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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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« Le ciel du fond d’un puits » : jugement rétrospectif
de Ba Jin sur son engagement libertaire
À contretemps, n° 45, mars 2013
Article mis en ligne le 13 juillet 2014
dernière modification le 19 février 2015

par F.G.


Lorsque les communistes ont pris le pouvoir en Chine, en 1949, les intellectuels chinois ont réagi de diverses façons. Ceux qui partageaient l’idéologie des nouveaux maîtres du pays, et qui avaient donc tout lieu de se féliciter des changements politiques du temps, s’en sont fait les chantres ; ceux qui les redoutaient ou leur étaient hostiles ont généralement emprunté la route de l’exil ; ceux pour qui il n’y avait lieu ni de se réjouir ni de s’alarmer se sont tenus dans l’expectative.

Dans cette typologie sommaire, Ba Jin occupe une place à part – à l’image, mais pour d’autres motifs, de son ami Shen Congwen (1902-1988), lequel préféra, lui, renoncer tout bonnement à son art. À la Libération, Ba Jin est encore un anarchiste convaincu, ainsi que l’attestent les courriers qu’il échange alors, et encore pour quelques mois, avec des militants ou des groupes libertaires étrangers. Il aurait donc dû en bonne logique imiter l’attitude de ceux des intellectuels qui s’enfuirent, ne serait-ce que parce que ses activités en défense des anarchistes espagnols durant la guerre d’Espagne, plus que son refus d’adhérer à la Ligue des écrivains de gauche, lui avaient valu de solides inimitiés dans le camp des intellectuels communistes, et qu’elles risquaient désormais, autant que les quelques articles attaquant les communistes chinois qu’il avait pu commettre, de lui attirer des problèmes autrement plus sérieux. Or il n’en a rien été, même si le bruit a couru un moment qu’il s’était réfugié à Taiwan. Une attitude d’autant plus incompréhensible, intellectuellement parlant, que le régime qui se mettait en place ne cachait pas sa filiation avec un autre régime, le régime soviétique, honni par Ba Jin depuis des lustres. En 1949, en effet, Ba Jin avait, et de longue date, une parfaite connaissance de la littérature critique consacrée à la révolution russe et au système soviétique. Lui-même avait traduit, entre autres, des extraits du livre d’Emma Goldman (1869-1940) My Disillusionment in Russia ou la brochure d’Alexander Berkman (1870-1936) sur la révolte des marins de Kronstadt, et rédigé personnellement des articles stigmatisant Lénine et les bolcheviques ; et sa correspondance montre, par exemple, qu’il était informé aussi des polémiques soulevées en France par la publication des témoignages de Panaït Istrati ou d’André Gide sur le sujet. Ajoutons qu’il avait probablement croisé à Paris le héros ukrainien Nestor Makhno (1889-1934), lequel avait combattu à la fois les armées blanches et l’armée rouge, et que cette rencontre avait dû le conforter dans ses préventions anti-soviétiques.

Ba Jin n’a donc pas quitté la Chine. Mais il a finalement abjuré sa foi et procédé à une révision de son engagement passé : les quatorze volumes des Œuvres de Ba Jin (Ba Jin wenji) parus entre 1958 et 1962 ont été expurgés de toute allusion trop explicite à l’anarchisme, et Ba Jin a éprouvé le besoin de prendre solennellement ses distances avec les idéaux qui avaient enflammé sa jeunesse au détour d’une note infrapaginale rédigée spécialement pour la circonstance
 [1] . On a appris depuis que cette note était un extrait d’un texte plus long qui aurait dû servir de postface générale aux Œuvres de Ba Jin, mais que son auteur s’était ravisé in extremis pour ne pas donner l’impression qu’il plaçait l’ensemble de la collection sous le signe de l’autocritique.

