■ Violette et Juanito MARCOS
ITINÉRAIRE D’UN ANARCHISTE
Alphonse Tricheux (1880-1957)
Portet-sur-Garonne, Loubatières,
« Libre Parcours », 2011, 200 p., ill.
Natif des Corbières, Alphonse Tricheux fut une figure marquante, mais peu connue, de l’anarchisme toulousain. C’est l’intérêt de cette étude que d’en restituer le parcours et, au-delà, de nous livrer une monographie documentée de l’activité des libertaires à Toulouse au cours des années 1920 et 1930. L’existence de Tricheux, tourneur en métaux, comporte quelques zones d’ombre – des « mouvements intempestifs », disent ses biographes, qui précisent : « À plusieurs reprises, au cours de sa vie, il part, revient, change de vie sans (nous) fournir ou (nous) laisser la moindre explication ». Il en va ainsi de son départ pour La Havane, en 1905, où il restera avec sa famille, toute acquise à l’anarchisme, quelque quinze ans durant, sans qu’on saisisse ni les raisons de son séjour ni même, ce qui demeure plus surprenant, s’il s’impliqua dans les nombreuses luttes sociales, souvent menées par des libertaires, qui agitèrent l’île caraïbe au tournant du siècle dernier. De fait, la vie militante de Tricheux se confond donc avec la Ville Rose où, dès son retour de Cuba, en 1920, il intègre, avec sa famille au grand complet, le Groupe d’études sociales, composé d’anarchistes français et espagnols, qui deviendra par la suite le groupe « Bien-être et Liberté ». À partir de ce moment-là, Tricheux sera, comme le prouvent les fiches des Renseignements généraux, de tous les combats libertaires toulousains : la lutte antimilitariste, les batailles contre la répression anti-anarchiste, la campagne pour Sacco et Vanzetti, le combat antifasciste, l’action coopérative et les grèves de juin 1936. Sur tous ces épisodes de l’action anarchiste à Toulouse dans l’entre-deux-guerres, le livre fourmille de très précieux détails, y compris chiffrés, concernant les activités des libertaires rattachés à l’Union anarchiste (UA) et des syndicalistes révolutionnaires de la CGT-SR. Tricheux, qui militait dans les deux organisations, se voulait anarchiste-communiste révolutionnaire tout en manifestant de fortes sympathies pour la CNT espagnole, dont il assista, en mai 1936 et mandaté par Le Libertaire, à son congrès – historique – de Saragosse. Le portrait attachant qu’en dressent ses biographes atteste d’une forte personnalité, notamment lorsqu’il décida de traverser les Pyrénées, à l’été 1936, pour s’installer, une fois encore en famille, à Puigcerdá, où battait l’espoir révolutionnaire. La tribu des Tricheux – Alphonse, sa compagne Paule, ses deux fils Marius et Eugène et sa fille Noela – s’y investirent totalement. Jusqu’à ce que vienne le temps du reflux et de la contre-révolution stalinienne. Accusé de prévarication, Alphonse se retrouva en prison comme élément douteux. Malgré sa rapide libération, le coup aura été si dur qu’il écrira, dans Le Libertaire : « Ma conscience est en repos et je n’ai pas besoin de me disculper d’une saleté que je n’ai pas commise ; je suis parti en Espagne apporter mon modeste effort à l’effort commun, j’ai tâché humblement de donner à la Révolution sans rien lui demander, sinon que se réalise le rêve si souvent caressé d’une société plus humainement juste. » Un rêve échoué, comme l’espoir qu’il portait. Après l’écœurement, vint alors, pour Tricheux, le temps du repli, ce qui ne saurait dire qu’il s’abstint de tout engagement. Modestement résistant pendant la guerre et, à ce titre, poursuivi par Vichy, rassembleur du mouvement libertaire dans la clandestinité, artisan de sa réunification à la Libération, passeur de mémoire par la suite, il ne cessa, jusqu’à sa mort, de militer au sein du mouvement anarchiste toulousain. Ce livre vaut hommage à son parcours et, au-delà, reconnaissance méritée à tous les « petits » et les « sans-grade » de l’anarchie.
Gilles FORTIN