A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Que veut la Ligue socialiste ? [1908]
À contretemps, n° 48, mai 2014
Article mis en ligne le 12 mars 2015
dernière modification le 6 mars 2015

par F.G.

Ce texte a été publié dans le numéro du 24 octobre 1908 de Der freie Arbeiter.

La Ligue socialiste entend rassembler tous les hommes qui veulent sérieusement réaliser le socialisme.

On vous a dit que la société socialiste ne pouvait se substituer à l’exploitation, à la prolétarisation, au capitalisme que dans un avenir lointain et incertain. On vous a fait remarquer qu’il fallait tenir compte du « développement ».

Nous disons : le socialisme ne viendra jamais si vous ne le créez pas.

Il y en a, parmi vous, qui disent que la révolution doit d’abord venir pour que le socialisme puisse commencer.

Mais comment ? Instaurer le socialisme par en haut ? Socialisme d’État ? Où sont, dans ce cas, les organisations, les commencements, les premiers germes de travail communautaire et d’échange juste et égal entre communes de travail socialistes ? Nulle part, on n’en trouve la moindre trace ou la moindre allusion ; nulle part, on n’agit dans la considération de cette nécessité.

Devons-nous, le moment venu, nous reposer sur les avocats, les politiciens, les tuteurs du peuple ?

Les peuples ont toujours eu des expériences malheureuses avec ces gens-là.

Nous disons : il faut renverser les choses, mettre la tête à la queue ! Nous n’attendons pas la révolution pour que commence le socialisme ; nous commençons par faire du socialisme une réalité pour qu’advienne le grand bouleversement du monde !

Toutes les organisations que le peuple laborieux a créées jusqu’à maintenant pour ses propres besoins sont des organisations de lutte pour la survie à l’intérieur de la société capitaliste. Elles sont nécessaires afin que les individus et les branches professionnelles puissent continuer d’exister et qu’ils puissent se procurer de petits avantages ; mais elles ne permettent pas de sortir du cercle du capitalisme ; elles ne permettent pas d’aller au socialisme.

Le marxisme, qui joue un rôle aussi important que funeste dans le mouvement ouvrier, a prédit que la prolétarisation va continuer à s’étendre ; que les crises économiques vont s’aggraver de plus en plus ; que la lutte de concurrence entre les capitalistes va devenir toujours plus acharnée ; que le nombre d’entreprises ne va cesser de diminuer ; et qu’ainsi le capitalisme doit s’écrouler.

Les choses, en vérité, ont-elles pris cette tournure ? Où en sont réellement les choses ?

Que fait l’État ?

Il arrondit les angles quand la misère devient trop grande ; par le biais de lois de toutes sortes – lois d’assurances ouvrières, de protection sociale ou de réglementation du travail –, l’État s’efforce d’empêcher que le capitalisme ne succombe à ses propres excès, s’efforce de perpétuer le système qui est le nôtre : un système d’injustice, qui pousse jusqu’à l’absurdité la production et la répartition des biens.

Si le capitalisme se perpétue, cela est dû au travail légis-latif de l’État. Si le capitalisme se perpétue, cela est dû aussi au travail législatif de la classe ouvrière et de ses représentants.

Que font les capitalistes ?

Ils s’efforcent, par le biais de trusts, de syndicats d’inté-rêts, d’assurances mutuelles et d’accords de toutes sortes, de faire mentir la prophétie des savants marxistes enfermés dans leurs cabinets. Ils ne se font aucune concurrence inutile, ils se viennent en aide les uns aux autres. Au lieu de s’entretuer sans pitié, ils se maintiennent mutuellement en vie et limitent les crises en organisant la production. Tout cela se fait peut-être souvent au détriment des travailleurs, mais très certainement au détriment du socialisme. Car le capitalisme se perpétue.

Que font les travailleurs dans leurs organisations économiques et dans leurs luttes ? Dans leurs syndicats ?

Dans leurs syndicats, les travailleurs sont organisés à l’intérieur du capitalisme, selon les branches d’industrie et les groupes de métiers dont a besoin le capitalisme. Par le biais des assurances et des caisses de soutien, par l’amé-lioration des conditions de travail et de vie des travailleurs, on s’efforce dans telle branche d’atténuer les horreurs les plus révoltantes, de perpétuer l’état des choses. Les choses ? Le capitalisme !