À l’étranger, ses anciens camarades ont pu à bon droit qualifier Ba Jin d’apostat de l’anarchisme
 [2], en revanche il n’est pas certain qu’ils aient saisi la véritable signification de son revirement, dans lequel ils n’ont généralement voulu voir qu’un acte de soumission guidé par le souci de se protéger. Certes, on peut comprendre qu’en 1958, lorsqu’il entreprend l’édition des Œuvres de Ba Jin, quelques mois seulement après le mouvement des « Cent Fleurs » et la campagne « anti-droitiste », Ba Jin se soit entouré de certaines précautions – bien inutiles, au bout du compte, puisque pendant la « Révolution culturelle » on lui fera précisément grief de ses quatorze volumes d’« œuvres pernicieuses » [3]. Pour autant cela n’explique pas pourquoi il a repris ces lignes après la « Révolution culturelle », en 1980, plus de vingt ans plus tard, comme postface à une édition d’Œuvres choisies de Ba Jin (Ba Jin xuanji) en deux volumes [4], et de nouveau en 1991 à l’intérieur des Œuvres complètes de Ba Jin (Ba Jin quanji), et sans y apporter la moindre modification sur le fond ou le moindre commentaire [5]. Force est d’admettre que le revirement de Ba Jin n’était pas purement tactique, et qu’il se fondait sur des causes bien plus profondes. Reste à savoir quelles étaient ces causes, et si elles étaient déjà en germe en 1949, ou si elles ont mûri au cours des dix années qui ont suivi, et qui précèdent la rédaction de la note en question, dont voici maintenant la traduction française.

Le texte présenté ici a été reconstitué. Nous avons marqué les variantes comme ceci : les passages absents de la version publiée en 1959 sans que cela fût signalé ont été composés en lettres grasses ; les passages qui y figuraient et n’ont pas été repris dans la version définitive de 1980 l’ont été en lettres italiques, et sont encadrés de chevrons (<…>). Les parties placées entre crochets ([…]) sont communes aux deux versions.

L’usage qui est fait des points de suspension dans la version de 1980 ne permet pas de savoir si ceux-ci indiquent une coupure ou une interruption de phrase, ou s’ils relèvent d’un emploi plus subtil de la ponctuation.– Angel Pino


Les éditions Littérature du peuple ont souhaité que je compile un nouveau choix d’œuvres, et je me suis plié à leur souhait.

Au départ, il était prévu que mes Œuvres choisies de 1959 soient pourvues d’une postface. Mais tous les amis auxquels j’en avais envoyé les épreuves ayant estimé qu’elle ressemblait par trop à une autocritique et qu’au moment de l’écrire l’auteur n’était pas serein, en bref qu’elle n’était pas très appropriée, ils me conseillèrent de la retirer. Je me suis rangé à leur avis et voilà pourquoi ces Œuvres choisies sont sorties sans postface de l’auteur. Nonobstant, un an plus tard, j’ai extrait un passage de cette postface inutilisée, et j’en ai fait une note pour un des sanwen [6] insérés dans le volume 10 de mes œuvres. Aujourd’hui, alors que je m’apprêtais à écrire une postface pour ce nouveau choix d’œuvres, j’ai repensé subitement à ce texte ancien dont je n’avais utilisé qu’une petite moitié. Quelqu’un l’avait emporté ; pourtant, onze ans après, j’ai pu le récupérer : par bonheur, il n’avait été ni perdu, ni déchiré. Au cours de ces onze ans beaucoup de mes manuscrits ou de mes lettres ont été détruits, mais à la maison j’avais une urne en plus, celle qui contient les cendres de mon épouse, Xiao Shan [7]. Au cours de ces jours interminables où les quatre pestes sévissaient [8], elle m’avait prodigué tant de réconfort et d’encouragement, mais finalement elle avait fermé les yeux définitivement avant de me voir sortir de mon étable. Quand elle était encore en vie, elle me répétait souvent : tenir, c’est déjà une victoire. Et j’ai tenu, j’ai vu l’anéantissement de la Bande des quatre et j’ai repris la plume.

Aujourd’hui que je relis sereinement cette œuvre d’il y a dix-neuf ans « qui n’avait pas été écrite dans la sérénité », j’ai décidé de l’utiliser ici en y apportant naturellement quelques modifications. Les écrivains, chinois ou étrangers, qui m’ont précédé et que j’admire, en se souvenant du passé dans leur vieillesse, ont eux aussi écrit des confessions « pour dire adieu au passé ». J’ai soixante-quatorze ans cette année, il ne me reste plus beaucoup de temps pour travailler, alors je vais jeter un regard sur mon passé, parler des mes propres opinions. Même si je me trompe, cela pourra servir de référence au lecteur et fournir un témoignage à l’intention de ceux qui voudraient démontrer que « je suis loin à la traîne de mon époque ».

