A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Réponse d’Enrique Escobar
À contretemps, n° 18, octobre 2004
Article mis en ligne le 5 octobre 2005
dernière modification le 13 novembre 2014

par .

Dans une lettre sans surprises pour qui a lu son livre, Christophe Bourseiller affirme avec énergie qu’il n’est pas coupable de ce dont personne ne l’accuse, fait semblant de ne pas comprendre ce qu’on lui reproche, puis persiste et signe.

1) « Je n’ai jamais écrit que S. ou B. était d’une quelconque façon responsable du délire négationniste. » En effet. On se demande d’ailleurs qui a bien pu prétendre qu’il a écrit cela.

2) Nous lui accordons sans peine (encore qu’il aurait fallu là aussi aller y voir de plus près, jauger et interpréter) qu’après 68, il a pu arriver à Pierre Guillaume ou à d’autres, à certains moments, de juger habile ou fashionable de « se réclamer d’une filiation critique [et comment !] remontant [par quelles voies ?] à S. ou B. » Il ne s’agit pas, bien entendu, d’escamoter quoi que ce soit pour faire plaisir (?) à quelques vieillards. (L’ « ancien » de S. ou B. en pépé qui joue à la belote tout en se demandant avec inquiétude à qui ira son magot, tout de même, quelle trouvaille !) Mais – puisque la véritable question est de savoir s’il y a là, oui ou non, une imposture – qu’en pense donc l’historien ? Ils se réclamaient « indûment » de S. ou B., mais ce sont quand même vos « petits-enfants », répète Bourseiller. Là-dessus, nous ne pouvons que renvoyer à ce que nous avons écrit, et conseiller à Bourseiller de le relire attentivement.

3) Et Bourseiller n’a pas parlé que de « petits-enfants » : croyant apparemment sur parole des fabulateurs, il a usé et abusé de la métaphore familiale (« rejetons », « enfants », « héritiers », voire « anciens compagnons de Castoriadis » : faut-il tout reprendre ?) à longueur de pages ; bref, il a créé une entité, qu’il a décidé d’appeler la « descendance » de S. ou B. Peut-être a-t-il une définition des mots « héritage » (« fig. ce qui est transmis comme par succession ») et « héritier » (« fig. continuateur, successeur ») qui n’est pas celle du dictionnaire ? Une filiation historique, c’est autre chose. Si Bourseiller avait fait correctement son travail, il serait arrivé à la même conclusion que nous : il n’y a pas plus de rapport entre S. ou B. et ces groupes qu’entre l’Old Mole du Prince du Danemark et « La Vieille Taupe » de Pierre Guillaume.

4) Puis Bourseiller fronce les sourcils : n’y a-t-il pas eu pendant des années un silence suspect des anciens de S. ou B. sur Guillaume et Faurisson ? Tout à sa lecture de ses collections du « Petit combattant communiste du Maine-et-Loire » et autres feuilles de chou, Bourseiller n’a apparemment pas eu le temps de prendre connaissance de la lettre de Castoriadis (« Au sujet de Parcours du ressentiment de Nadine Fresco », Lignes, 4, octobre 1988) où est dit, pour l’essentiel, tout ce qu’on aurait eu à dire individuellement sur Pierre Guillaume et qu’il nous a semblé à l’époque inutile de répéter. Quant à Faurisson, notre ami Pierre Vidal-Naquet (« Un Eichmann en papier », 1980) s’en était suffisamment occupé. L’ « ultra-gauche » (?) est peut-être entrée « dans le domaine public par la petite porte négationniste ». S. ou B. a atteint une relative notoriété après 68 au fil des rééditions des textes de Castoriadis, Lefort, etc., et tout à fait indépendamment du scandale provoqué par la sinistre entreprise de Faurisson et de Guillaume. Puisque Bourseiller nous menace d’une « analyse », nous lui livrons tout de suite la clé de notre silence : ces groupes plus ou moins négationnistes n’ont d’importance – politiquement, intellectuellement, humainement – que pour leurs membres ; et peut-être pour l’historien (puisque « journaliste » ne lui convient pas) Christophe Bourseiller. En tout cas, ils ne sont rien pour nous, et nous n’avons jamais cru que nous avions à nous définir par rapport à eux. Nous n’avons réagi aujourd’hui que parce que – contrairement à toute attente raisonnable, mais on est toujours trop optimiste – la version d’une certaine histoire donnée par une poignée de mythomanes et d’imprudents égarés dans une aventure lamentable risquait, grâce aux efforts de Bourseiller, de parvenir à une sorte de « respectabilité ».

5) Enfin : l’ « ultra-gauche » n’existe pas, et S. ou B. n’en fait donc pas partie. Même si Bourseiller publie tout un volume de corrigenda, cela ne change rien au fond de l’affaire.

Quant au terme « haineux », allons bon ! Je suis certain pour ma part que Bourseiller est quelqu’un d’extrêmement sympathique, et ne nourris envers lui la moindre hostilité. Mais sa démarche me semble caractérisée par la plus grande confusion, hélas, ce qui n’est peut-être pas grave dans certains cas (Cet étrange Monsieur Blondel, Les Forcenés du désir, etc.) mais regrettable s’agissant d’affaires plus sérieuses. Il nous a lu sans plaisir, cela se voit, et comme on le comprend ; mais qu’y pouvons-nous ? Mais lui, que peut-il donc faire ? Réfléchir et travailler un peu plus avant d’écrire, la prochaine fois.

Enrique ESCOBAR