■ Ce texte, dont on va lire la version française, a paru initialement, en un castillan quelque peu raboteux, dans les colonnes de l’organe des anarchistes espagnols exilés au Mexique Tierra y Libertad [1]. Son auteur, qui se fait appeler C. J. Tien, était au dire de la rédaction « un camarade chinois, professeur, qui se voit forcé de garder l’anonymat, figure éminente du mouvement anarchiste de son pays, qui entreprend ici de collaborer à notre revue ». De ce mystérieux collaborateur, toutefois, rien d’autre ne semble avoir été publié qu’une note sommaire sur les traductions chinoises de Kropotkine établie à l’intention de Vladimir Muñoz (1920-2004), et annexée par ce dernier à une sienne chronologie consacrée justement à Ba Jin [2]. Ailleurs, Muñoz a apporté sur son informateur les précisions suivantes : « Actuellement, l’auteur de ces lignes est aussi en relation avec un jeune anarchiste chinois résidant à Hong Kong qui […] est polyglotte, et parmi tous les idiomes qu’il connaît à fond on trouve aussi l’espagnol. Ce camarade m’a envoyé il y a peu une bibliographie documentée de Kropotkine en Chine [3]… »
N’était la remarque sur l’âge, il y aurait tout lieu de penser que, sous cette identité de C. J. Tien, se cachait le zélé propagandiste de l’espéranto que fut Won Kenn [4], lequel parlait couramment le français, l’anglais et probablement l’espagnol, mais celui-ci avait déjà 70 ans bien sonnés à l’époque. À moins que Muñoz n’ait cherché à brouiller les cartes pour ne pas compromettre son correspondant. Dès lors, seconde hypothèse plus vraisemblable, C. J. Tien serait Ma Schmu, anarchiste de Hong Kong itou, dont le nom apparaît sous la plume de Víctor García, le spécialiste anarchiste de l’Extrême-Orient [5], dans un article contemporain de celui de Tierra y Libertad. García cite une lettre reçue de ce « jeune libertaire chinois », où sont évoqués Ba Jin et les anarchistes chinois de sa génération : « Parce qu’ils furent les vétérans du mouvement nous conservons d’eux un bon souvenir, indépendamment de leurs positions actuelles. C’est ce que nous ressentons vis-à-vis de notre ami et camarade Li Peigan. [6] »
De Ma Schmu (Ma Shimou, selon la prononciation du mandarin), que savons-nous ? Qu’il était – à l’instar, visiblement, de C. J. Tien – familier du Centre international de recherches sur l’anarchisme (CIRA) [7], et tout autant de l’Institut international d’histoire sociale (IISG) d’Amsterdam, auquel il fit des dons de livres [8], et qu’il a entretenu des liens avec les structures anarchistes internationales [9]ou des libertaires étrangers [10] ; qu’il avait en Chine des contacts avec Lu Jianbo (1904-1991), à défaut d’en avoir avec Ba Jin, le vieux camarade de celui-ci [11] ; qu’il avait, à Hong Kong, et sous un nom d’emprunt, confié à une revue académique une étude sur l’anarchisme chinois dans le mouvement du 4 mai 1919 [12], et qu’il avait commencé à former là-bas, à l’orée des années 1960, plusieurs des membres de The 70’s, le groupe qui édita plus tard la revue Minus [13] ; et qu’à la fin des années 1960 il avait émigré en Australie puis à New York, où il avait fréquenté l’historien Paul Avrich (1931-2006), le spécialiste des anarchismes russe et américain [14], avant de rompre définitivement avec tout militantisme [15].
Dernière remarque : dans une livraison du Bulletin de la Commission préparatoire au Congrès international de Carrare, il est question du « camarade Tien Cun Jun », qui vient d’être désigné – nous sommes en 1968 – comme secrétaire général de la Fédération anarchiste chinoise [16]. Un pseudonyme évidemment, dont les initiales pourraient correspondre à celles de C. J. Tien [17], et il n’est pas exclu qu’il s’agisse de notre homme [18].