Je commence donc ici.



Je suis né dans une famille de propriétaire fonciers et de mandarins. J’ai vécu assez longtemps au milieu des seigneurs et des jeunes seigneurs, des dames et des demoiselles propriétaires fonciers. Et dès mon enfance j’ai appris auprès d’un maître privé les principes de la morale féodale pour bien se comporter et illustrer son nom. Je me suis lié également avec les portiers, factotums, porteurs, cuisiniers (pareil à ce que raconte Tourgueniev dans Pounine et Babourine [9]). J’ai assisté à bien des choses injustes et anormales. J’éprouvais des sentiments très profonds envers ceux qu’on appelle les « inférieurs », ils m’ont appris beaucoup de choses sur la vie. Couché sur le lit des porteurs à côté de la lampe à opium, je les ai écoutés raconter plein d’histoires bouleversantes. Inconsciemment j’avais pitié d’eux, je les aimais. [Après le Mouvement du 4 mai [10], lorsque j’ai commencé à me convertir aux nouvelles idéologies, j’étais un peu déconcerté face à un monde entièrement nouveau. Mais j’ai ouvert mon cœur et j’ai tenté d’assimiler le maximum, en dévorant tout ce qui me tombait sous la main. J’aimais tout ce qui était nouveau et progressiste et je détestais l’ancien et le rétrograde. Ma pensée n’était pas très élaborée et je manquais de discernement. Avant cela, je n’avais étudié que les Quatre Livres  [11] de l’école confucéenne et les Cinq Canons [12], ou bien des romans, anciens ou contemporains, chinois et étrangers. Ensuite, je me suis ouvert à l’anarchisme. Mes idées provenaient uniquement des brochures de Liu Shifu  [13], de Kropotkine et de Goldman, et d’articles] tirés de l’Hebdomadaire des étudiants de l’université de Pékin  [14], à quoi s’ajoutaient des nouvelles de Tolstoï telles que Un grain de blé aussi gros qu’un œuf ou bien Combien faut-il de terre à un homme  [15]. J’ai lu également des biographies de révolutionnaires russes populistes des années 1870 et 1880. J’avais également apprécié le Manifeste du parti communiste traduit par Chen Wangdao [16], mais à force de lire des brochures anarchistes je l’ai délaissé peu à peu. [Il est clair que ma pensée d’alors était superficielle et confuse mais j’étais sûr d’une chose : les propriétaires fonciers constituent la classe exploiteuse, et ce sont les paysans et les ouvriers qui nous font vivre bien qu’eux-mêmes vivent dans la pauvreté et la misère. Nos ancêtres ont commis des crimes dont nous sommes en partie responsables dans la mesure où nous profitons nous aussi de cette exploitation. Voilà pourquoi, à l’époque, les jeunes comme moi pensaient qu’il fallait renverser l’ordre social existant pour racheter les crimes de nos ancêtres.] Nous étions persuadés de voir clairement la situation réelle autour de nous, et nous imitions les jeunes Russes des années 1870 qui « allaient au peuple » [17]. Un de mes amis quitta l’école pour s’engager comme apprenti dans un atelier de tailleur, et moi aussi je songeais souvent à partir de chez moi. Ma première intention était de quitter ma famille pour aller dans la société, pour aller au milieu du peuple et devenir un révolutionnaire qui « recherche le bonheur » pour le peuple.

