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La fulgurance Grothendieck
Article mis en ligne le 11 novembre 2024

par F.G.


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Tout a déjà été dit. Tout est toujours à redire. Voici cinquante ans que le mathématicien Alexandre Grothendieck (1928-2014) a posé à ses pairs, et à la société entière, la question essentielle : allons-nous continuer la recherche scientifique ? Une activité financée par l’appareil militaire, aux conséquences aussi explosives que les raids américains sur le Vietnam. Aussi destructrices, également, que la bombe d’Hiroshima, rejeton de la concurrence yankee avec la force de frappe soviétique, mais surtout du Projet Manhattan, cette recherche grandeur nature, organisée entre 1941 et 1944 dans le but de créer l’engin de masse le plus dévastateur (objectif du Comité de la Cible, piloté par le physicien Oppenheimer [1]).

Dites cela, et instantanément s’allument les contre-feux : au fond, diront les savants et leurs affidés, Grothendieck ne s’en prend qu’à une seule science, la physique ; distinguons par ailleurs ses usages civils et militaires ; et pour le reste, sachons opposer l’innocuité de la recherche, cet acte intellectuel désintéressé, et son instrumentalisation à de mauvaises fins. Quant à l’idée même de mettre un frein à la recherche scientifique, elle ne serait qu’une monstruosité issue du cerveau d’individus dérangés. Autant compter la curiosité et la créativité des humains au rang de leurs défauts, sans même évoquer le fait qu’en renonçant à une recherche encadrée par des institutions ad hoc (tels des comités d’éthique), on laisse à d’autres laboratoires, en d’autres pays moins scrupuleux, tout loisir de développer des applications scientifiques nuisibles.

Rien de nouveau dans cette ritournelle du déni. En fondant en 1970, avec quelques amis mathématiciens, le groupe « Survivre » (rebaptisé à partir de janvier 1971 « Survivre... et vivre »), Grothendieck a balayé ces prétendues objections en une série d’articles et de propos limpides. Passés au scalpel de son raisonnement rigoureux, les laïus des technocrates d’hier et d’aujourd’hui se révèlent dans toute leur indigence. Quant à la question posée au Collège de France le 3 novembre 1971, puis le 27 janvier 1972, devant les physiciens du Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN), celle du rôle social de la science et des finalités de la recherche, elle n’a sans doute jamais été aussi brûlante que sous la pandémie de Covid-19. Chaque « consensus de la communauté scientifique » (sur l’origine entièrement naturelle du virus, sur l’effet néfaste des traitements à base d’hydroxychloroquine, sur la fiabilité voire l’utilité des vaccins), dûment asséné par les organes de presse autorisés, s’est en effet révélé illusoire aux yeux des enquêteurs conscients de leurs limites mais soucieux de connaître [2].

Grothendieck naît en Allemagne en 1928. Au regard de ses activités dans les années 1970, son héritage prend tout son sens. Il est le fils de Sacha Schapiro, émigré juif ukrainien, intellectuel antimilitariste et anarchiste. Schapiro participe en 1905 à la première révolution russe, réprimée dans le sang par le tsar Nicolas II lors du « dimanche rouge » de janvier 1905, où la garde fait feu sur la foule rassemblée devant le Palais d’Hiver, tuant environ deux mille personnes. Schapiro subit la répression du pouvoir face aux demandes constitutionnelles du peuple, et se retrouve emprisonné. Libéré en février 1917, il accompagne à Saint-Pétersbourg les deux révolutions, en tant que dirigeant du parti « socialiste-révolutionnaire de gauche ». Mis à l’écart par les léninistes, il soutient l’insurrection spartakiste de 1919 en Allemagne et s’engage en Hongrie en faveur de Béla Kun, avant de combattre aux côtés de Nestor Makhno, le révolutionnaire ukrainien dont les partisans sont écrasés en 1921 par l’Armée rouge de Trotski. Dans les années 1920, en Allemagne, il est membre du Parti socialiste de gauche, où il milite contre l’ascension d’Hitler. Schapiro rencontre alors Johanna « Hanka » Grothendieck, femme de lettres, journaliste allemande, également anarchiste. Quelques années après la naissance de leur enfant, ils s’exilent. Schapiro se rapproche en Espagne des milices du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) – groupe qu’un certain George Orwell rejoindra au cours de la guerre d’Espagne. Johanna Grothendieck émigre en France. Pendant ce temps, le tout jeune Alexander est placé en 1934 dans la famille d’un pasteur protestant antinazi, Wilhelm Heydorn. En 1939, il rejoint ses parents après avoir été mis dans un train en direction de Paris. La famille est installée à Nîmes, où sa mère fréquente l’historien makhnoviste Voline (l’auteur de La Révolution inconnue) et André Prudhommeaux, militant et poète libertaire, éditeur du journal Terre libre. Le jeune Grothendieck n’aura guère le loisir de voir son père, interné fin 1939 au camp de Vernet en Ariège puis déporté à Auschwitz, où il meurt en 1942. Nul doute, pourtant, que les inlassables combats de Schapiro en faveur de la liberté des masses ont laissé une empreinte dans l’esprit de Grothendieck. Des sédiments appelés, un jour, à resurgir.

