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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Au temps des jeunesses ardentes
À contretemps, n° 24, septembre 2006
Article mis en ligne le 16 juin 2007
dernière modification le 28 novembre 2014

par .


■ Rirette MAÎTREJEAN
SOUVENIRS D’ANARCHIE
La vie quotidienne au temps de « la bande à Bonnot » à la veille d’août 1914

Quimperlé, Éditions La Digitale, 2005, 136 p.

Figure attachante d’une anarchie passionnelle dont les premières années du siècle dernier libérèrent bien des énergies, Rirette Maîtrejean, de son vrai nom Anna Estorges (1887-1968), laissa quelques traces écrites de ses aventures, principalement ses « Souvenirs d’anarchie », publiés dans le quotidien Le Matin dans la seconde quinzaine d’août 1913.

Édité par La Digitale en 1988, ce texte fait aujourd’hui l’objet d’une réédition très augmentée puisqu’elle comporte deux autres écrits de Rirette Maîtrejean : « Commissaire Guillaume, ne réveillez pas les morts ! » – publié dans les numéros 15 (11 mars 1937) et 16 (18 mars 1937) de l’hebdomadaire Confessions – et « De Paris à Barcelone » – publié dans le numéro 21 de l’excellente revue Témoins [1]. Le tout est complété d’une intéressante étude de Luc Nemeth – « Victor Serge marqué par son passé » [2] – et de deux annexes, la première de définitions et biographies, la seconde reprenant un extrait d’un article rédigé par Alexandre Croix et publié dans le numéro spécial du Crapouillot consacré à l’anarchie (janvier 1938).

Quand Rirette Maîtrejean livre ses « Souvenirs d’anarchie » au Matin, le dernier condamné de « la bande à Bonnot », Callemin, dit Raymond-la-Science, a été guillotiné il y a tout juste cinq mois. Kibaltchiche, l’homme de sa vie et futur Victor Serge, purge, lui, cinq ans de prison. Les juges en ont fait, par commodité, le « théoricien et organisateur du banditisme anarchiste ». À vingt-six ans, Rirette, qui fut acquittée au cours du même procès retentissant, cherche à tourner la page. Simplement. Sans trahir. En portant un regard juste ce qu’il faut critique sur cette folle révolte qui mena certains des siens de l’illégalisme à la criminalité. Au passage, c’est tout un univers, singulièrement riche de personnalités hors normes, qu’elle fait revivre et dont elle s’extrait. Pour ne pas sombrer.

Vingt-quatre ans plus tard, le monde a tremblé sur ses bases. Plusieurs fois. Une guerre mondiale l’a décimé ; une révolution a levé de faux espoirs à l’Est ; le fascisme pointe partout. C’est à ce moment que Rirette reprend le fil de ses souvenirs de jeunesse, les mêmes, mais allégés, cette fois, de leur tragique actualité. Le temps panse les plaies, comme on dit. Sollicitée par une revue à sensation, elle accepte de répondre au commissaire Guillaume, dont un livre, qui se vend bien, évoque, à sa sauce, « les bandits tragiques ». « Nos idées étaient belles, écrit Rirette. Malheureusement, ces néophytes, ces gosses, ne savaient pas en dégager la leçon abstraite. Ils ont tué... Dans les mémoires du commissaire Guillaume, je cherche notre vie, nos pensées, nos fautes. Mais je n’y trouve que des coups de feu, des récits de luttes, des courses folles en auto. Et je me révolte ! » C’est cette révolte, intacte, qui fait la justesse de ses propos et la beauté de ce texte.

Le troisième, écrit en 1959, évoque la haute figure de Kibaltchiche, devenu Serge, mort à Mexico en 1947, après avoir pérégriné à travers le monde, tout imprégné de l’idée de révolution. Sous les mots de Rirette, c’est indubitablement l’amour qui pointe, ineffaçable.

Femme-braise, il suffisait d’un souffle de souvenir, en somme, pour que le feu qui couvait en elle se rallume. Cette ardente jeunesse, qui fut la sienne, elle ne la renia finalement jamais. Pour son honneur.

Arlette GRUMO