« À un certain moment, face aux événements publics, nous savons que nous devons refuser […]. Les hommes qui refusent et qui sont liés par la force du refus, savent qu’ils ne sont pas encore ensemble. Le temps de l’affirmation commune leur a précisément été enlevé. Ce qui leur reste, c’est l’irréductible refus, l’amitié de ce Non certain, inébranlable, rigoureux, qui les rend unis et solidaires. » Maurice Blanchot
Quiconque a arpenté la rue parisienne, plus précisément du côté de République ou de Stalingrad, au soir du second tour des législatives du 7 juillet, se souvient des visages du peuple de gauche, de ses larmes de joie à l’annonce de l’incroyable nouvelle : l’effondrement des droites « républicaines » et de la Macronie et le recul du FN-RN, que vingt-sept instituts de sondage donnaient vainqueur, et avec qui l’Élyséen dissolvant s’apprêtait à cohabiter. On précisera, par nécessité, que l’inattendue victoire du Nouveau Front populaire nous soulagea immensément, mais sans que cela implique pour autant de communier avec les illusions citoyennes qui, déjà, semblaient animer la foule. Non parce que nous aurions été plus malins qu’elle, mais parce que, par culture, nous avons appris à nous méfier des lendemains électoraux qui chantent. Et sûrs qu’il en faudrait beaucoup plus – un puissant mouvement social légitimant cette victoire dans les urnes – pour que notre avenir en commun ait quelque chance de devenir plus léger.
On ne se doutait pas alors, mais pas une seconde, que, deux mois plus tard, à l’été finissant, l’olympien Macron, sans même se préoccuper de compromettre le NFP en lui savonnant la planche de la cohabitation, comme Mitterrand le renard l’avait à Chirac, nous sorte du chapeau du « vice-président » Alexis Kolher, expert en basses œuvres élyséennes, le nom de Michel Barnier comme Premier ministre. Dire qu’il y eut surprise est peut dire, surtout pour moi qui pensait que le Barnier était déjà mort (de honte) après sa pathétique campagne de 2021 lors des primaires LR pour la présidentielle de 2022.
Michel Barnier, donc… Après tout ça, Michel Barnier, l’homme qui, à lui tout seul, incarne, costard néo-libéral compris, ce que la droite de ce pays a de plus conservateur. Le port de tête, la morgue, la suffisance, tout y est chez cet homme, plus une coupable complaisance avec les thématiques anti-immigrationnistes du FN-RN, qui, dit-on dans les gazettes, aurait assuré Macron, par la voix de sa cheftaine, qu’il ne déclencherait, dans l’immédiat, aucune motion de censure contre son gouvernement. Le reste est affaire de popote. Son directeur de cabinet, Jérôme Fournel, par exemple, est déjà impliqué dans une sale affaire d’optimisation fiscale lésant l’État au profit du Paris-Saint-Germain, et ce avec la complicité de l’inénarrable Darmanin, « Monsieur Casserolles ». Vive la République !
Donc, Barnier, bon peuple, et bientôt son gouvernement de vieilles canailles et de jeunes fripouilles, qu’on imagine connaître aussi bien que nous la partition qu’ils vont nous jouer : redressement, austérité, autorité, contrôle des flux migratoires, police partout, justice nulle part, éducation massacrée, santé publique ravagée, services publics paupérisés. Encore et toujours. Plus que jamais.
Toi qui, bon peuple, à défaut de rêver de révolution ou de têtes de rois à couper, ne voulait que l’abolition de l’infâme réforme des retraites, le SMIC à 1 600 balles, des RER qui partent et arrivent à l’heure, des trains idem, une école en état de marche pour tes mômes et une mise sous tutelle morale des racistes, on t’a niqué jusqu’à l’os ! Tel est ce monde de la caste politico-médiatique qui, peu importe ses variantes, se vautre quotidiennement dans l’obscène en s’asseyant sur les règles communément admises d’une démocratie parlementaire. Car c’est Macron qui a dissous quand personne ne lui demandait rien, et ce sont ses affidés du chaque fois plus crétinisant PAF qui, aujourd’hui, le présentent encore comme un stratège de génie quand il s’assoit sur la volonté majoritaire en procédant à un coup d’État institutionnel. Et ce, sans qu’aucun rentier du Conseil constitutionnel ou du Conseil d’État ne songe à lui dire que sa combinazione relève de l’infamie politique.
