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Le trotskisme a-t-il encore un passé ?
Article mis en ligne le 7 octobre 2024
dernière modification le 4 octobre 2024

par F.G.


« Il y a des éléments courageux qui n’aiment pas aller dans le sens du courant : c’est leur caractère. Il y a des gens intelligents qui ont mauvais caractère, n’ont jamais été disciplinés et ont toujours cherché une tendance plus radicale ou plus indépendante : ils ont trouvé la nôtre. Mais les uns et les autres sont toujours plus ou moins des outsiders, à l’écart du courant général du mouvement ouvrier. Leur grande valeur a évidemment son côté négatif, car celui qui nage contre le courant ne peut pas être lié aux masses. » (Léon Trotski, avril 1939.)


■ Laurent MAUDUIT et Denis SIEFFERT
TROTSKISME, HISTOIRES SECRÈTES
DE LAMBERT À MÉLENCHON

Les Petits Matins, 2024, 464 p.


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Ce livre de Laurent Mauduit, cofondateur de Mediapart, et Denis Sieffert, ancien directeur de Politis, met en lumière un courant politique, peu connu du grand public, au sein duquel les auteurs ont évolué jusqu’au début des années 1980 et que l’on désigne sous le nom de « lambertisme », dérivé de Pierre Boussel dit Lambert (1920-2008) son principal dirigeant. Mêlant témoignages et enquête, cet ouvrage, paru quelques mois avant la séquence électorale de cette année, s’inscrit dans les débats de la gauche française à l’heure de la prééminence – certes relative – de La France insoumise (LFI) et de son chef charismatique, Jean-Luc Mélenchon, lui-même militant lambertiste entre 1972 et 1976 à Besançon, passé ensuite au Parti socialiste (PS) de François Mitterrand qu’il quitte en 2008 pour fonder le Parti de gauche suivant le modèle de Die Linke en Allemagne.

Comme l’indique la quatrième de couverture, cet ouvrage écrit à quatre mains propose de donner « des clés pour comprendre la crise que traverse la gauche aujourd’hui », et plus spécifiquement celle qui déstabilise LFI, menant sans surprise à la personnalité de Jean-Luc Mélenchon qui aurait « préempté le legs lambertiste » et « reproduit culturellement les traits les plus caractéristiques de ce courant du trotskisme : un rapport problématique avec la démocratie, une hostilité envers les médias, un imaginaire géopolitique de la guerre froide ». Cette thèse, pour le moins discutable – dans la mesure où les tares mentionnées sont partagées par tant d’autres figures ou organisations de gauche –, se double d’un plaidoyer réformiste, affirmé dès l’introduction :

« Plutôt qu’une révolution qui n’a guère fait ses preuves dans notre vaste monde, sauf à entraîner des désastres et à promouvoir des dictateurs, ne faut-il pas plutôt penser à un réformisme radical, social et écologique ? Un “réformisme révolutionnaire”, comme disait Jaurès. Ne faut-il pas s’orienter vers d’autres horizons, par exemple ceux des “communs”, qui ont l’avantage de tracer des pistes allant au-delà de la propriété tout en invitant à une refondation de la démocratie ? »



Les spécialistes du mouvement ouvrier et du trotskisme n’apprendront pas grand-chose à la lecture des presque 500 pages de cette histoire racontée en négatif et où la stigmatisation de certains protagonistes – à l’instar de Jean-Christophe Cambadélis, passé du lambertisme au PS dont il deviendra Premier secrétaire – en épargne d’autres, dont les actes et les trajectoires restent pourtant sujets à caution.