Entre 1941 et 1944, alors que sa mère demeure captive, Grothendieck étudie au « Collège cévenol » du Chambon-sur-Lignon, une maison du « Secours suisse » pour enfants réfugiés. Inspiré par un pasteur non-violent, le père André Trocmé, cet établissement est un haut lieu de la résistance spirituelle au nazisme. L’adolescent connaît l’horreur des camps et les affres de la traque des apatrides :

« Les dernières années de la guerre, alors que ma mère restait internée au camp, j’étais dans une maison d’enfants du « Secours suisse », pour enfants réfugiés, au Chambon-sur-Lignon. On était juif la plupart, et quand on était averti (par la police locale) qu’il y aurait des rafles de la Gestapo, on allait se cacher dans les bois pour une nuit ou deux, par petits groupes de deux ou trois, sans trop nous rendre compte qu’il y allait bel et bien de notre peau. La région était bourrée de juifs cachés en pays cévenol, et beaucoup ont survécu grâce à la solidarité de la population locale. »

Lu dans Récoltes et semailles, sous-titré « réflexions et témoignage sur un passé de mathématicien ». Un dédale de mille pages, croisant des souvenirs, des enquêtes sur les arcanes de sa mise à l’index par le sérail mathématique français, des paraboles et des envolées poétiques. Une tentative toujours recommencée, rédigée dans les années 1980, qui jamais ne trouva d’éditeur assez aventureux pour la présenter au public. Sa lecture renseigne également sur l’élève Grothendieck, collégien puis lycéen. La magie de l’école élémentaire, où le même maître enseigne à lire, écrire, calculer, chanter, en évoquant les hommes préhistoriques, la découverte du feu tout en parlant par rimes, cède la place à l’ordinaire de la classe pour adolescents. « Je m’investissais sans compter dans ce qui m’intéressait le plus, et avais tendance à négliger ce qui m’intéressait moins, sans trop me soucier de l’appréciation du “prof” concerné. » Voilà qui est clair. De nos jours, on n’apprécie guère ce type d’élèves (si d’aventure il en reste). On dit d’eux qu’ils « sélectionnent » leurs cours. Bref, ils ne sont pas « scolaires ». Tel est Grothendieck. Déjà ailleurs, déjà plus haut, emporté par sa curiosité, loin du psittacisme des professeurs rivés sur leurs manuels. Seul et obéissant à sa propre autorité :

« Je me rappelle encore la première “composition de maths”, où le prof m’a collé une mauvaise note pour la démonstration d’un des “trois cas d’égalité des triangles”. Ma démonstration n’était pas celle du bouquin, qu’il suivait religieusement. Pourtant, je savais pertinemment que ma démonstration n’était ni plus ni moins convaincante que celle qui était dans le livre et dont je suivais l’esprit, à coup des sempiternels “on fait glisser telle figure de telle façon sur telle autre ˮ traditionnels. Visiblement, cet homme qui m’enseignait ne se sentait pas capable de juger par ses propres lumières (ici, la validité d’un raisonnement). Il fallait qu’il se reporte à une autorité, celle d’un livre en l’occurrence. Ça devait m’avoir frappé, ces dispositions, pour que je me sois rappelé ce petit incident. Par la suite et jusqu’à aujourd’hui encore, j’ai eu ample occasion pourtant de voir que de telles dispositions ne sont nullement l’exception, mais la règle quasi universelle. »

Il faut s’imaginer Grothendieck auprès de ses pairs et face aux adultes. Ses camarades du « Collège cévenol », d’abord, qui l’étonnaient tant ils « s’intéressaient peu à ce qu’ils y apprenaient ». Les adultes supposés savoir, ensuite, contraignant le jeune prodige à employer son temps au mieux « pendant que le programme prévu était débité inexorablement ». Des leçons ânonnées sans créativité, des définitions mal posées dans les livres de mathématiques. Rien pour satisfaire les questionnements singuliers de Grothendieck. En conséquence de quoi « [il] passai[t] pas mal de [son] temps, même pendant les leçons (chut…) à faire des problèmes de maths ». Au lycée, donc, puis à la faculté de Montpellier, où toute son énergie est absorbée à résoudre ses propres problèmes de théorie mathématique, quitte à peu fréquenter les bancs de l’université et à rater, par inadvertance, l’examen de deuxième année. Entre 1945 et 1948, Grothendieck vit avec sa mère à Meyrargues, un hameau à quelques kilomètres de Montpellier. Ils vivent pour l’essentiel sur sa bourse d’étudiant. Pour joindre les deux bouts, il fait les vendanges et du vin de grappillage qu’il revend tant bien que mal. Le jardin donne, sans trop de travail, des figues, des épinards et des tomates. Années pauvres au plan matériel mais spirituellement riches. Surtout, en s’ingéniant à sortir du cadre imposé par l’univers mathématique en place, Grothendieck apprend les vertus de la solitude. Qualité qui, transposée dans le champ de la critique écologique, lui permettra de trancher sur à peu près tout le monde dans les années 1970.