Qui que soit C. J. Tien, le travail que nous présentons ici, et qui est plus global que son titre ne le laisse supposer, est étonnamment bien documenté, surtout quand on songe qu’il fut réalisé en un temps où les ouvrages de Ba Jin recensés ne circulaient plus, et même si notre connaissance de l’œuvre a considérablement progressé dans l’intervalle, ne serait-ce que grâce à la compilation des Œuvres complètes et à celle des Œuvres traduites complètes de l’intéressé [19]. C’est pourquoi nous avons limité nos interventions – dans les notes infrapaginales qui sont appelées par des chiffres, ou dans les remarques placées entre crochets (les notes annoncées par des lettres appartenant au texte original) – à l’ajout de détails qui avaient été omis par l’auteur, certainement parce qu’il n’entrait pas dans sa perspective, ni dans celle du journal qui l’accueillait, de les fournir. Pour un état exhaustif des traductions de Ba Jin, on se reportera à l’inventaire que nous avons dressé [20].
Les coquilles ont été corrigées, et les rares erreurs ou imprécisions signalées. Les noms chinois, japonais ou russes ont été romanisés suivant les systèmes de translittération les plus communément utilisés de nos jours.– Angel Pino
Aux yeux des lecteurs en général, Li Peigan [21] apparaît plutôt comme un romancier que comme l’interprète d’une idée sociale. Il fut cependant un écrivain prolifique. Les nombreux romans qu’il a produits au cours des trente dernières années sont les livres préférés des jeunes lecteurs chinois. Vers 1930 déjà, ses écrits étaient familiers aux sexagénaires d’aujourd’hui, quand ceux-ci étaient dans leur prime jeunesse et allaient encore à l’école ou à l’université. En particulier sa série Famille [a] [22], Printemps et Automne, que tous nos jeunes ont lue et dont ils n’ont jamais cessé de ressentir peu ou prou l’influence. Les lecteurs du romancier ont coutume de ranger Li Peigan en deuxième position dans la liste des romanciers chinois, soit juste après Lu Xun [23], le grand écrivain mort en 1936.
D’autres lecteurs plus diligents le connaissent également comme traducteur de littérature étrangère. Il a traduit des livres écrits dans sept langues différentes, un don rare qui lui a valu également une réputation d’excellent traducteur. Et il est des lecteurs d’une autre catégorie, du reste moins nombreux, qui le connaissent comme écrivain anarchiste et comme traducteur infatigable de littérature anarchiste. Les livres produits par lui dans ce registre furent pendant un certain temps l’évangile des jeunes, et leur parution contribua, vers 1930, à la formation d’un mouvement intellectuel radicalisé dont, malgré une relative dérive, on observe encore de nos jours l’influence.
S’il n’est évidemment pas un pionnier du mouvement anarchiste chinois, ses efforts pour introduire la pensée anarchiste dans le pays lui permettent d’occuper une position unique dans l’histoire de l’anarchisme en Chine. Au contraire de ses devanciers, liés eux-mêmes aux organes gouvernementaux et qui s’éloignèrent finalement de ce à quoi ils prétendaient croire allant jusqu’à offrir leurs services au gouvernement comme de simples vassaux, Li Peigan, lui, a vécu une vie d’anarchiste. Il ne fait pas de doute que ce sont ses devanciers qui ont introduit le mot « anarchisme » [24] dans la langue chinoise et ont déblayé le terrain en accomplissant des efforts méritoires ; mais par la suite, pour des raisons diverses, ils ont sombré dans le ridicule le plus honteux. Évidemment, les exceptions à la règle n’ont pas manqué : Shifu [25] et ses camarades furent l’exception de ce groupe [b] [26].
À cet égard, je voudrais que ce que j’ai en tête soit bien clair quand je me réfère, dans ce travail, à cette période. Je ne veux, en aucune façon, me référer à rien ou à personne après 1949, année qui a marqué le début d’une époque nouvelle et qui exige une étude qui n’a pas encore été écrite.
Au début, quand il était étudiant à Nankin et à Shanghai, la carrière de Li Peigan suivait une direction bien différente de celle du romancier qui occupera ensuite sa vie entière [27]. Mais le travail et le succès de son premier roman révolutionnaire, Destruction [28], l’a dévié de sa route et il s’est résolu à se faire romancier. Il commença l’écriture de ce roman à Paris, où il avait déjà entrepris de traduire L’Éthique de P. Kropotkine [29]. Dans les dernières années, il se remémorait ce changement avec une espèce de chagrin. Nous-mêmes pourrions éprouver le même chagrin, voire un chagrin plus grand encore, car s’il n’avait pas consacré les années qui suivirent à écrire des romans, nous pensons que la bibliographie de la littérature anarchiste en Chine serait meilleure et plus fournie. Malgré tout, en dehors de sa production romanesque, qui a atteint des dimensions propres à stupéfier ses lecteurs, nous trouvons chez lui tout autant de traductions de littérature étrangère, au nombre desquelles des traductions d’œuvres anarchistes qui ont enrichi notre bibliographie internationale. Nous y accordons aujourd’hui d’autant plus de valeur que c’est ce qui est sorti en dernier de sa plume.