Sans doute fallait-il revenir, plus de vingt ans après « l’affaire Lionel Jospin » et l’effervescence médiatique qui l’a accompagnée, sur ces héritiers singuliers de Lev Davidovitch Bronstein dit Léon Trotski(1879-1940), ce « Staline manqué », selon Willy Huhn [1]. Nous avons pu assister alors à l’apparition d’un sous-genre littéraire, avec les mémoires d’ex-lambertistes comme Patrick Gofman, Cœur-de-cuir (Flammarion, 1998) ; Philippe Campinchi, Les Lambertistes (Balland, 2000) ; Benjamin Stora, La Dernière Génération d’Octobre (Stock, 2003) ; Boris Fraenkel, Profession : révolutionnaire (Le Bord de l’eau, 2004) ; Michel Lequenne, Le Trotskisme, une histoire sans fard (Syllepse, 2005)… Depuis, à l’exception de la thèse de Jean Henztgen – soutenue en 2019 sous le titre Du trotskisme à la social-démocratie : le courant lambertiste en France jusqu’en 1963] –, rares sont les travaux ayant pris pour objet cette famille atypique dont les vicissitudes éclairent des pans de la vie politique, non seulement dans sa périphérie mais aussi en son centre, par-delà le clivage réforme/révolution.

Le premier chapitre de Trotskisme, histoires secrètes survole « l’âge d’or » de ce courant souvent réduit à l’une de ses nombreuses appellations, l’Organisation communiste internationaliste, ou, plus simplement, à son sigle – l’OCI –, en vigueur entre 1965 et 1981, dont le legs est aujourd’hui disputé par les membres du Parti ouvrier indépendant et ceux du Parti des travailleurs. Cette matrice commune, dont l’origine prend sa source dans l’Opposition de gauche du Parti communiste de l’Union soviétique, reste marquée, dans le contexte français, par la scission du Parti communiste internationaliste, survenue en 1952 et conduisant à l’existence de deux organisations que l’on distinguera par le nom de leur organe : La Vérité pour le groupe (majoritaire) de Pierre Lambert, autour de 150 militants, et La Vérité des Travailleurs pour celui (minoritaire) mené par Pierre Frank (1905-1986), environ 50 militants, avec l’appui du Secrétariat international de la IVe Internationale animé par Mikhalis Raptis dit Pablo (1911-1996).

Dans le contexte de la guerre froide et à la veille d’une hypothétique troisième conflagration mondiale, ce dernier préconise le 14 janvier 1952 « l’entrisme sui generis par rapport aux organisations et ouvriers influencés par les staliniens ». Il s’agissait donc pour les trotskistes d’entrer discrètement dans le Parti communiste français (PCF) et d’accompagner le « gauchissement » du principal pôle d’attraction ouvrière – entre 200 000 et 300 000 adhérents –, afin de favoriser la construction du « parti mondial de la révolution socialiste ». Cette orientation est appuyée par les militants qui entourent Pierre Frank mais combattue par les militants regroupés autour de Pierre Lambert – engagés dans le soutien à la Yougoslavie de Tito et une alliance avec des réformistes de Force ouvrière autour du journal L’Unité. Toujours est-il que les uns et les autres cultivent une même admiration pour le chef de l’Armée rouge – responsable de la sanglante répression des marins de Kronstadt en 1921 – et partagent une même base théorique, condensée dans Le Programme de transition, datant de 1938 et définissant l’Union soviétique comme un « État ouvrier dégénéré » plutôt que comme un capitalisme d’État.

Trotskisme, histoires secrètes traite notamment des liens entre lambertisme et social-démocratie, à travers les chapitres consacrés à la figure de proue de ce courant ou à l’entrisme, ce qui nous amène à explorer tant la période de l’entre-deux-guerres que la seconde moitié du XXe siècle. En effet, la notice biographique de Pierre Lambert pour « le Maitron » rédigée par Pierre Broué (1926-2005) – un « ex », lui aussi – nous renseigne sur le caractère sinueux de cette relation :

« Il n’avait pas quinze ans quand il adhéra aux Jeunesses communistes de Montreuil et guère plus quand il en fut exclu à cause des questions qu’il formulait sur l’abandon par le PC de ses positions antimilitaristes au lendemain du Pacte franco-soviétique. Contacté par des trotskistes, il fut convaincu de rejoindre alors l’Entente des Jeunesses socialistes de la Seine qui poursuivait, sous la direction de Fred Zeller, la défense de l’internationalisme et de l’antimilitarisme, mais ne la suivit pas quand ses dirigeants furent exclus à la conférence de Lille en juillet 1935 : il demeura donc, tout en affirmant des positions “formellement trotskistes”, dans les rangs des JS reconstituées dans la Seine par le Parti socialiste SFIO, et, dans la SFIO, adhéra à la Gauche révolutionnaire. »