« J’ai appris, en ces années cruciales, à être seul. J’entends par là : aborder par mes propres lumières les choses que je veux connaître, plutôt que de me fier aux idées et aux consensus, exprimés ou tacites, qui me viendraient d’un groupe plus ou moins étendu dont je me sentirais un membre, ou qui pour toute autre raison serait investi pour moi d’autorité ».

Si ce n’est pas une disposition d’esprit anarchiste, au sens même de Bakounine, on ne sait pas ce que c’est. Mais passons.

Après ses trois années d’études à Montpellier, Grothendieck est recommandé par Jacques Soula, son professeur d’analyse différentielle, pour étudier à Paris auprès d’Henri Cartan, qui fait autorité dans la communauté mathématique. Paris où se trouvent les gens qui connaissent ce qui se fait d’important dans le domaine. Auditeur à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, Grothendieck se rend ensuite à Nancy pour y réaliser une thèse de doctorat. Il rencontre des pointures du domaine telles que Jean Delsarte, doyen de la faculté, Jean Dieudonné, professeur de calcul différentiel et intégral, ainsi que Laurent Schwartz, médaille Fields en 1950, spécialiste d’analyse fonctionnelle, tous membres du groupe Bourbaki. Ce collectif fondé par André Weil (le frère aîné de la philosophe Simone Weil) et réuni derrière le nom fantoche de Nicolas Bourbaki entreprend de refonder l’enseignement de la discipline et de présenter, en une suite de volumes d’Éléments de mathématiques, une synthèse de la mathématique, à partir de la logique formelle et de la théorie des ensembles. Le groupe prétend à rien moins qu’être l’Euclide des temps modernes. Parvenus à cinquante ans, les anciens cèdent la place à de jeunes recrues qui poursuivent le travail. À Nancy, Grothendieck devient l’élève de Laurent Schwartz, lequel dirige sa thèse. Doté d’une capacité de travail invraisemblable (on le dit en mesure de travailler plus de vingt-quatre heures à la résolution de problèmes mathématiques ou à la construction de synthèses inédites), il résout un bon nombre de problèmes que ni Schwartz ni Dieudonné n’avaient pu résoudre dans des articles récents. Attaché de recherche au CNRS entre 1950 et 1953, il intègre bientôt Bourbaki, de même qu’un autre mathématicien de sa génération, Jean-Pierre Serre, de deux ans son aîné et future médaille Fields en 1954.

Devenu père en 1953, son statut d’apatride l’empêche de trouver du travail dans la fonction publique sur le sol français. Il quitte alors la France pour des missions de recherche au Brésil, à l’université du Kansas, puis à Chicago. Après une collaboration fructueuse avec J.-P. Serre dans le domaine de la géométrie algébrique, il est maître de recherche au CNRS en 1956. Sa mère décède en 1957 des suites d’une tuberculose contractée dans les camps de réfugiés. Grothendieck sombre alors dans un état dépressif. En 1958, Léon Motchane, un touche-à-tout d’origine russe basé en Suisse, menuisier et industriel ayant entrepris des études de physique, participé à la Résistance et, sous l’Occupation, au lancement des Éditions de Minuit, cherche à créer en France un institut supérieur de mathématiques et de physique. Il songe au modèle de l’Institute for Advanced Studies de l’université Princeton, dont le président, qui n’est autre qu’Oppenheimer, lui assure son soutien. Motchane, devenu docteur en mathématiques sur le tard, cherche une référence pour conférer du crédit à son institut. C’est ainsi que voit le jour l’Institut des hautes études scientifiques (IHÉS), qui engage Grothendieck comme son chercheur le plus réputé. Ce dernier, rejoint par Jean Dieudonné et le physicien René Thom, développe ses recherches en géométrie algébrique, dont il publie les résultats dans ses Éléments de géométrie algébrique, écrits en collaboration avec Dieudonné. Grothendieck a tout. Entre 1960 et 1967, il est au faîte de sa productivité dans son domaine, récompensée en 1966 par l’obtention de la prestigieuse médaille Fields. Décernée en URSS, Grothendieck refuse néanmoins de faire le déplacement pour la recevoir. Bardé de distinctions, il reste l’enfant de ses parents.

