■ Patrick PÉCHEROT
BELLEVILLE-BARCELONE
Paris, Gallimard, Série noire n° 2695, 2003, 244 p.
Nous avions lu avec plaisir et intérêt Les Brouillards de la Butte, de Patrick Pécherot. Il fallait, cependant, attendre pour juger. Le voilà qui récidive avec un Belleville-Barcelone où la même méthode d’enquête sur fond d’histoire provoque le même plaisir. Ici, c’est la guerre d’Espagne qui, vue de Belleville, fait trame. Et, sur la toile du récit, s’agitent les ombres des bourreaux et des victimes, celles du Guépéou et de France-Navigation, celles de Camillo Berneri et d’Andreu Nin. Cette guerre dans la guerre – celle que mena la contre-révolution stalinienne contre le rêve émancipateur –, P. Pécherot l’a visiblement étudiée de près. Il pousse même la délicatesse jusqu’à fournir, en fin de volume, au lecteur mal informé un « digest » historique assez bien tourné. Il est somme toute fréquent que le « roman noir » utilise l’histoire comme décor, mais rarement comme sujet. De ce point de vue, Belleville-Barcelone est une vraie réussite que, depuis les colonnes de cet austère bulletin, nous nous devions de saluer.
Monica GRUSZKA
■ Josep María ROSELLÓ
LA VUELTA A LA NATURALEZA
El pensamiento naturista hispano (1890-2000)
Barcelone, Virus Editorial, 2003, 322 p.
Comme réaction à la vie moderne et à l’ « industrialisme immoral », apparut en Espagne, à la fin du XIXe siècle, un mouvement – le « naturisme » – qui, sous des apparences parfois naïves, développa des théories toujours curieuses et parfois pertinentes sur des thématiques alors balbutiantes, comme l’agriculture biologique, la lutte contre la vivisection, la dénaturation des aliments ou la pollution de l’air. Ce mouvement naturiste prit son essor au cours des années 1920 et 1930 du siècle dernier et entra, pour partie, en confluence avec l’anarchisme ibérique. C’est à une étude exhaustive de ce courant – analysé dans toute sa durée (110 ans) et sa diversité idéologique – que se livre ici Josep María Roselló. Il y prête une particulière attention aux relations – complexes – entre « naturisme » et anarchisme, sujet qu’il maîtrise à merveille et sur lequel ce livre fourmille de précieuses informations. En prologue de l’ouvrage, José Vicente Martín Bosca – spécialiste de l’œuvre du médecin anarchiste Félix Martí Ibañez – offre un panorama complet des études ayant abordé ce champ de recherche et distingue, parmi elles, le travail de J. M. Roselló qu’il juge qualitativement le plus maîtrisé et le plus complet.
José FERGO
■ Robert ROSSI
L’ARME DU RIRE
La presse satirique radicale à Marseille 1871-1879
Marseille, Via Valeriano bis, 2004, 256 p.
La Marotte, La Jeune République, Le Bavard, Diogène, La Lanterne, Le Diable, Le Canard… Autant de brûlots où, de 1871 à 1879, quelques mousquetaires de plume – Clovis Hugues, Léo Taxil, Maurice Jogand ou Miss Norf, pour n’en citer que quelques-uns – exprimèrent fort insolemment « des idées teintées de socialisme et de libre-pensée » en des temps où les « sabre-peuple et les curés » tenaient encore le haut du pavé marseillais. « Dans le camp républicain, écrit Robert Rossi en introduction de son ouvrage, un courant libertaire se fait jour, composé de jeunes gens désireux d’en découdre avec l’ordre établi. Pour ce faire, ils créent, avec une remarquable pugnacité, des feuilles dans lesquelles ils laissent libre cours à leurs colères, utilisant l’arme redoutable du rire. » C’est l’histoire surprenante de ces trublions que R. Rossi nous conte ici, en exagérant sans doute quelque peu la portée subversive de leur combat et la radicalité de l’idée républicaine qu’ils incarnèrent. Sur ce point, il n’est pas sûr que R. Rossi soit très crédible. Ce qui n’enlève rien à la valeur documentaire de son livre et au plaisir qu’on ressent à le lire.
Marcel LEGLOU
■ LES ANARCHISTES À L’ÉCRAN
Anarchists on screen 1901-2003
Lausannne, Bulletin du CIRA, n° 60, printemps 2004.
On appréciera d’emblée la performance : 752 titres recensés en 48 pages demi-format ! À en croire pourtant les maîtres d’œuvre de cette précieuse filmographie – Marianne Enckell et Éric Jarry –, tout n’y serait pas, puisque – depuis Execution of Czolgosz with Panorama of Auburn Prison, documentaire de 4 minutes commis, en 1901, par Edwin Porter – les anarchistes auraient été représentés dans plus de mille films. On mesure, cependant, le chemin parcouru en vingt ans, date à laquelle une première brochure du CIRA consacrée au même sujet établissait une liste de… moins de cent titres. Depuis, il est vrai, des chercheurs ont creusé le filon exploré en tout premier par Pietro Ferrua (Anarchists in Film, 1980), le même Ferrua qui anime un festival à Portland, Oregon. Parmi ses continuateurs, il faut bien sûr citer Richard Porton (Film and the Anarchist Imagination, New York-London, Verso, 1999, dont le catalogue d’ACL annonce une traduction française), Isabelle Marinone (Anarchisme et cinéma : le film libertaire en France, mémoire de DEA, Paris, 2001) et Pino Bertelli (Cinema e anarchia, Ragusa, 1991-1998).
À propos des critères retenus pour l’élaboration de cette filmographie, M. Enckell et É. Jarry précisent : « La liste des documentaires [338] et des films de fiction [164] répertorie tous les titres qui nous semblent intéressants au premier chef, soit qu’ils aient pour thème central un événement ou un personnage anarchiste, soit que, dans leur problématique, les références à l’anarchisme soient explicites, soit encore que le réalisateur ou la réalisatrice se réclame de l’anarchisme. » Un troisième chapitre liste des films (126) faisant allusion à l’anarchisme et aux anarchistes. Un quatrième, des films muets devenus rares (74). Un cinquième, des films expérimentaux (24). Un sixième, des films musicaux ou des représentations théâtrales filmées (26). Manquent, en revanche, dans cette filmographie, les quelque cents films réalisés par la CNT-FAI, en Espagne, entre 1936 et 1938. Il est vrai qu’ils ont déjà été – comme le rappellent M. Enckell et E. Jarry – systématiquement répertoriés par Alfonso del Amo et María Luisa Ibañez dans le Catalogo general del cine de la guerra civil española, édité en 1996 par la Filmoteca española.
Saluons donc ce travail tout à fait formidable, qui ne demande qu’à être enrichi et complété, tâche à laquelle les Rouletabille de la pellicule déjà cités s’emploieront, c’est sûr, avec la même passion anarcho-cinéphilique [1].
Freddy GOMEZ