale. Elle cherche même à gagner de nouvelles adhésions dans les rangs de l’AIT. Une telle symbiose pouvait engendrer des confusions multiples comme en témoigne le cas de Fanelli ; ce dernier partit en Espagne pour organiser les groupes de l’Alliance qui constituèrent à leur tour les sections de l’Internationale. Le résultat fut désastreux car, comme le constate Arthur Lehning, « Fanelli confondit le programme de l’Internationale et celui de l’Alliance, ce qui donna lieu plus tard à beaucoup de confusion ». Ambiguïté accentuée par l’objectif que s’assignait l’Alliance : combler ce que Bakounine considérait comme une faiblesse de l’AIT, l’absence d’un programme radical, et lui insuffler l’« idéalisme ». Point n’était besoin d’être prévenu contre Bakounine ou vigilant comme Engels pour se rendre compte des complications qui en résulteraient et du danger encouru pour les structures organisationnelles et la direction de l’AIT. De nombreux internationaux sollicités d’adhérer à l’Alliance pensent de même. La réponse du Conseil général de la section belge de l’AIT en janvier 1869 est à cet égard éloquente. Il juge dans une longue lettre-réponse rédigée par César de Paepe que ce projet est « nuisible à la cause du prolétariat », qu’il est susceptible « en dépit de toutes les bonnes intentions » des initiateurs de susciter « des tiraillements et tôt ou tard [d’acculer] à une scission au sein de notre grande Association internationale des travailleurs ». D’ailleurs Bakounine sera le premier à se rendre à l’évidence et à se plier aux exigences du Conseil général. Il cherche à se conformer aux assurances qu’il donne à Marx dans sa lettre du 22 décembre 1868 où il déclare : « Ma patrie maintenant c’est l’Internationale dont tu es l’un des principaux fondateurs. » Son entrée remarquée aux premières assises internationales auxquelles il assiste, à Bâle en 1869, ne contredit pas cette affirmation. En faisant triompher contre le projet de Marx sa résolution sur le droit d’héritage, il a pu apparaître comme un adversaire coriace et redoutable. Les réactions épistolaires de Marx sont virulentes, mais elles ne se lisent pas en termes de vexation, de vengeance, ou d’affront. Ce n’était pas le premier congrès de l’AIT où Marx était mis en minorité sur une question de programme. La résolution adoptée sur la question d’héritage ne le menaçait pas sur le terrain qu’il occupait solidement.
En revanche, les mouvements et les actions de Bakounine et de son entourage laissent planer trop d’ambiguïté, revêtent trop l’allure de manœuvres pour ne pas éveiller la suspicion de Marx envers les contacts que Bakounine pouvait maintenir avec ses partisans les plus étroits et envers les desseins qu’il nourrit. Les présupposés d’un conflit s’accumulent non pas dans les gestes notoires, connus de Marx, mais dans l’inconnu, dans les faits qu’il ignore et qu’il perçoit comme indicateurs, donc comme dangers.