Un bref rappel s’impose. La Ligue communiste, première organisation trotskiste en France, est créée en avril 1930 par des militants exclus du PCF qui diffusent l’hebdomadaire La Vérité, dont le gérant est Pierre Frank, ainsi que la revue La Lutte de classes, dirigée par Pierre Naville (1904-1993). Dans une conjoncture marquée par le 6 février 1934 et les appels au « front unique » contre les menaces du fascisme et de la guerre, les partisans de Léon Trotski, une quarantaine environ, entrent dans la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) – qui compte plus de 100 000 membres – pour y fonder, en août, le Groupe bolchevik-léniniste (GBL). Malgré la réticence initiale de certains militants, les trotskistes voient leur audience s’accroître, en particulier dans la jeunesse et en région parisienne, mais le GBL est exclu de la SFIO l’année suivante. Un nouveau cycle de scission/fusion se prolonge jusqu’à la victoire du Rassemblement populaire en 1936, suivi par la création, en juin, du Parti ouvrier internationaliste (POI) qui réunit les trotskistes autour du journal La Lutte ouvrière . À ce stade, Pierre Lambert est membre de la tendance Gauche révolutionnaire de la SFIO dirigée par Marceau Pivert (1895-1958). Il lui faut attendre quelques années pour rejoindre effectivement un groupe trotskiste comme l’indique sa notice biographique :

« En revanche, il suivit la nouvelle direction animée par Lucien Weitz quand les JS de la Seine, au lendemain de la fusillade de Clichy en avril 1937, rompirent avec la SFIO, alors au gouvernement, et devinrent les Jeunesses socialistes autonomes. […] Quand les JSA rejoignirent en juin 1938 la nouvelle formation, animée par Marceau Pivert, du Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP), elles constituèrent le noyau de son organisation de jeunesse, la JSOP. Pierre Boussel rencontra alors des militants trotskistes du PCI de Raymond Molinier et Pierre Frank, entrés individuellement dans le PSOP, et rejoignit leur groupe en décembre 1938. »



Là encore, un rappel s’impose. Les grèves avec occupation qui suivent l’avènement du Front populaire persuadent les trotskistes que « la révolution française a commencé » ; La Lutte ouvrière du 19 juin 1936 appelle les travailleurs à former des soviets partout... Cependant, Raymond Molinier (1904-1994) – créateur du Parti communiste internationaliste (PCI) en mars – est exclu en juillet d’un POI qu’il avait pourtant rejoint dans un souci d’unité. Après avoir relancé le PCI et son journal La Commune, en octobre, ses militants prennent acte, deux ans plus tard, de la « défaite ouvrière » de novembre 1938 – répression par le gouvernement d’Édouard Daladier de la grève contre les décrets-lois – et décident, en décembre, d’adhérer au PSOP. Ce nouveau parti, qui compte entre 7 000 et 8 000 adhérents, a été fondé en juin par les membres de la Gauche révolutionnaire de la SFIO réunis autour de Marceau Pivert. Ce dernier rejette la fusion entre sa jeune organisation et le POI préconisée par Léon Trotski : le « socialiste de gauche » préfère un front unique. Cela n’empêche pas une minorité du POI – contre l’avis de la direction mais avec le soutien de la IVe Internationale – de rejoindre le PSOP en février 1939. Animée par Yvan Craipeau (1911-2001) et Jean Rous (1908-1985), cette tendance, qui s’exprime dans la revue La Voie de Lénine, lancée en avril, mène un « travail fractionnel » que Marceau Pivert exhorte à cesser en juin. C’est dans ce contexte de tensions grandissantes entre les partisans de Léon Trotski et la direction pivertiste que Pierre Lambert – membre de la direction fédérale de l’organisation de jeunesse du PSOP de la Seine – est exclu, avant de militer dans le PCI clandestin pendant la Seconde Guerre mondiale.