[J’ai finalement quitté ma famille où je vivais depuis dix-neuf ans, mais je ne suis pas allé parmi le peuple. J’ai quitté un petit cercle pour un autre. À la fin de 1928, je suis rentré de France à Shanghai [18]. Deux ans et demi plus tard, ma famille féodale de Chengdu s’est effondrée et mon frère aîné s’est suicidé parce qu’il avait fait faillite [19]. Quant à moi, je continuais à rester enfermé dans un milieu petit-bourgeois à Shanghai, incapable de briser mon encerclement. Je ne cessais de crier que je voulais briser cet encerclement, que je voulais changer de vie, faire la révolution. En fait, ce milieu petit-bourgeois n’était protégé par aucune muraille indestructible, le problème c’est que je manquais de résolution et de courage. La route de la révolution est large, or je la voyais sans la voir et ne parvenais pas à trouver le chemin, et même je ne voulais pas faire l’effort nécessaire. Autrefois, lorsque nous publions une [la] revue La Quinzaine  [20] à Chengdu, j’avais un ami plus âgé que moi converti aux idées anarchistes avant moi.] Il fut un temps où je le vénérai comme un maître. Il s’agit du personnage de Fang Jishun dans ma Trilogie du Torrent  [21]. Après que j’eus quitté Chengdu, , [il abandonna peu à peu l’anarchisme, trouva la voie juste et finit par adhérer au parti communiste chinois. En 1928, il fut arrêté et fusillé par un seigneur de la guerre de Chengdu, et il est mort très courageusement [22]…] [À vrai dire, au début, quand j’ai commencé à adhérer aux idées nouvelles, je souhaitais trouver quelqu’un qui me serve de guide. J’étais prêt à l’écouter et à me jeter dans le feu [23] s’il me l’avait demandé. Mais par la suite, peu à peu, je me contentais de cette existence de lutte individuelle, libre et pleine de contradictions. Bien sûr, une telle existence n’est pas exempte de souffrances, au contraire elle en est pleine. C’est la raison pour laquelle dans mes œuvres je ne cessais de gémir, de crier ma souffrance, allant jusqu’à lancer des « appels de l’âme » [24]. Cependant, je ne cherchais pas vraiment à me libérer de cette souffrance et à changer ma façon de vivre. Autrement dit, je n’ai jamais cherché alors de voie révolutionnaire correcte. J’étais comme un grand malade conscient de sa maladie qui peu à peu s’accommode de sa vie de malade, qui trouve même une consolation dans sa maladie et une fierté dans ses souffrances, et qui refuse de voir un médecin.] Et il m’est même arrivé de jouir de ma maladie. Mais d’un autre côté, j’ai cherché aussi à maintes reprises à trouver un chemin dans l’anarchisme. J’avais lu beaucoup d’ouvrages et de journaux étrangers, et j’avais traduit les œuvres de Kropotkine [25], ainsi que les mémoires de populistes russes tels que Figner [26]. Mais cela ne m’a rien apporté. J’avais mis aussi mon espoir dans le travail d’éducation de quelques amis généreux [27]. Je regardais leurs travaux avec les yeux de l’illusion, ou si l’on veut je remplaçais la réalité par le rêve, et je décorais leurs travaux avec des broderies en fil d’or. J’avais écrit quelque articles dans lesquels je faisais leur éloge et de la propagande pour eux. Et là encore cela ne me mena à rien. Les gens me reprochaient de ne pas montrer le chemin correct dans mes œuvres. À vrai dire, moi-même je ne l’avais pas encore trouvé. À l’époque je savais bien qu’il existait le marxisme et que pas mal d’intellectuels y avaient trouvé des remèdes à leurs maux, mais je n’avais toujours pas le courage et la résolution de sortir de mon petit cercle, qui pourtant ne me satisfaisait pas. En un mot, je n’étais pas allé chercher mon salut de son côté. [Bien sûr, parfois, je répétais : « Je n’ai pas peur, j’ai la foi. » Ce faisant, je ne cherchais à tromper personne. Jamais je n’ai douté que l’ancien serait détruit et que le neuf grandirait, que la vieille société était condamnée et que la société nouvelle arriverait, que la lumière chasserait à jamais les ténèbres. Telle était ma conviction profonde. Mais quant à savoir comment contribuer à cette lutte du neuf contre l’ancien, de la lumière contre les ténèbres, je restais désemparé. Je ne participais pas à la lutte de façon pratique et concrète. Je