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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Vivre sans se perdre
À contretemps, n° 43, juillet 2012
Article mis en ligne le 17 juin 2014
dernière modification le 31 janvier 2015

par F.G.

■ Folke FRIDELL
UNE SEMAINE DE PÉCHÉ
Traduit du suédois
et présenté par Philippe Bouquet
Bassac, Éditions Plein Chant, « Voix d’en bas »
2011, 240 p.

En ces temps incertains où la « valeur travail » est devenue la pièce maîtresse d’un discours politique à double entrée s’adressant, tout à la fois, à ceux qui crèvent et à ceux qui profitent de son manque, il n’est pas sûr que l’exemplaire volonté de s’en extraire manifestée par l’ouvrier Konrad Johnson, matricule 403, héros de ce roman « prolétarien », ait la moindre chance de parler au « peuple » d’aujourd’hui. Il n’empêche qu’Une semaine de péché, pièce de choix de l’écrivain suédois Folke Fridell (1904-1985) opportunément rééditée par l’excellent Plein Chant, explore une thématique aussi ancienne – et intemporelle – que l’exploitation salariée : le désir pointant un jour, ici ou là, chez l’homme qui n’existe que par la valeur qu’il crée comme exploité (la plus-value), de se défaire, ne serait-ce que provisoirement, du rôle social qu’on lui a attribué. Pour le protagoniste, l’attente d’une hypothétique émancipation collective ne saurait, à elle seule, suffire à donner du sens à son existence morcelée. Sa vie, il faut qu’il s’en saisisse lui-même, hors du temps mort du travail, pour lui conférer une tout autre valeur que celle, marchande, que le système lui octroie. Sa vraie valeur, en somme, celle qui ne peut naître que d’une révolte contre le sort commun des hommes d’en bas. Cette quête, l’en-dehors va la mener de l’extérieur de l’usine et du dedans de soi, après avoir mis de côté tous ses « complexes d’esclave » pour déserter son poste une semaine durant. Ce pas de côté, c’est la liberté même, une liberté qui peut faire peur. « D’une certaine façon, se dit Johnson, c’est exact que je suis un criminel en train de commettre le plus noir des forfaits. J’ai jeté au dieu Capital le défi d’un combat singulier peu banal et je n’ai pas encore trouvé, comme David, la pierre qui convienne à la fronde de ma misère. Naturellement, c’est extrêmement effronté de ma part de rester comme ça à ne rien faire. » Effronté, pour sûr, mais surtout audacieux tant ce geste de défi – « Pour la première fois de ma vie, je me tiens vraiment droit » – est unanimement condamné par les siens : ses parents, ses amis, ses camarades du syndicat, ses voisins. Une semaine durant, donc, Johnson va résister à l’opprobre général et aux multiples pressions dont il sera l’objet pour revenir sur sa folle décision. Une semaine durant, il tiendra et s’interrogera, en solitaire, sur cette étrange communion qui lie les exploités à leurs exploiteurs. Une semaine durant, sa vie lui appartiendra en propre. Avant la défaite finale, bien sûr, c’est-à-dire le retour au travail. Défaite relative, cependant, car Konrad Johnson, matricule 403, sait désormais qu’on pourrait vivre sans se perdre. Et il n’est pas le seul à le savoir. Un bien beau roman.

Monica GRUSZKA