■ Cipriano MERA
GUERRE, EXIL ET PRISON D’UN ANARCHO-SYNDICALISTE
préface de Fernando Gómez Peláez
Toulouse, Le Coquelicot, 2012, 328 p., ill.
L’historiographie libertaire de la guerre civile espagnole éprouva longtemps quelque embarras avec la question de la contribution militaire de la CNT-FAI à l’effort de guerre. Si l’on excepte les épisodes – flamboyants et improvisés – de la lutte armée et des milices de l’été 1936, qui cadrent à merveille, il est vrai, avec l’imaginaire libertaire, elle ne s’intéressa pas beaucoup, une fois passée l’euphorie des premiers temps, à la manière dont les anarchistes s’adaptèrent, le plus souvent à reculons, aux nouvelles lois de la guerre imposées, à l’automne, par la militarisation des milices. Cipriano Mera (1897-1975), haute figure de l’anarcho-syndicalisme madrilène devenu général de corps d’armée, fut sans doute l’un de ceux qui assuma le mieux ce changement de cap : sans état d’âme, mais sans se renier. D’où l’importance de ces Mémoires, enfin édités en français, pour comprendre, ou tenter de comprendre, comment s’opéra ce passage entre l’ « anarchisme de révolution » et l’ « anarchisme de guerre » et, plus précisément, quels furent les enjeux qui le sous-tendaient. Le témoignage de Mera apporte, sur ce point, des éléments de réponse précis en nous instruisant sur la manière dont les militants de la CNT de Madrid acceptèrent, au nom des circonstances et du nouveau cours de la guerre, de transformer leurs milices en unités régulières sous commandement confédéral, mais aussi sur le fait que, ce faisant, ils évitèrent surtout de tomber sous le contrôle des staliniens, leurs pires ennemis. Sur d’autres sujets – la défense de Madrid, la bataille de Guadalajara ou celle de Brunete –, le récit de Mera contribue assez largement à défaire le mythe persistant de l’infaillibilité communiste, qu’il prend assez souvent en défaut. De même, les pages qu’il consacre à l’épisode dit de « la junte de Casado », soubresaut final et quelque peu pathétique d’une guerre interne au camp républicain qui opposa en permanence pro et anti-staliniens, ont une valeur documentaire exceptionnelle. Le tout est écrit, comme l’indique Fernando Gómez Peláez en préface d’ouvrage, « de façon simple et concise », « sans ambages ni circonvolutions, par le vif » et en évitant « les justifications a posteriori ». Il est vrai que Mera avait d’autant moins à se justifier que, avant d’accepter la discipline militaire, il avait été, comme le note son préfacier, « le plus obstiné défenseur de l’autodiscipline révolutionnaire » et, en vain, un fervent partisan de la guerre de guérillas. Quant à sa conception éthiquement intransigeante de l’anarchisme, la suite de son existence militante, discrètement évoquée dans cette autobiographie, prouva à qui en doutait que l’uniforme et les galons ne l’avaient en rien entamée.
José FERGO