Dans leur chapitre « Les deux entrismes », Laurent Mauduit et Denis Sieffert cherchent à opérer la distinction entre un entrisme « à drapeau déployé » – préconisé par Léon Trotski en 1934 – et un entrisme sui generis, assimilé à « un travail de “fraction” visant à placer des “sous-marins” dans des organisations ennemies ou rivales », voire à de l’« infiltration ». Or, l’histoire du mouvement trotskiste – et plus encore celle du courant lambertiste – nous apprend à quel point les deux tactiques sont indissociables mais aussi consubstantielles à cette famille politique dont la connivence avec la social-démocratie est devenue proverbiale. Ces pratiques – coûteuses humainement, stériles politiquement, sauf pour la survie de l’appareil – se reproduisent avec l’Union de la gauche socialiste ou le Parti socialiste autonome – en rupture avec la SFIO –, et, plus tard, avec le PS du congrès d’Épinay ou ses émanations.

Au sein de LFI, les lambertistes – ceux du Parti ouvrier indépendant (POI), à ne pas confondre avec le Parti des travailleurs (PT) qui, officiellement, réprouve cette orientation – constituent probablement le courant le plus structuré, en mettant leurs militants et cadres (connus ou non), leur local parisien (87, rue du Faubourg-Saint-Denis) et leur journal Informations ouvrières au service de la formation de Jean-Luc Mélenchon qui relève du réformisme, comme Jeremy Corbyn, Bernie Sanders ou Alexis Tsípras. Cette alliance au sommet s’inscrit dans le sillage des connexions susmentionnées, toutes frappées du sceau de l’opportunisme, témoignant de l’impossibilité ou plutôt du renoncement d’une poignée de bureaucrates permanents – cyniques, manipulateurs et sectaires – à construire une force révolutionnaire.

Tout le reste n’est que littérature. Sauf que nous sommes plus proches des mésaventures de Julien Sorel que des exploits de [2] ; le dogmatisme tient lieu de théorie, la démagogie de stratégie, la manipulation de tactique et la mythologie d’histoire, en usant ou abusant au passage de l’enthousiasme de jeunes gens prêts à monter à l’assaut du ciel mais qui finissent par tomber, pour leur plus grand malheur, sur les épigones d’O’Brien. Certes, pour paraphraser Sonia Combe – une « ex », elle aussi – les trotskistes ont voulu combattre le stalinisme avec les méthodes du stalinisme ; encore faut-il ajouter que cette forfaiture a été commise pour le compte de la social-démocratie et donc de la bourgeoisie. Ce qui doit aussi conduire à interroger les dimensions autoritaires, manichéennes et nationalistes de la culture politique française – à droite comme à gauche – dont le lambertisme n’est qu’un piètre avatar.

En abordant de façon superficielle la séquence de la révolution algérienne, au cours de laquelle le groupe de Pierre Lambert s’est engagé dans le soutien inconditionnel au Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj – tandis que celui de Pierre Frank a soutenu, tout aussi inconditionnellement, le Front de libération nationale (FLN) –, les auteurs reprennent quelques lieux communs, en s’appuyant surtout sur le témoignage de Michel Lequenne (1921-2020), mais passent à côté de l’essentiel.

En effet, la « guerre d’Algérie » a représenté une épreuve majeure pour la gauche française – ou plutôt un échec pour la plupart des courants qui la constituent et dont le chauvinisme n’est plus à démontrer. Le problème de l’engagement lambertiste au cours de cette période réside surtout, au même titre que les autres tendances, dans le « malentendu opératoire » occasionné par la lutte anticolonialiste car si les internationalistes de France voyaient dans l’indépendance un prélude à la révolution prolétarienne, les nationalistes algériens combattaient d’abord pour l’instauration d’un État bourgeois, tout en usant, selon les situations, d’une phraséologie qui pouvait sonner agréablement aux oreilles de leurs interlocuteurs étrangers. Cette « erreur » ne sera reconnue dans Informations ouvrières qu’après le coup d’État mené par Houari Boumedienne, le 19 juin 1965 – ; signalons que des « erreurs » analogues seront admises par leurs concurrents, quelques années plus tard, dans Quatrième Internationale.

