■ BERMANI, BERTI, BRUNELLO, VENZA, FRANZINELLI, GIANNULI, PEZZICA
VOCI DI COMPAGNI, SCHEDE DI QUESTURA
Milano, Centro Studi Libertari, 2002, 124 p.
L’historien de l’anarchisme se trouve aussi souvent confronté à la surabondance des sources qu’à leur rareté, ce qui ne va pas sans poser, dans un cas comme dans l’autre, quelques problèmes de méthode. C’est à l’utilisation historiographique des sources d’origine policière et des sources orales qu’est consacré ce premier cahier du Centre d’études libertaires de Milan, Voci di compagni, schede di questura (Voix de compagnons, fiches de police).
Face au trou noir ou placé devant la nécessité de reconstituer une trace, il arrive assez naturellement, pourrait-on dire, que l’historien de l’anarchisme se tourne vers la partie adverse qui, elle, ne manque jamais d’archiver les rapports de ses informateurs ou les transcriptions des interrogatoires des militants qui tombèrent entre ses pattes. Matériau d’histoire, ces sources, comme l’indiquent Aldo Giannuli et Mimmo Franzinelli, devraient pourtant toujours être prises pour ce qu’elles sont : des preuves à charge. D’où le nécessaire recul ou distance critique que leur utilisation exige. Elles peuvent, certes, éclairer un fait, fournir une pièce manquante, mais rarement expliquer une démarche militante et encore moins proposer une interprétation recevable. Nico Berti, lui, met en garde l’historien de l’anarchisme contre la fascination pour ces « zones d’ombre » que, par choix tactique ou par simple modestie, les protagonistes d’une ancienne histoire ont refusé de porter au jour. À trop vouloir chercher la lumière chez l’ennemi, il risque de n’en être pas plus éclairé.
L’utilisation des sources orales – essentiellement les témoignages de militants recueillis sur support magnétique ou vidéographique – ne va pas, elle non plus, sans poser d’autres problèmes, dont Claudio Venza et Piero Brunello se font l’écho. Si l’histoire orale constitue, en effet, une source précieuse de renseignements, elle exige aussi d’être passée au tamis de la critique pour en déjouer les pièges : reconstruction du passé, subjectivité exacerbée, mythification, ressentiment, etc. « Quand la mémoire, écrit cependant Cesare Bermani, place le souvenir au cœur du mythe, l’histoire, elle, l’en déloge », sans être bien certain de la supériorité de la seconde sur la première, ce qu’on peut admettre sans peine s’agissant de l’anarchisme.
Voci di compagni, schede di questura est un bel exemple, en tout cas, de réflexion sur l’Histoire.
Ludovica RICCIO