Entre 1950 (son entrée au CNRS) et 1969, il déploie donc sa productivité la plus intense dans la recherche mathématique. Près de douze mille pages de publications. Mais Grothendieck n’est pas Jean-Pierre Serre, par exemple. Il n’est pas un Bourbaki comme les autres. Solitaire et génial, il est aussi, depuis l’enfance, embarqué. En 1965, quand les États-Unis interviennent massivement au Vietnam, il décide de s’occuper d’autre chose que d’abstractions mathématiques. L’indépendance vietnamienne est une question chère à Laurent Schwartz, son directeur de thèse, scientifique « engagé », militant anti-impérialiste proche du trotskisme avant de s’en éloigner. Aux côtés de Schwartz, Grothendieck prend la mesure de la catastrophe. En soutien, il se rend à Hanoï en 1967 pour y donner des cours, où il a tout loisir d’assister aux effets les plus inhumains de la recherche de pointe. La guerre, ce n’est pas une question tactique, pas seulement une question politique. C’est une affaire technologique, la politique conduite par d’autres moyens. Telle est la matrice de la question majeure : « Allons-nous continuer la recherche scientifique ? »

À son retour en France, toujours dans le sillage de Schwartz, il s’inspire des scientifiques américains qui ont cessé leur collaboration avec les laboratoires impliqués dans la recherche de guerre, comme le groupe Scientists and Engineers for Social and Political Action. Il noue des liens avec Chandler Davis, mathématicien américano-canadien, membre du Mathematicians Action Group, et Gordon Edwards, physicien spécialiste de la question nucléaire. Par leur truchement, il se focalise sur le thème de la survie (survival), mise en péril par la guerre technologique et l’armement atomique. Aux États-Unis, le biologiste et intellectuel public Barry Commoner a introduit la notion dans son ouvrage de 1966 Science and Survival (traduit en français sous le titre Quelle terre laisserons-nous à nos enfants ?), avant de relier l’ensemble à la question écologique dans The Closing Circle : Nature, Man and Technology, en 1971.

Entre-temps, bien entendu, Mai 68 éclate. Pour certains bourbakistes, la remise en question est puissante. Voyez Claude Chevalley. Né en 1909, il milite dans les années 1930 parmi les personnalistes (il a côtoyé Ellul et Charbonneau au lycée) et participe, aux côtés d’Arnaud Dandieu au groupe anticonformiste Ordre nouveau [3]. Normalien, professeur à Paris VII, le soulèvement étudiant le frappe dans sa conception élitiste de l’enseignement des mathématiques et du rôle du savant. Il se lance alors dans l’arène aux côtés des étudiants, participe à l’occupation de la Faculté des sciences de Paris avant de jouer un rôle fondateur dans la mise en place du centre universitaire expérimental de Vincennes. Dans les mêmes lieux gravite Denis Guedj, jeune spécialiste de linguistique mathématique, de sensibilité anarchiste, lié au journal Le Cri du peuple, qui décrit pourtant Chevalley comme le « gauchiste des matheux, le gauchiste fou » [4]. Ou encore Daniel Sibony, mathématicien issu du PCF et féru de psychanalyse. Tous vont se retrouver aux côtés de Grothendieck, qui ne tarde pas à fonder le journal Survivre pour soutenir l’action d’un groupe de savants en rupture avec l’idéologie de l’expertise scientifique.

La chose naît outre-Atlantique, en marge d’un colloque animé par des collègues canadiens et américains, où Grothendieck se rend à l’été 1970. Dans un pays où, en 1969, 50 % du budget de recherche et développement est affecté à la défense (selon une observation du physicien Jean-Paul Malrieu, futur membre de Survivre... et vivre, rapportée dans la revue Vie de la recherche scientifique, n° 135, 1969 [5]), le mathématicien trouve un terreau fertile pour avancer ses thèses sur la cessation de toute collusion entre les savants et l’appareil militaire. Avec Gordon Edwards, il signe ainsi l’article « Les savants et l’appareil militaire » dans le premier numéro de Survivre, publié en août 1970. Où l’on constate que la revue était pressentie pour être internationale, fondée sur une coopération à grande échelle. Le projet fait long feu, mais l’impulsion donnée par les scientifiques américains demeure, notamment dans la volonté de faire une science pour les gens (« Science for the People » est précisément le nom d’un groupe engagé en faveur de la démocratisation des sciences) – ce qui ne signifie pas une science d’experts simplement « encadrée » par les « citoyens ». Comme le reste de la production de Survivre, cet article va à l’essentiel. Limpide et tranchant :

« Le savant, principal ouvrier des progrès technologiques, doit assumer une part majeure des responsabilités dans les abus souvent révoltants qui sont faits de ces progrès, et des périls sans précédent que ces progrès représentent pour l’espèce humaine. Mieux informé et souvent plus ouvert sur le monde que la majorité de la population humaine, il a moins que quiconque d’excuses à fermer les yeux sur l’éminence et les périls qu’il a créés. Jouissant d’un indéniable prestige auprès de la population (reflet du prestige s’attachant aux progrès technologiques), jouissant également d’une sécurité matérielle enviable, les savants ont moins que quiconque l’excuse de l’impuissance et de l’insécurité personnelle pour se dérober à une action énergique pour prévenir ces périls, ne serait-ce qu’en informant la communauté scientifique et l’ensemble de la population, et en donnant l’exemple de la non-collaboration avec les appareils militaires. »