Le conflit s’amorce à la fin de 1869 lorsque Marx, méfiant, décrypte dans les attaques contre le « communisme autoritaire » du Conseil général parues dans L’Égalité et qu’il attribue à tort à Bakounine une volonté de celui-ci de s’engager dans une querelle publique. La réplique ne va pas tarder. Mais la communication privée du Conseil général au Conseil fédéral de la Suisse romande du 1er janvier 1870 n’est encore qu’une mise en garde, sans intention belliqueuse. Jusqu’à fin février, le ton de Marx est à l’apaisement. Il déplore la chasse à courre qui a commencé en Suisse et en France contre Bakounine à la suite de la communication privée. « Mais est modus in rebus et je ferai attention à ce qu’aucune injustice ne se produise », écrit-il à Engels le 19 février 1870. Or un mois plus tard le ton et les intentions changent radicalement. La communication confidentielle que Marx rédige le 28 mars 1870 à l’adresse de Kugelmann et à l’intention de la section de Brunswick de l’AIT est une attaque frontale contre Bakounine, un long réquisitoire contre ses faits et ses intentions depuis son adhésion à l’AIT. Les accusations sont graves et formulées sans euphémisme. Marx cherche à accréditer l’idée que Bakounine est un intrigant extrêmement dangereux qui veut mettre la main sur l’AIT. Soumettant ce document à un examen critique, Franz Mehring conclut : « Point n’est besoin de dresser la liste des nombreuses erreurs qu’il comporte sur le compte de Bakounine. Les reproches adressés à ce dernier sont en général d’autant moins fondés qu’ils apparaissent comme plus accablants. » La question ne se pose pas uniquement en termes de véracité des accusations. Il faudrait ici savoir si Marx croit à ses allégations. Pourquoi en est-il arrivé brusquement à des conclusions aussi catégoriques ? Le mois de mars 1870 semble décisif dans la détérioration des rapports entre les deux hommes. Les nouvelles en provenance de Genève, notamment les lettres alarmantes d’Henri Perret, secrétaire de la Fédération romande à Hermann Jung du Conseil général l’inquiètent d’abord et semblent ensuite confirmer ses conjectures. Ainsi le 3 février 1870, Perret fait état d’un plan de Bakounine que la Fédération a réussi à déjouer. Ce plan consistait, selon Perret, dans « la création de l’Alliance avec son comité occulte, créant des relations extérieures en cherchant à transformer les groupes internationaux en sections de l’Alliance, ensuite à faire partie du groupe genevois ». L’information semble avoir été prise au sérieux par Marx puisqu’il écrit le 1er février à Engels que si, nominalement, « l’Alliance de la démocratie socialiste est dissoute, en fait elle continue d’exister ». Marx interprète et systématise à sa manière les diverses informations dont il dispose. Sensibilisé, alerté, il rassemble les morceaux isolés de ce qu’il croit être un puzzle : une vaste manœuvre aux ramifications internationales qui s’étend sur la Suisse, la France, la Belgique, l’Italie, l’Espagne, manœuvre dirigée contre le Conseil général afin de le discréditer.
La scission intervenue dans la section romande au Congrès de La Chaux-de-Fonds au début avril 1870 (d’où sont issus la Fédération des sections du Jura et son comité) marque un tournant dans les relations entre Marx et Bakounine. La lettre collective adressée par la minorité du Congrès au Conseil général tend à apporter la confirmation que « Bakounine instituait dans l’ombre et sous la protection du nom de l’Alliance toutes sortes de comités secrets dans son sein, où sa dictature personnelle travaillait à faire dévier l’Association internationale en cherchant à mettre les membres les uns contre les autres à force de calomnies sur le compte des hommes de l’Internationale, affirmant que certains hommes cherchent à introduire dans l’Association des tendances bourgeoises et réactionnaires ». Dès lors, dans toutes les oppositions au Conseil général, Marx décèle les intrigues de l’Alliance et l’ambition de Bakounine de s’emparer des leviers de commande de l’AIT. La longue liste des incriminations qu’il consigne dans sa lettre à Paul Lafargue du 19 avril 1870 comprend déjà les nouvelles accusations et conclut : Bakounine a réussi à « infecter notre Association des Travailleurs du poison du sectarisme et [à] paralyser notre action par des intrigues secrètes ». La suite de l’histoire est connue.