parlais de révolution les yeux fermés, si bien que j’aurais eu beau me creuser la cervelle, je ne serais pas parvenu à élaborer une stratégie, une tactique, ni même à savoir de quelle manière je devais m’engager dans la lutte] . Je continuais à m’opposer à ma manière à la vieille société et aux forces obscures, et je ne m’étais jamais demandé sérieusement ce qu’il en résulterait. Parfois, j’avais le sentiment que tel un éphémère je n’aurais pas eu la force d’ébranler un arbre, fût-il un arbre pourri, et j’éprouvais une rage presque folle. Je haïssais l’ancienne société au point d’en perdre la raison, j’aurais été prêt à l’attaquer de toutes mes forces. Les lecteurs bien intentionnés me reprochaient de propager l’individualisme. Quand ma haine de l’ancienne société et des forces obscures arrivait à son maximum, je souhaitais vraiment que tout le monde refuse de collaborer avec elle, que les gens ne veulent rien avoir à faire avec elle… Cette haine, cela va sans dire, était le résultat d’une lutte solitaire coupée des masses. À vrai dire, cette soi-disant « lutte solitaire » n’est qu’une belle parole. À partir du moment où elle est solitaire, c’est une lutte au rabais. En outre, comme il y avait plein de contradictions et de confusion dans ma pensée, dans ma « lutte solitaire », je tirais souvent n’importe comment et même en y mettant toute mon énergie je n’arrivais pas à toucher les points sensibles de l’adversaire ou à m’approcher de lui. Plus souvent encore j’étais apathique ou sans force, et pour faire des concessions aux messieurs de la censure, je parlais souvent de manière détournée dans mes œuvres, de peur qu’elles ne puissent arriver jusqu’aux lecteurs, ou de peur de compromettre les revues qui me publiaient. Parfois, je m’évertuais à les titiller, de sorte qu’ils se sentent mal à l’aise sans pouvoir pour autant couper mes articles. Mais j’agissais en pure perte, et les choses que j’écrivais manquaient toujours de force. [Je compare souvent l’homme que j’étais avant la Libération [28] à quelqu’un qui regarde le ciel assis au fond d’un puits. J’utilise un vieux proverbe  [29]] mais en lui donnant une nouvelle interprétation : enfermé dans le petit milieu des intellectuels petit-bourgeois, je contemplais l’avenir radieux de la société. J’apercevais vaguement cet avenir radieux qui appartenait au peuple. Quant à moi, j’avais beau en appeler sans arrêt à la « lumière », j’avais beau être convaincu que cette lumière éclairerait sans doute toute la Chine , je n’avais, pour ce qui me concerne, pas grand espoir. Si mes œuvres dégagent une certaine tristesse et une certaine mélancolie, c’est parce qu’alors tel était mon état d’esprit.] Je savais que si je n’arrivais pas à sortir du puits je n’avais pas d’avenir, il ne me restait qu’à mourir dans la solitude. Je me débattais, j’aurais voulu sauter du puits, m’engager sur un nouveau chemin, mais je n’avais pas assez de courage ni de résolution.

Cependant, la Libération m’a donné force et courage. Je ne me contentais plus de regarder le ciel du fond de mon puits. Je pris la résolution de rompre avec le passé et m’engageai sur le chemin de l’auto-réforme. Bien sûr, se réformer n’est pas facile. On ne peut triompher dans la lutte contre soi-même qu’au prix d’un combat âpre et prolongé…



J’espère que le « bilan » ci-dessus pourra aider les lecteurs de mes Œuvres choisies à comprendre mes œuvres passées. Aujourd’hui, au moment de livrer à l’impression ces nouvelles Œuvres choisies, je veux redire ces quelques mots que je voulais prononcer il y a dix-neuf ans et que je n’ai pas prononcés : « Si l’on compare à notre nouvelle société celle que je décris dans ces œuvres (l’ancienne société), chacun aura le sentiment que l’ancienne société était vraiment détestable. Évidemment, je n’ai pas montré les choses essentielles, mais j’ai peu ou prou montré le visage haïssable de l’ancienne société. Si le lecteur compare le passé à aujourd’hui, peut-être en retirera-t-il un petit quelque chose qui ne sera pas négatif, c’est là mon modeste espoir. »

BA JIN,7 septembre 1978.
[Traduit du chinois et annoté par Angel Pino.]


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