Après Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima, la brebis Dolly, le diagnostic préimplantatoire, la création d’embryons chimériques homme-singe, les recherches sur les virus à gain-de-fonction, le traçage RFID des cheptels, la gestion robotisée de fermes 4.0, la géolocalisation par puce sous-cutanée pour les humains augmentés, et tant d’autres innovations scientifreaks, qui pourrait récuser l’acuité de ce texte ? Quant à l’idée qu’il vaut mieux utiliser des fonds, peu importe leur provenance, pour des recherches promettant de vrais « progrès biomédicaux » (selon l’expression du journal Le Monde rapportant avec enthousiasme, le 15 avril 2021, la création par une équipe française et une équipe sino-américaine d’embryons hybrides homme-macaque) que pour des fins nuisibles ; quant à la justification fataliste selon laquelle, de toute façon, civils ou militaires, les financements sortent toujours des caisses de l’État, de telle sorte qu’on ne saurait refuser les seconds sans s’opposer aux premiers ; quant au recours à l’argument de l’équilibre des puissances, supposant que si nous ne le faisons pas, d’autres le feront à notre place, et d’une façon moins éthique, toutes ces réfutations standards sont révoquées, point par point, par Grothendieck et Edwards.

Dès le départ, alors que le journal naît dans le contexte de la guerre froide, et sous l’effet du printemps de Prague en 1968, Survivre choisit la ligne de la coopération non violente. Et de citer le Satyâgraha gandhien, ou « force de vérité », principe de résistance au mal sans recours à la violence. Débat chaque fois relancé : naguère l’URSS, aujourd’hui le totalitarisme chinois. Pour les auteurs, « l’expérience a montré que “l’équilibre de la terreur” n’est nullement un garant pour maintenir la paix. La crainte du potentiel militaire adverse et de la possibilité que l’adversaire pourrait faire usage le premier de ses armes est un incitant plus puissant pour utiliser ses propres armes “à titre préventif”, que si l’adversaire paraît moins armé et moins agressif que soi. Il est bien connu que la crainte est mauvaise conseillère, et peut inspirer les réactions les plus sauvages, chez l’individu tout comme chez les groupes. »

Pas si sûr. Pas si simple. Une certitude, du moins : Grothendieck et ses amis touchent d’emblée aux questions fondamentales.

La suite logique, pour le génie mathématicien, tient en sa démission de l’IHÉS, dont il apprend en 1969 qu’il est en partie financé par des fonds militaires. Il attire l’attention de ses collègues sur ce point lors d’un important congrès, tenu à Nice entre le 1er et le 10 septembre 1970. Colloque scientifique auquel participent les bourbakistes, promoteurs des mathématiques « modernes », opposés aux mathématiques « appliquées », en vogue aux USA, qui encouragent l’utilisation de l’informatique et annexent la discipline aux sciences de la gestion et de l’organisation. Grothendieck, qui est déjà en conflit avec le mécène Léon Motchane et son collègue René Thom à propos du financement militaire de l’IHÉS, entreprend de gagner ses amis bourbakistes à la lutte contre les appareils militaires. Le crâne rasé, accueillant ses collègues en short, il distribue un millier d’exemplaires de Survivre, invective un chercheur en lui demandant s’il est bien justifié qu’il poursuive des recherches qui pourraient déboucher sur des applications militaires, et tient avec Claude Chevalley des réunions politiques en marge du congrès. Fiasco. Grothendieck se brouille avec son partenaire d’écriture Jean Dieudonné, avec qui il est en train de rédiger les Éléments de géométrie algébrique. Ce dernier l’attaque physiquement et tente de le chasser du congrès. Laurent Schwartz, le défenseur des luttes de libération nationale, est lui aussi visé, qui œuvre à l’École Polytechnique depuis 1969. La communauté mathématique française est divisée. Dans Survivre n°2-3, Grothendieck revient sur cet épisode en dressant le « compte rendu d’un congrès scientifique » (septembre 1970). Il évoque un « sentiment de honte et de nausée, ayant reconnu, comme dans un miroir déformant, ma propre image et celle de ceux de mes collègues que j’estimais le plus par le passé ».

Difficile de débrouiller la lucidité du critique et l’enthousiasme du converti, versant dans le dénigrement de soi. Le même numéro reproduit un article d’un autre bourbakiste, Roger Godement, paru dans Le Monde du 9 septembre 1970, qui apporte son soutien à Grothendieck. Professeur à Paris-VII, Godement énonce que la seule activité décente que des mathématiciens pourraient avoir à l’École Polytechnique serait d’y prêcher la subversion. Godement fait partie de ces scientifiques soucieux de combattre toute prostitution du travail intellectuel au nom d’intérêts économiques ou militaires. Un scientifique intéressé par la question « pourquoi ? », au lieu d’être aveuglé par le « comment ? ». Le 22 avril 1971, il distribuera aux étudiants de la faculté de Paris-VII un tract intitulé « Mathématiciens (purs) ou putains (respectueuses) ? », où il est dit : « Pouvez-vous imaginer Van Gogh disant qu’il ne peut pas peindre aussi longtemps qu’il n’obtiendra pas d’argent de l’OTAN ? Sommes-nous des intellectuels, ou des voyageurs de commerce ? ».

