■ S’il est des gestes qui parlent, très éloquent fut celui que Claude Kottelanne eut à notre égard : nous offrir les originaux de sa correspondance avec Navel. Pour que, nous écrivit-il, nous fassions notre miel d’un Navel « au quotidien (son jardin, sa maison, le syndicat) », en ajoutant : « Je n’aurais pas lu À contretemps (...) qu’évidemment les lettres de Georges seraient restées dans leur chemise. En même temps ce courrier n’a rien de très intime qui puisse relever de secrets trahis. Pour certaines lettres l’encre est plus ou moins effacée. (...) Georges était un épistolier remarquable (...). Que ces trésors épistolaires puissent être un peu diffusés en enrichira quelques autres, me dis-je. » Comme nous, le lecteur appréciera à sa juste valeur, immense, le cadeau que lui fait Claude Kottelanne.
Choisir, parmi ces lettres, des extraits fut, on s’en doutera, une tâche difficile, tant le tout méritait d’être publié. Ils révèlent, cependant, du moins le pensons-nous, ce Navel qui nous touche, celui de la main à plume et de la main à charrue, le libertaire atypique et l’esprit frère. Et au-delà, l’homme qui sent venir une époque frivole où cette « écriture récitante » n’a plus sa place et monter en lui cette impression d’être, désormais, un passé sans avenir. Un bonheur de lecture, en somme.
« Je n’avais pas besoin d’écrire pour ma part, ou du moins... d’écrire comme un romancier. Ma communication la plus naturelle, c’est une lettre adressée à quelqu’un. »
Georges Navel, « Le Travail d’écrire ».
« Sur le visage de notre commune attente/
Sous une encre rebelle à la grimace/
Subsiste un sourire qui ne m’appartient plus/
Un bouton-d’or dans l’œil des jeunes bêtes. »
Claude Kottelanne, « Comment dire ce peu ».
Meudon, 9 mai 1967
Mon cher Kottelanne,
[...] La sève matinale est un peu lente à revenir au réveil des noctambules, les presque travailleurs de nuit que nous sommes ont le réveil lent. Leur accord avec le temps, même beau, a besoin d’aide. J’use de quelques trucs, de moyens de réaccord : gesticulation, respiration, marche pieds nus dans ma prairie, les yeux ouverts, les yeux fermés, de l’immobilité et du mouvement. J’aurai oublié ce soir le bonheur du bain de soleil tonique que j’ai pu prendre ce matin. [...]
J’ai voulu écrire, l’autre jour. Je voulais revenir à une petite expérience, une grande plutôt, de tentative d’atteinte à une sorte d’état de fête des facultés par l’attention cinétique ou la perception vigilante d’un effort d’exister au ralenti. De fait, cette fête je l’ai connue, sans drogue, sans me couper des ressources de l’hygiène. Je voulais revenir sur les choses de cette expérience, bien oubliée, mais il y a le chemin. J’ai commencé le récit sur la période grise ou simplement pittoresque d’un séjour sur les chantiers de l’Expo, un an avant. Abus de tabac, longues heures d’écriture, boulot du soir, le lendemain, j’étais claqué.
Je ne sais pas si cette petite illumination d’un bref retour de mémoire du plus vif vécu retrouvera sa voie ou son embranchement. J’avais trouvé ou pratiqué une sorte de méthode favorable à une sorte de permanence de l’état ou des pouvoirs d’inspiration, état fugitif que je connaissais, mais très rarement, par instants, de temps à autre. À la différence que la minute d’inspiration fugitive, ou état de vif éveil, appelait un petit effort à froid de la main à plume plus ou moins prolongé, que l’autre flux constant, lui, n’avait pas cette exigence. Ne l’avait pas toujours, je veux dire, ou l’avait trop, ou que son expression n’était pas travail à froid
Pour lire la suite cliquer sur le fichier pdf