Le problème avec Macron, c’est que rien ne l’atteint au point de le faire vaciller dans ses coups fourrés. Ainsi, tout l’été, il a fait son théâtre, olympique et olympien, en consultant, mais tout cela relevait de la farce, de l’occupation de terrain, de l’obstruction démocratique. Le coup était joué d’avance dans sa petite caboche d’enfant-Roi. La Castets, on la dégage. Au bout du bout, la ligne était décidée : tout sauf le NFP, c’est-à-dire le vainqueur, le seul relativement majoritaire. Qu’à terme rien ne marche vraiment de ses entourloupes, il s’en fout. Pour l’instant, le dispositif médiatique fonctionnant à plein en sa faveur, il s’imagine que ça passera. Et ça peut passer, par lassitude, par repli, par paresse. On connaît ce phénomène et Macron aussi. Le moment raté fut celui des Gilets jaunes, ce mouvement apartidaire spontané qui portait en lui toutes les revendications essentielles. Sur la vie chère, sur la précarité, sur la réinvention démocratique. Là, et là seulement, la Macronie a senti le souffle du canon. Au point de prévoir son exfiltration vers un quelconque paradis fiscal où il aurait embauché chez BlackRock. Et, si ça n’a pas marché, c’est que, à quelques exceptions près, la gauche institutionnelle et syndicale, ses « élites » intellectuelles et le gauchisme de secte ont finalement trouvé que le peuple puait trop des pieds pour qu’on le suive dans ses aventures quand, par exemple, un charriot élévateur percuta jusqu’à le défoncer le portail d’entrée de l’hôtel de Rothelin-Charolais, siège du teigneux, mais péteux, porte-parole du gouvernement Macron 1, Benjamin Griveaux, qui s’enfuit en courant [1]. La question du « que faire ? », les Gilets jaunes l’avaient tranchée. Rentrer dans le lard des oppresseurs, sans vaciller et dans la joie. Il leur manqua – et comment ! – des forces d’appoint, mais ils sauvèrent l’honneur. Et pour longtemps. On ne le dira jamais assez. Car depuis cette levée en masse du petit peuple des villes et des campagnes, personne n’a fait mieux dans l’insubordination, puis dans l’insoumission sans logo. Si elles se sont colorées de jaune colère, toutes les luttes de masse, sous contrôle syndical ou politique de l’après-Gilets jaunes, ont fini par céder devant l’entêtement du pouvoir macronien et de sa police. <br/
Qu’on ne se trompe pas, cela dit. Il ne s’agit pas ici de verser dans la nostalgie d’un combat perdu – d’ailleurs, est-il vraiment perdu dans les mémoires de celles et ceux qui s’y sont engagés corps et âme ? Il est question de prendre la mesure de la majuscule offense que, en toute autosatisfaction et sans que rien ne bouge vraiment, Macron vient de nous faire. Cet inacceptable est inacceptable, car l’admettre serait céder sans broncher à une déclaration de guerre civile ouverte. Une guerre civile contre tous ceux, électoralistes ou anti-électoralistes, qui, d’une manière ou d’une autre, de près ou de loin, font obstacle au néo-libéralisme. Une guerre civile contre le peuple. Une guerre dont le Capital ne se déclarera vainqueur que, lorsque les damnés de la terre de toutes sortes auront capitulé face à toutes ses lois. Autrement dit, quand, après 64 ans, les retraités accepteront de passer à 67, puis à 70 ans ; quand les chômeurs low-costs d’aujourd’hui, se contenteront d’une aumône ; quand les milices armées en auront fini, dans un État policier parfait, avec les sécessions, les révoltes, les ZAD et les soulèvements de la terre et des usines ; quand les sans-dents n’auront plus à croquer que leur chagrin ; quand le FN-RN, la jambe de secours du néo-libéralisme le plus sauvage, sa variante pinochétienne, aura fait main basse sur un peuple désespéré d’avoir tout perdu sauf la triste gloire d’être devenu raciste.
Du TINA de la fille d’épicier et de couturière de Grantham – devenue baronne pour services rendus comme fossoyeuse des conquis de la classe ouvrière anglaise – au « en même temps » du théâtreux d’Amiens – devenu deux fois président de la République parce qu’un mandat ne lui suffisait pas pour marquer suffisamment le pays du sceau de ses infamies –, c’est la même guerre civile contre le peuple qui se rejoue. En pire, peut-être, car cet homme est le produit sans nom d’une hybridation presque parfaite entre la perfidie et l’idée fixe : soigner ses amis du CAC 40 et maltraiter tous les autres. Nous, donc, quelques que nous soyons et d’où que nous venions, à qui il crache à la gueule, et de la plus insultante manière : « J’ai gagné puisque j’ai compris que vous aviez perdu. » Enfoiré, va !
Ce qui s’annonce, désormais, devant nos yeux ébahis et nos estomacs retournés par une telle insolence, c’est un bras de fer entre la folie destructrice d’un seul homme, arrimé aux forces du Capital, et la raison passionnée qui nous anime de le pousser à se démettre. Il faut donc, de toute urgence, que, de partout et de nulle part, nous refassions nôtre, sous sa forme originelle ou une autre, ce cri de guerre sociale des Gilets jaunes : « Emmanuel Macron, oh tête de con, on vient te chercher chez toi ! » Car l’heure est bien à la « destitution », celle-là même que réclame, à juste titre, la bande à Méluche, mais qui ne passera pas par la voie institutionnelle. Il faudra pousser, et pousser fort dans la rue. Une fois encore, mais ce coup-ci sans céder aux atermoiements divers et variés qui viendront, sans doute, de notre « propre camp » qui déjà pense à 2027.
Nous sommes, j’en suis convaincu, ces hommes et ces femmes du refus, dont parlait, revenu de ses erreurs de jeunesse [2], Maurice Blanchot en 1958. Nous nous savons, nous aussi, liés par la force de notre refus même si nous ne sommes pas encore ensemble puisque tout est fait pour nous séparer, mais ce « non » qui nous anime doit être irréductible, certain, inébranlable, rigoureux et solidaire.
Car cette bataille qu’il faut mener contre l’Infâme sera dure.
Freddy GOMEZ