La réponse est évidente pour Grothendieck et ses compagnons intellectuels. Survivre est bien lancé, autour de Chevalley, mais encore de Pierre Samuel et de Jean-François Pressicaud. Le premier, mathématicien passé par Princeton, Harvard puis Paris-Sud Orsay, est décrit comme le membre de Survivre le plus bienveillant et doux. Du « bon sens », une « bonne humeur souriante » dans le travail en commun, se souvient Grothendieck, et une capacité à jouer le rôle de « l’affreux réformiste » [6] dans un groupe tourné vers les options radicales. Samuel noue des liens avec les mouvements féministes – il publiera en 1975 un livre sur les amazones [7] – et anime un séminaire critique à Orsay, intitulé « Mathématiques, mathématiciens et société ». Le second est un professeur, disciple de Jacques Ellul, qui participe au groupe « Nature et Progrès » ainsi qu’au mouvement « Anarchisme et non-violence », créé en 1965, dont Grothendieck se rapprochera. Le journal bénéficie en outre du travail titanesque de Ségolène Aboulker-Aymé, engagée dans les mouvements de réflexion critique sur la médecine, qui assume la mise en page du journal, le courrier des lecteurs, les collages, la fabrication et le routage. Se joignent bientôt au groupe Daniel Sibony et Denis Guedj, puis, au printemps 1972, le physicien Jean-Paul Malrieu, par ailleurs neveu de Bernard Charbonneau. Guedj, en particulier, apporte son dynamisme anarchisant au journal. Intuitif, il est considéré comme le complément de Grothendieck : « C’était [Grothendieck] un personnage tellement surplombant du point de vue de la capacité formelle, de la capacité d’abstraction. Guedj était absolument tout son contraire, intuitif, enthousiaste, pas rigoureux du tout, souvent analogique [8] », se souvient Malrieu. L’arrivée de Guedj coïncide avec le changement de titre, devenu Survivre... et vivre à partir du numéro 6, en janvier 1971. Les textes publiés attaquent la confiscation du savoir par les experts, qui le transforment en bêtise (« Monsieur l’expert a horreur de s’embarquer dans les pourquoi, il y pressent son naufrage », écrivent Guedj et Sibony [9]), dénoncent la séparation entre les scientifiques et la population, exhortent les savants à travailler avec les masses. Écrire, donner des conférences sur des questions politiques (c’est-à-dire qui concernent la vie collective), organiser des débats « subversifs » (c’est-à-dire dans lesquels les animateurs ne confisquent pas la parole, écoutent la salle et tolèrent les silences annonciateurs de réflexions fructueuses) et surtout préfigurer en actes la subversion culturelle que l’on désire fomenter.

Rétrospectivement, on peut en prendre et en laisser dans ces suggestions tous azimuts, rédigées dans un état d’effervescence militante. Sur l’heure, les ventes du journal augmentent sensiblement, passant de 1 300 en janvier 1971 à 10 000 exemplaires à l’hiver 1971, puis 12 500 exemplaires en 1972. Son co-fondateur, quant à lui, se redécouvre fils de Sacha Schapiro et de Hanka Grothendieck. S’il n’a rien perdu de son impressionnante puissance de travail, il s’intéresse désormais aux spiritualités orientales, aux techniques écologiques d’auto-construction, à l’agriculture biologique. Il se rapproche de Pierre Fournier, dessinateur pour Charlie-Hebdo et fondateur du mouvement écologique en France, qui organise la manifestation contre la centrale de Bugey en juillet 1971. Grothendieck intervient pour mettre au point une déclaration de savants et personnalités contre l’implantation des centrales nucléaires, qui sera publiée dans Le Monde avec la signature du mathématicien Étienne Wolff, administrateur du Collège de France. Après le rassemblement, Grothendieck s’enthousiasme pour les baigneurs nus, l’ambiance sympathique et festive, les tendances hippies. Fournier, le satiriste de Charlie se montre en définitive plus austère que le mathématicien solitaire, exalté par le New Age. Pour le reste, ce dernier prend à cœur son activité de conférencier et suscite le débat partout où il passe. À l’université d’Orsay, au CERN ou au Collège de France, où il crée des « remous » en 1971.

