■ Jean-Pierre LEVARAY
DU PARTI DES MYOSOTIS
Préface de Nancy Huston
Montreuil, L’Insomniaque, 2007, 64 p.
Au-delà de la mort d’un père, sur laquelle s’ouvre et se prolonge ce court et sobre récit, c’est surtout de sa vie dont il est question ici. Comme si, tissant les faibles souvenirs de son existence, il s’agissait, pour l’auteur, de tirer l’absent de son absence afin de pouvoir, enfin, le reconnaître pour ce qu’il fut : un père qui ne parlait pas, mais qui « a fait ce qu’il a pu ».
À travers la lecture de ses précédents livres, on sait l’attention que Jean-Pierre Levaray porte aux « gens de peu », à leurs faibles voix, à leurs non-dits. De Putain d’usine à Tranches de chagrin, ils occupent une place de choix – la première, sans doute – dans sa production littéraire. Au point qu’on pourrait dire que c’est pour eux qu’il écrit, pour ces dépossédés de la parole que la vie brise peu à peu, d’humiliation en humiliation.
Marceau Levaray, c’est précisément cela, un concentré de silence, un « taiseux » depuis toujours, un homme de peu que la vie a brinquebalé au gré des circonstances, de labeur en labeur, sans qu’il s’en plaigne vraiment, ou du moins sans qu’il dise sa plainte. De lui, on sait qu’il naquit le 7 mars 1927 en pays de Caux, qu’il aimait les chevaux, qu’il travailla comme cheminot et livreur de charbon, qu’il s’y entendait à merveille pour gâcher du mortier et jardiner, qu’il se plaisait à réciter Le Corbeau et le Renard en cauchois, qu’il ne prenait son café que bouillant, qu’il était syndiqué, qu’il détestait De Gaulle, qu’il prit sa retraite en 1982, qu’il contracta la maladie de Parkinson quinze ans plus tard, qu’il se laissa gagner par l’idée de la défaite, qu’il décéda le 8 avril 2006. De tout cela, de cette accumulation de plaisirs retenus et de malheurs rentrés qu’aucun haut fait ne vient ponctuer, il ne reste que le déroulé des jours. Une existence minuscule d’homme, d’époux et de père.
La mort, on le sait, sonne souvent l’heure des comptes. Pour ceux qui restent, s’entend. Dans le cas de Jean-Pierre Levaray, elle ouvre d’abord sur la stupeur, non tant par conscience de l’irréparable, mais parce que, désormais, il faudra qu’il s’en tienne au peu qu’il sait de son père, et qu’il vive avec. C’est après que vient le décompte et c’est lui qui fait de ce livre à deux récits – celui d’une mort, celui d’une vie – un émouvant hommage à l’absent. Car, alignés, les souvenirs, même ténus, font trame. Ils dessinent un être en mouvement, dont l’histoire a un début et une fin et qui se prolonge dans la mémoire du fils, en revivant. Là est peut-être le miracle de la littérature, celle qui résiste à la mort même.
« Je sais, écrit Jean-Pierre Levaray, que ce semblant de biographie (…), ce n’est pas lui », mais « l’occasion d’être en sa compagnie ou, plutôt, qu’il soit encore à mes côtés. Plus profondément sans doute que lorsqu’il était vivant. Paradoxe, son absence me le rend plus présent. » Paradoxe apparent, pourrait-on ajouter. Le travail du deuil, c’est précisément cela : accepter la perte et, désencombré du mort, vivre avec la trace qu’il laisse et que la perte transforme en vécu.
Monica GRUSZKA