Polyglotte et écrivain de grand style, il fut un excellent traducteur. Peut-être même pourrait-on dire que les meilleures traductions de littérature anarchiste, parmi celles qui sont parues dans des langues orientales, sont sorties de la plume de Li Peigan. J’entends en qualité. Jamais Li Peigan ne s’est contenté d’utiliser une seule version pour traduire un texte. En dehors de la version en langue originale, il consultait toujours toutes les versions disponibles qui lui étaient accessibles. Dans sa traduction de L’Éthique de Kropotkine, on apprend qu’il s’est servi des versions faites en cinq langues différentes [30], et qu’il a corrigé toutes les erreurs rencontrées dans chacune d’elles. Il écrivit aussi à Max Nettlau pour lui demander des informations à propos de points litigieux [31]. Ce faisant, il nous a donné une version chinoise exacte et fidèle de L’Éthique. Aujourd’hui, sa bibliothèque de littérature anarchiste est la plus précieuse qui se puisse trouver dans le monde.
Avant son départ pour la France [32], il avait déjà publié plusieurs livres à Shanghai, parmi lesquels une biographie de nihilistes russes – Dix héroïnes russes [33] –, un recueil intitulé Sur l’échafaud [34] et la traduction de La Conquête du pain de Kropotkine [35]. Il avait alors vingt et un ans. C’est comme cela que ce classique de la révolution de Kropotkine parut en version intégrale chinoise avant de paraître dans n’importe quelle autre langue. La traduction fut révisée plus tard, cinq versions parues dans d’autres langues furent consultées et elle fut publiée en tant que quatrième volume des « Œuvres complètes de Kropotkine » en chinois, sous le titre de la traduction russe, Pain et Liberté [36].
En 1927, Li Peigan se trouvait à Paris quand il traversa le moment le plus angoissant de sa vie – le 22 août – en apprenant que Sacco et Vanzetti avaient été assassinés sur la chaise électrique [37]. En proie à un accès de chagrin il exprima les sentiments que lui inspiraient l’étouffement de la justice et la mort de la conscience humaine dans deux essais émouvants : La Elektra Sego et Miaj Larmoj [c] [38], emplis d’amour et de gratitude envers son maître (c’est ainsi qu’il a appelé Vanzetti). Quand Li Peigan connut pour la première fois les œuvres de Kropotkine, celui-ci n’était déjà plus en vie ; mais quand il connut Vanzetti, celui-ci était en prison à Charlestown (Massachusetts), et l’influence et l’impression que celui-ci produisit sur lui furent immenses. Ils eurent une relation étroite comme des amis et des compagnons, comme le maître et son disciple. Ils échangèrent quelques lettres : l’une de Vanzetti à Li fut imprimée dans l’édition de la correspondance de Sacco et Vanzetti [d] [39]. L’autobiographie de Vanzetti, Histoire d’un prolétaire, trouva plus tard une magnifique version sous la plume de son plus fidèle ami [40]. Li Peigan acquit quelques relations avec des figures éminentes du mouvement anarchiste quand il séjourna à Paris [41]. Il rentra de France en 1929 [42], en étant déjà célèbre grâce à son roman Destruction. Il écrivit trois autres livres, et alors, en 1933, il fit un voyage au Japon où il vit Ishikawa Sanshirô, un géant du mouvement anarchiste japonais [43].
En 1930 fut publié à San Francisco (USA), en chinois, son livre Du capitalisme à l’anarchisme, gros d’environ trois cents pages. Cette publication fut peut-être faite aux États-Unis à cause de la censure qui sévissait en Chine [44]. Je n’ai pas réussi à me procurer un seul exemplaire de ce livre et ne sais pas non plus quel est son contenu [45].