Démissionnaire de l’IHÉS, Grothendieck est invité, par l’intermédiaire de Jean-Pierre Serre, à officier en tant que professeur associé au Collège de France. Dans cette institution, chaque professeur choisit le sujet du cours qu’il abordera l’année suivante. Il le soumet à l’Assemblée des Professeurs réunie en fin d’année académique, qui le valide en général par un vote unanime. Or, dans une lettre écrite à Étienne Wolff, en date du 22 mai 1971, Grothendieck expose son projet de cours pour l’année 1971-1972 : aborder les problèmes de crise de civilisation, de crise écologique et la nouvelle révolution évolutionniste qui se prépare (autrement dit, le nécessaire passage de l’humanité d’une mentalité techniciste à une mentalité écologique). Parce que ces problèmes engagent la société entière, et qu’il n’en existe pas de spécialistes, il serait funeste de les bannir du Collège de France. Il s’agirait donc de les aborder par une discussion libre, de sorte que chaque participant y réfléchisse selon son expérience propre. Les « remous » qui s’ensuivent sont éloquents, qui impliquent des collègues de sciences « dures » (Jean-Pierre Serre, les physiciens Anatole Abragam et Francis Perrin, les biologistes François Jacob et Jacques Monod) et des représentants des sciences humaines, comme Raymond Aron. Pour l’administrateur, froidement, un tel thème n’entre pas dans le cadre de la mission attribuée à Grothendieck. Francis Perrin déroule quant à lui le credo scientiste : en sortant des limites imparties à la spécialisation scientifique, les savants vont tomber dans le bavardage de comptoir. Autrement dit, seul l’expert est en droit de parler du segment de la machinerie globale dont il s’occupe. Tout ce qui tombe en dehors de son expertise n’est que fatras d’idées, flatus vocis, affrontement stérile des opinions (des doxai, selon le mot grec qui désigne tout ce dont est constituée la sphère de la discussion politique). Triomphe de la mentalité technocratique. Quant à Jean-Pierre Serre, visiblement habile diplomate, il déplore n’avoir pas su que Grothendieck évoluerait ainsi lorsqu’il avait proposé de le nommer au poste de professeur associé, et s’inquiète de ce que ce dernier utilise sa renommée pour endoctriner l’auditoire. Un argument avancé un peu plus tard par le mathématicien Philippe Courrège, dans une lettre personnelle envoyée à Grothendieck :

« Il nous semblerait très regrettable que ton action se situe uniquement ou même principalement au second plan ci-dessus mentionné [l’arrêt du développement scientifique] et consiste à utiliser ta renommée en temps [sic] que mathématicien pour “sensibiliser” le milieu scientifique aux problèmes de la survie [10]. »

Néanmoins, Grothendieck juge encourageants l’attitude des représentants des sciences humaines et les résultats du vote final, avec trente-deux voix contre, neuf voix pour, une abstention et un nul : « Il est remarquable que dans un haut lieu de la science comme le Collège de France il se soit trouvé neuf voix pour appuyer un sujet de cours brûlant certes, mais qui rompt avec les traditions académiques fortement enracinées [11]. » Roublard, il finit d’ailleurs par aborder la question écologique en la glissant en guise d’introduction (fort longue) à son cours annoncé sur les groupes de Barsotti-Tate.

De tels remous ramènent au cœur du problème, celui d’une science devenue un clergé, avec ses dogmes et son omerta. Peut-être Grothendieck était-il encore trop enthousiaste en 1971. Dans Récoltes et semailles, sans se départir d’un style allusif, il pointe tout de même le rôle de Jean-Pierre Serre dans ce qu’il nomme son « enterrement » mathématique. Rancœur discrète, mêlée au respect pour l’œuvre de cet aîné qui s’est efforcé de le maintenir dans le sérail. Grothendieck, en tout cas, ne reviendra plus dans les hautes sphères parisiennes et se contentera, dès 1973, d’un poste « alimentaire » de professeur en province, à l’université de Montpellier. Jean-Pierre Serre, de son côté, n’est pas plus rancunier. Seulement perplexe. Mais son étonnement en dit long. Dans un entretien filmé avec Alain Connes, une autre pointure du monde mathématique, bourbakiste également, le savant du Collège de France revient sur la rupture avec Grothendieck. Serre se souvient de l’attitude du fondateur de Survivre, qui propose à ses pairs un cours d’écologie, le problème majeur de l’époque selon lui. L’argument tombe, implacable : un problème, on le résout. Si on ne peut le résoudre, eh bien on en parle... au café du commerce. Une nouvelle fois, on condamne aux vains bavardages ceux qui ne peuvent exciper d’une position d’expert. « Il jouait un assez vilain jeu. Il ne voulait plus faire de maths, mais il voulait bien être payé, avoir un poste. Quand même, pour quelqu’un qui en principe était si rigoureux... », expose Serre. « La deuxième année, il nous a donné un truc d’écologie […], il ne devait pas y avoir grand monde à ce cours […] » ; Connes, incrédule et hilare : « Ah ! c’était un cours d’écologie, alors » ; Serre : « Oui, enfin de Survivre, enfin de trucs, les bons sentiments de Grothendieck, quoi, c’était ça. Tu imagines, après un truc pareil, on n’avait pas du tout envie de le renouveler [12] ».