Mais ces failles, révélées tardivement, reposaient sur la notion de « peuple-classe », empruntée aux notes d’Abraham Léon sur La Conception matérialiste de la question juive. Plaquée sur une Algérie colonisée que peu d’anticolonialistes français connaissaient véritablement, cette théorie conduisait à nier l’existence d’une bourgeoisie autochtone ou à minimiser son influence, pour mieux assimiler les colonisés – toutes classes confondues – à des prolétaires. Cette interprétation autorisait par conséquent le soutien inconditionnel des marxistes – isolés dans leur propre pays face à l’hégémonie des appareils stalinien et social-démocrate – aux partis nationalistes au nom de la lutte conjointe contre l’impérialisme, sans toutefois chercher à constituer des regroupements sur une base révolutionnaire. Là encore, il faudra attendre la brochure Quelques enseignements de notre histoire – rééditée plusieurs fois à partir de 1970 – pour que l’OCI fasse son mea culpa, même si, dans Comment le révisionnisme s’est emparé de la direction du PCI, Stéphane Just ira plus loin en accusant Pierre Lambert d’avoir réduit les militants trotskistes au simple rôle de « porteurs de valises ».

Enfin, pour en terminer avec la question algérienne – qui renvoie à des considérations plus larges –, Laurent Mauduit et Denis Sieffert restent silencieux sur un autre pan de cette histoire qui, tout en ayant Paris pour centre névralgique, n’en possède pas moins quelques ramifications par-delà l’Hexagone. Après tout, la seule succursale lambertiste ayant prospéré à l’étranger n’est-elle pas celle du Parti des travailleurs de Louisa Hanoune en Algérie ? Au prix de bien des compromissions avec le régime militaro-policier, l’Union générale des travailleurs algériens – l’ancien syndicat unique, intégré à l’État –, le Front islamique du salut, etc. Tout cela aux dépens de militants sincères mais découragés – quand ils n’ont pas été odieusement sacrifiés – par tant de revirements imposés et de collusions douteuses. Cet opportunisme, sans doute désintéressé dans un pays qui exporte ses hydrocarbures, s’est illustré par la tenue de « conférences mondiales ouvertes » à Alger – où l’on bafoue pourtant les libertés démocratiques –, en novembre 2010 comme en octobre 2017, à l’initiative de l’Entente internationale des travailleurs et des peuples. Avec la bénédiction des autorités. Cela dit, pour être tout à fait juste, il faudrait traiter de ceux qui, à gauche – et ils sont nombreux –, ont troqué la dictature du prolétariat pour celle du mercenariat.

Dans leur conclusion, les auteurs dressent le constat suivant :

« La synthèse lamberto-mélenchonienne conduit aujourd’hui à un désastre : une sympathie mal dissimulée pour les dictateurs qui viennent plus ou moins directement de l’espace post-communiste, russe, chinois ou latino-américain. Le tout justifié par un anti-américanisme qui agit de façon pavlovienne. »



Assurément, cette description, qui correspond à une vision « campiste » du monde vaut également pour d’autres tendances : elle n’est donc l’apanage ni des lambertistes ni de Jean-Luc Mélenchon, même si cette inclination a sans doute favorisé ce rapprochement décrié dans l’ouvrage, sur fond de piétinement des libertés démocratiques, de vision paranoïaque des relations internationales mais aussi de mépris – teinté de biais cognitifs, pour ne pas dire autre chose – à l’égard des espaces extra-européens. Il suffirait d’exhumer les articles d’Informations ouvrières, parus en 1978, au cours de la révolution iranienne, où l’on regarde d’un œil favorable les masses « amenées à s’appuyer sur l’attitude d’opposition adoptée par la hiérarchie religieuse » (12-19 avril). Combien d’autres sont tombés dans les mêmes travers ?

Dans la galaxie marxiste, le lambertisme n’est qu’un astre moribond – mais ô combien nocif – sur lequel il vaut mieux ne guère s’attarder afin de ne pas perdre son âme, malgré l’existence, en son sein, de « quelques personnages flamboyants » qui ne pesaient pas lourd face au règne des « combinards ». Mais l’univers révolutionnaire est bien plus vaste. Ceux qui veulent voir le monde changer de base, « les yeux vraiment ouverts », et non pas composer avec l’ordre existant, iront explorer des constellations plus stimulantes – souvent en rupture avec la tradition léniniste – et, par exemple, découvrir la galaxie libertaire qui recèle bien des trésors.

Nedjib SIDI MOUSSA


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