Son œuvre suivante fut la traduction des mémoires de Kropotkine, Autour d’une vie (nous supposons que cette œuvre est celle qu’on connaît en castillan sous le titre de Mémoires d’un révolutionnaire. – Note de la rédaction). Le livre exerça une influence intellectuelle immense sur Li Peigan. Si nous disons que Kropotkine fut son maître intellectuel, Vanzetti et Emma Goldman furent ses deux bases d’appui moral. C’est à Nankin qu’il reçut la première lettre d’Emma Goldman, celle à qui tout au long de la dernière période il s’adressa comme à sa « mère spirituelle » [46] . En vivant ma vie, l’autobiographie d’Emma Goldman [47] fut son livre de chevet ; dans les moments de pessimisme et de désillusion, il y puisa courage et optimisme. Il admettait que chaque fois qu’il lisait cette autobiographie il retrouvait une énergie nouvelle. Par l’entremise d’Emma Goldman, il fit la connaissance d’Alexander Berkman qu’il rencontra plus tard à Saint-Cloud, Paris. Cette amitié fructifia avec la traduction des Mémoires de prison d’un anarchiste qui fut publiée en 1936 sous forme abrégée [48].
Li Peigan ne fut pas un théoricien ; cependant nous trouvons la meilleure explication de son idéal anarchiste dans ses deux longs essais sur les révolutions française et russe. L’un, celui qui est intitulé Une histoire biographique de la révolution russe [e] [49], fut publié sous forme de livre en 1935, et quatre mois plus tard on dut en faire une deuxième édition [50]. Ce volume est un des cinq que l’auteur essaya d’écrire [51]. Ce premier volume est formé de dix chapitres, dont le premier est consacré à Stenka Razine, et le livre se termine sur une narration consacrée aux sociétés secrètes et à Serge Netchaïev [52]. Les biographies et les mémoires des révolutionnaires exercèrent une grande influence sur le jeune Li Peigan. Nous trouvons les noms de révolutionnaires et de nihilistes russes comme S. Stepniak [f] [53], Véra Figner [g] [54], Sofia Perovskaïa, Véra Zassoulitch, etc. dans les écrits de Li Peigan. De même, grande fut son admiration pour Alexandre Herzen et pour Tchernychevski, ce qui le conduisit ensuite à traduire Un drame familial (quatrième volume de Passé et Pensées) [55]. Quant à Tchernychevski, hommage lui fut rendu par la traduction depuis le français de son fameux roman Que faire ? ; traduction effectuée par Mme Si Mi, la compagne d’un ami à lui [56]. Li Peigan lui-même écrivit une postface à cette traduction [57]. L’essai L’Histoire de la révolution française fut imprimé comme appendice à sa traduction de l’œuvre d’Alexis Tolstoï La Mort de Danton publiée en espéranto en 1930 [58].
La publication des « Œuvres complètes de Kropotkine » en chinois fut une œuvre monumentale réalisée par Li Peigan et ses amis [59]. Avec cette œuvre l’anarchisme trouva sa plus belle expression en chinois. Pour préparer cette œuvre un groupe se forma ayant pour nom l’Institut Kropotkine, dont les membres se consacrèrent à la collection et à la traduction des œuvres de Kropotkine. Ils se proposaient de sortir les « Œuvres complètes » en vingt tomes, lesquelles devaient inclure ses travaux de géographe et sa correspondance ; mais de ces vingt tomes seuls furent publiés les dix principaux volumes, dont cinq avaient été traduits par Li Peigan [h] [60]. Fut également publiée une série de brochures, en tant que supplément de tout l’ensemble. Les dix volumes (ou seulement neuf pour l’instant, parce qu’un des volumes, Dans les prisons russes et françaises, semble n’avoir jamais été imprimé) et la série de brochures sont maintenant inaccessibles et il est très difficile de les obtenir. Seuls deux ou trois exemplaires, avec quelques autres publications, sont conservés aujourd’hui dans la bibliothèque du CIRA, à Genève [61]. Bien avant fut publiée aussi une traduction japonaise des « Œuvres complètes de P. Kropotkine », mais elles sont pareillement inaccessibles [i] [62].