Perplexité redoublée pour qui écoute cet entretien avec la médaille Fields 1954 tout en ayant lu les contributions de Grothendieck dans Survivre. En dehors de leur domaine de spécialisation, que seule une poignée de savants est en mesure de maîtriser, les scientifiques les plus éminents tombent souvent très en-dessous de leur niveau d’exigence intellectuelle. Dès lors, l’écologie radicale d’un Grothendieck, en 2018 comme en 1971, n’est qu’un « truc ». Au pire le discours d’un fou, au mieux des bons sentiments. On lira avec plus de profits le texte majeur de Survivre… et vivre – « La Nouvelle Église universelle » –, qui démonte en quatre pages les mythes du scientisme : 1) seul ce qui peut être formalisé ou exprimé quantitativement, et répété sous conditions de laboratoire, peut accéder au rang de connaissance (exit le sensible, l’expérience vécue, l’imprévisible de la vie vivante) ; 2) la vérité est identique à la connaissance scientifique ; 3) la nature est réductible à une combinaison d’atomes et de molécules décrite selon les lois mathématiques de la physique élémentaire (d’où le corps-machine, la pensée-machine, la société-machine et le triomphe des neurosciences) ; 4) la connaissance doit être scindée en spécialités étanches. Pour toute question appartenant à un domaine donné, seul l’expert du domaine est habilité à fournir une réponse pertinente ; 5) seules la science et la technologie peuvent résoudre les problèmes humains ; 6) ainsi, seuls les experts sont qualifiés pour prendre part aux décisions. Si le sujet est complexe et les experts nombreux, la décision est renvoyée à l’autorité suprême de « l’expert ès décisions ». Tel devrait être le vadémécum de tout anti-industrialiste conséquent. Chacun est désormais en mesure de juger sur pièces, après l’accélération pandémique, s’il ne s’agit que de « trucs » à discutailler au café.

Grothendieck a été cette fulgurance dans le bouillonnement écologiste du début des années 1970, avant que n’arrivent les récupérateurs et fossoyeurs (Le Nouvel Observateur, Edgar Morin, Brice Lalonde, Les Verts, etc., jusqu’à Sandrine Rousseau et Yannick Jadot). Au moment de continuer paisiblement sa carrière à Montpellier, en limitant ses recherches au cadre de son enseignement, il laisse notamment à Denis Guedj le soin de poursuivre l’édition de Survivre...et vivre, qui meurt au début de 1975. Guedj devient chroniqueur scientifique pour le journal Libération et auteur à succès de romans de vulgarisation mathématique (Le Théorème du perroquet, 1998). En 1973, Pierre Samuel rejoint le groupe des Amis de la Terre, moins radical que Survivre. Jean-Paul Malrieu prophétise en 1972 l’avènement d’une société « super-intégrée, une société du spectacle et du super-contrôle au nom de la survie collective et individuelle, de l’écologie et de la santé. Bref, le fascisme écologique et sanitaire [13] ». Il poursuit ses activités au CNRS tout en publiant en 2009 l’essai Dans le poing du marché : sortir de l’emprise libérale. Ségolène Aboulker-Aymé poursuit également sa carrière de médecin généticienne et épidémiologiste à l’Inserm.

On le constate, Grothendieck est d’une autre lignée. Un indomptable anarchiste ou bien le stéréotype du génie, lui dont les aspirations solitaires rappellent celles d’un autre mathématicien anti-industriel, Theodore Kaczynski. Peut-être encore l’enfant singulier qui va où sa créativité sans bornes le mène, quand les autres apprennent ce qu’ils doivent connaître pour faire carrière dans les institutions. Les années 1980 laissent le manuscrit-fleuve de Récoltes et semailles, qui parle souvent de mathématiques à un niveau bien trop élevé pour que nous puissions en dire quelque chose d’intéressant ici. Puis vient le temps de la retraite professionnelle et de la tentation érémitique, à Lasserre, un petit village des Pyrénées, jusqu’à sa mort en 2014. Avec Survivre...et vivre, en une dizaine de textes impeccables, Grothendieck a placé la barre si haut qu’on se lamente de devoir sans cesse recommencer, tant le scientisme et la technocratie ont la vie dure. Mais il faut en parler et le lire d’urgence. Car ce trésor, du moins, ne s’adresse pas aux experts, mais à la seule autorité de l’intelligence.

Renaud GARCIA [14]
Automne 2021

Lectures :

• L’excellent site « Archives autonomies » a mis ligne, en rubrique « écologie radicale », tous les numéros de Survivre, puis de Survivre... et vivre, en fac-similés. Certains articles, dont ceux de Grothendieck, y sont consultables et imprimables au format PDF.

• L’ouvrage Récoltes et semailles est disponible en ligne sur le « site du Laboratoire d’informatique de Paris-13 »


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