Car, ce que les individus gagnent en tant que producteurs, le peuple le perd dans son ensemble, et avant tout le peuple laborieux, en tant que consommateur. Qui paie les salaires que le capitaliste verse à ses travailleurs ? Celui-là même qui a besoin des marchandises : le travailleur en tant que consommateur.

La lutte économique reste une nécessité pour les travailleurs, tant que nous sommes plongés dans le capitalisme. Mais elle ne nous permet pas d’en sortir. Elle nous y retient toujours plus fermement.

Qu’est-ce qui nous conduira au socialisme ?

La grève générale !

Mais il s’agit d’une grève générale d’une tout autre nature que celle qu’on trouve généralement dans la bouche des agitateurs et dans le cœur des masses facilement exaltées – ces masses qui, après avoir la veille applaudi à tout rompre, s’en vont péniblement à l’usine le matin suivant.

La grève générale telle qu’on la prêche aujourd’hui consiste à attendre les bras croisés pour savoir qui va être le plus fort et va tenir le plus longtemps : les travailleurs ou les capitalistes.

Nous ne craignons pas de dire qu’il arrive de plus en plus souvent que, grâce à leurs organisations, les capitalistes réus-sissent à tenir bon contre les travailleurs. C’est le cas dans les petites grèves, ça l’est encore plus dans les grandes grèves, et il n’en serait pas autrement pour une grève générale passive. Que chacun y songe sérieusement en ouvrant les yeux ! Il est vrai qu’il est pénible d’ouvrir grands les yeux et de regarder la vérité en face, quand on s’est habitué à la faible lueur du crépuscule. Mais c’est bigrement nécessaire !

Travailleurs, laissez-nous vous parler de la grève générale active !

Nous ne parlons pas ici de l’acte révolutionnaire décisif et final qui est censé avoir lieu juste après ou pendant la grève générale et qui, pour beaucoup, en serait la conséquence nécessaire. Nous ne commençons pas par la fin, mais par le commencement. Si rien n’a été encore fait pour le socialisme, s’il n’y en a encore aucune trace aujourd’hui, pour quelle raison voulez-vous vous battre et vous faire tuer ? Pour la domination de quelques chefs qui vous diront le moment venu ce qu’ils veulent, ce qu’ils font, ce qu’il faut faire pour réorganiser le travail et la distribution des biens dont vous avez besoin ?

Ne serait-il pas préférable que vous sachiez et fassiez tout cela vous-mêmes ?
L’action décisive du peuple travailleur réside dans le travail !

Dans la grève générale active, les travailleurs en viennent à affamer les capitalistes parce qu’ils ne travaillent plus pour les capitalistes, mais pour leurs propres besoins.

Ho hé ! les capitalistes, vous avez de l’argent ? Vous avez des titres de papier ? Vous avez des machines qui sont en train de rouiller ? Eh bien, mangez-les, échangez-les entre vous, vendez-les vous les uns aux autres, faites ce que vous voulez ! Ou bien, mettez-vous au travail ! Travaillez comme nous ! Car vous n’aurez plus notre travail. Nous en avons besoin pour nous-mêmes. Nous retirons notre travail de votre économie absurde et délirante pour le mettre au service des organisations et des communes du socialisme.

Voilà ce qui arrivera un jour. Le commencement du socialisme, ce ne peut être que cela et rien d’autre.

Certains diront : « Aïe ! Aïe ! Le chemin est long à parcourir. C’est seulement maintenant que nous commençons à réaliser le socialisme ? Et nous qui pensions que nous étions proches du but ! »

Comment pourriez-vous être proches du but, vous qui n’avez encore fait aucun pas en avant ?
Vous devez seulement vous mettre en chemin : et aussitôt, vous verrez apparaître le but devant vous dans toute sa clarté.

Le tout premier pas consiste à accepter la vérité. Elle a un goût amer comme certaines racines comestibles, mais quand elle se développe, elle donne de beaux fruits sucrés.

Ce sont les premières paroles que nous vous adressons, mais nous n’avons pas encore dit tout ce que vous devez entendre. Nous avons encore à vous dire, avec précision, comment on sort du capitalisme, comment on refuse de le servir, comment on commence et comment on développe le socialisme jusqu’à ce que le capitalisme se sente forcé de capituler – soit de lui-même par introspection, soit par soumission à la nécessité extérieure.

Gustav LANDAUER
[Traduit de l’allemand par Gaël Cheptou]