Ils formèrent également le magnifique projet de publier L’Homme et la Terre, la grande œuvre d’Élisée Reclus. La traduction fut réalisée par Pi Shao-chao [Bi Xiushao] quand il faisait ses études en France [63]. Pi Shao-chao fut un ami intime et un collaborateur de Li Peigan. L’œuvre fut publiée sous forme de cahiers, en vingt-quatre petits volumes. Paul Reclus contribua par son aide précieuse à cette traduction et il écrivit une préface spécialement pour cette édition chinoise. Malheureusement, cette œuvre connut le même sort que les « Œuvres complètes de Kropotkine », puisque sept ou huit volumes seulement parurent (le premier volume fut publié en 1937) et que les autres ne virent jamais le jour [64]. On ignore les raisons pour lesquelles la publication fut interrompue. Probablement le déclenchement de la guerre [j] [65].
La révolution espagnole de 1936 rencontra un grand écho dans les écrits de Li Peigan. Dans un de ses essais, il formulait le vœu de se rendre à Barcelone [66]. Ce vœu, toutefois, ne put se réaliser. En revanche, il écrivit des paroles ardentes en hommage aux sublimes réalisations du courageux peuple espagnol. Il traduisit des brochures sur la révolution espagnole écrites par Emma Goldman et Rudolf Rocker [67]. Il fit également paraître en chinois les dessins de Sim sur la révolution dans le livre La Aurora de España, interprétés par lui [68]. Bien qu’absent du champ de bataille, il mit sa plume puissante et éloquente au service de la révolution. Il nous fit aussi un portrait du héros espagnol B. Durruti [69].
Si les dix ans qui se sont écoulés entre 1935 et 1945 constituent la période la plus féconde de ses écrits romanesques, je souhaite me limiter ici à ses seuls travaux de littérature révolutionnaire. En 1937 parut une œuvre théâtrale de Léopold Kampf intitulée La Veille. L’œuvre exerça une grande influence sur Li Peigan, qui était encore jeune. En 1949 fut publiée sa traduction des Six de R. Rocker [70]. Autres auteurs traduits par lui : I. Tourgueniev, M. Gorki, J. Baghy [71], Akita Ujaku [72], V. Garchine [73], Theodor Storm [74], Oscar Wilde [75], Pouchkine, D. Nemirov [76], E. de Amicis [77], Isaac Pavlovsky [78], Eroshenko… Cette liste suffit à démontrer à quel point furent importants les efforts du traducteur.
L’unique biographie de Li Peigan que je connaisse dans une langue européenne est celle qui fut publiée en français par le docteur J. Monsterleet [k] [79]. Ce n’est pas une bonne biographie, et la liste des écrits et des traductions de Li Peigan qui se trouve à la fin du livre est incomplète. En mai 1950 ce livre, rendu en chinois, fut publié par M. Eang Man [Wang Jiwen] [80].
Je conclus de façon quelque peu cavalière cet article sans m’appesantir plus sur ses activités ou sur ses œuvres de traduction, et en omettant même de mentionner les travaux des autres anarchistes de son temps, ce qui, même pour une ébauche aussi sommaire que celle-ci, serait indispensable : je crois en effet qu’il est assez difficile dans ces conditions d’écrire quelque chose de définitif sur une figure dont il faut ratisser les pensées dans le passé et qui sont loin d’être jugées avec impartialité, s’agissant en particulier d’un homme qui a vécu entre deux époques de notre temps. Nous autres, réfugiés politiques chinois, nous croyons encore en quelque chose qui appartient au futur et qui, cependant, n’a pas sa forme d’expression définitive. Mais ce dont, oui, nous sommes sûrs aujourd’hui, c’est que l’« anarchisme » n’est pas un mot utopique de notre langage, comme d’aucuns veulent le supposer. Il ne l’est pas parce que, dans les premières années de ce siècle, quand le mouvement intellectuel de tendance libertaire acquit sa puissance extraordinaire, l’anarchisme contribua plus que nul autre, par ses efforts et ses initiatives, à créer un large mouvement d’idées. Plus tard, vers les années 1930, nous en trouvons la plus belle expression sous la plume de Li Peigan. Celui-ci a suggéré non seulement la possibilité d’une société meilleure mais aussi la force morale et le dynamisme intellectuel que l’anarchisme peut représenter à l’avenir pour notre pays.
Nous aimons, comme Li Peigan, nos idées et nous nous sentons réconfortés en ces années de souffrance par le travail réalisé par le passé et ses résultats futurs.
C. J. TIEN
[Texte traduit de l’espagnol et annoté par Angel Pino.]