La manière dont va se dérouler le conflit, les formes qu’il prend contribuent à leur tour à suggérer la thèse de l’inimitié personnelle. Fait étrange relevé par Miklós Molnár : Marx dont la bibliographie est si riche en écrits polémiques n’a « jamais engagé une lutte idéologique sérieuse contre les thèses éclectiques de l’apôtre de l’anarchisme ». L’explication qu’il suggère, Marx n’a pas pris Bakounine au sérieux, suscite néanmoins des réserves. Ce refus d’engager le débat doctrinal est avant tout d’ordre tactique. Tout l’effort de Marx tend, en effet, à minimiser Bakounine, à dénier toute consistance théorique à son rival. Il refuse de reconnaître le système de pensée de Bakounine non parce qu’il dénie sa consistance, comme il l’affirme péremptoirement, mais parce que Marx cherche ainsi à le discréditer et à le réduire aux dimensions de chef de secte, de conspirateur de type ancien. À cet égard, la lettre d’Engels à Carlo Cafiero du 28 juillet 1871 est révélatrice. Soulignant la nécessité de la discussion entre opinions divergentes à l’intérieur de l’AIT qui se poursuit à tous les niveaux, notamment dans le « Conseil général qui comprend des communistes, des proudhoniens, des owenistes, des chartistes, des bakouninistes », Engels signale les limites du débat en mettant l’accent sur la difficulté majeure qui « consiste à les mettre tous d’accord et à prendre garde que les divergences d’opinion sur les faits ne compromettent pas la force et la stabilité de l’Association. Nous y sommes toujours parvenus, avec la seule exception des bakouninistes suisses qui, dans leur fureur sectaire, ont sans cesse tenté d’imposer leur programme à l’Association, directement ou indirectement en fondant une société internationale spéciale avec son propre conseil général, son propre congrès et ceci au sein même de la grande Internationale ».
Marx n’envisage pas « l’affaire Bakounine » comme un épisode des conflits idéologiques qui se déroulent à l’intérieur de l’AIT. Pour lui il s’agit de l’antagonisme fondamental et la bataille qu’il livre contre le révolutionnaire russe est capitale. L’enjeu immédiat, c’est la direction de l’AIT et son avenir. Le déroulement de ce combat pour préserver le terrain occupé ou le conquérir ne se pose pas en termes d’hostilité personnelle, d’honnêteté ou de malhonnêteté, d’intrigue et de manipulation. Il se plie à la logique, sinon aux règles de la lutte pour le pouvoir. Non pas entre deux hommes, issus de deux cultures opposées, mais entre deux options, deux plates-formes inconciliables incarnées et défendues par deux fortes personnalités aux visions et aux visées bien précises et antinomiques. La lutte pour le pouvoir traduit l’opposition « entre deux conceptions, deux méthodes foncièrement inconciliables de la lutte ouvrière », selon les termes de M. Rubel, concernant non seulement les moyens à employer mais aussi le but à atteindre. C’est dans la controverse autour de la reconnaissance ou du rejet de la lutte politique et du parti politique que les données fondamentales du conflit Marx-Bakounine prennent corps dans l’AIT. James Guillaume au congrès de La Haye résume ainsi les positions : « La majorité veut la conquête du pouvoir politique dans l’État, la minorité veut le contraire : la destruction du pouvoir politique. »
L’AIT était trop exiguë pour abriter et faire coexister un Marx et un Bakounine ; l’enjeu trop important pour qu’un compromis fût possible. Les deux protagonistes le savaient bien, d’autant plus qu’ils connaissaient parfaitement leurs capacités. Nul ne tenait en aussi haute estime les aptitudes théoriques de Marx que Bakounine. Nul n’était aussi conscient que lui de l’incompatibilité de leur système de pensée. « Je professe un ordre d’idées diamétralement opposé au sien, mais jamais, au grand jamais, je ne me suis posé comme l’antagoniste de sa personne ou comme son ennemi. » En fait, Bakounine après 1871, contribue largement à réduire l’attitude de Marx à une rancune qui découle de son caractère, de sa « doctrine autoritaire et vaniteuse », conséquence inévitable de la russophobie et du pangermanisme. Ce n’est qu’après le congrès de La Haye, en 1872, où Marx remporte la victoire, fût-elle à la Pyrrhus, que Bakounine cherche à rectifier le tir et engager la bataille sur le terrain de la confrontation doctrinale.
Georges HAUPT
Bakounine, combats et débats, Paris, IES, 1979, pp. 133-142.