1869. Le Second Empire est déclinant. En juin, une grève commence dans le bassin houiller de Saint-Etienne ; elle se termine par une sanglante fusillade.
La grève débute à Firminy, puis s’étend dès le lendemain aux autres agglomérations minières : La Ricamarie, Rive-de-Gier, Villars, etc. Elle s’est déclenchée spontanément, sans mot d’ordre venu de l’extérieur quoique certains journaux aient accusé rétrospectivement I’lnternationale. Une seule organisation ouvrière a joué un rôle d’encadrement : la « Caisse fraternelle des ouvriers mineurs », société de secours mutuel qui, en I ’absence de syndicats (interdits), était devenue de fait le syndicat des mineurs.
Les principales revendications sont :
– une centralisation de l’administration des caisses de secours pour en permettre le contrôle et éviter des variations locales de tarifs ;
– une augmentation et une uniformisation des salaires dans tout le bassin ;
– la journée de huit heures, ou au moins une réduction sensible des heures de travail : la durée de présence à la mine était alors de onze à treize heures. Les mineurs, surtout I’hiver, descendaient et remontaient à la nuit.
Rapidement, des incidents éclatent avec la troupe qui garde les installations lorsque les grévistes veulent arrêter entièrement la production et le transport du charbon. Malgré des charges à la baïonnette, des piquets de grève sont installés et les « jaunes » ne peuvent travailler.
L’atmosphère est de plus en plus tendue et, le 13 juin, une manifestation aux mines de La Béraudière, à La Ricamarie, faillit se terminer tragiquement. Une centaine de manifestants sont chassés par la troupe vers 21 h, mais plus de 1 000 grévistes reviennent plus tard. La troupe ne peut plus contenir la foule et les sommations d’usage sont faites. La fusillade n’est évitée qu’au dernier moment par l’arrivée de renforts.
Le 16 juin la situation s’aggrave encore. Les usines Holtzer d’Unieux envoient une équipe pour charger un stock de charbon au puits de I’Ondaine, à Montrambert. Les grévistes empêchent le chargement et, au moment de la relève des trois compagnies de la 4e d’infanterie par trois compagnies de la 17e, les manifestants sont pris entre les deux détachements. Une quarantaine d’entre eux sont capturés. Le capitaine Gausseraud prend alors sur lui de les emmener à pied à Saint-Etienne, mais sans passer par La Ricamarie pour éviter des incidents.
La colonne est formée de 40 prisonniers gardés par 200 soldats et d’un groupe de manifestants. Le cortège arrive au hameau du Bois-Brûlé par un chemin creux. La passerelle qui I’enjambe est couverte d’une foule de gens de La Ricamarie qui avaient appris la nouvelle. Que se passa-t-il ? Le capitaine Gausseraud déclara par la suite que des grévistes descendirent le talus pour arrêter la colonne, que d’autres délivrèrent quelques prisonniers et que, sur la passerelle, certains menacèrent les soldats avec de grosses pierres. La fusillade eut lieu, sans aucune sommation, et I’enquête ne put déterminer qui en avait donné I’ordre. Profitant du trouble qui suivit, le capitaine pressa la troupe et continua sa route sans s’occuper des morts et des blessés.
Par terre restaient allongés treize morts et de nombreux blessés graves dont un mourra par la suite. Parmi les morts, une femme et une fillette de onze mois tuée dans les bras de sa mère blessée.
L’impératrice Eugénie qui un peu plus tard demandait au comte de Palikao son avis au sujet d’une campagne de presse visant à faire attribuer une dot à Eugénie Petit, sept ans, grièvement blessée de deux balles et d’un coup de baïonnette, reçut cette réponse : « Venir en aide à des familles qui n’ont pas craint d’employer I’outrage et la calomnie contre de braves soldats qui n’ont fait que leur devoir, serait le plus fâcheux exemple aux yeux de cette mauvaise population de Saint-Étienne ; ce serait un blâme jeté sur l’armée et ce serait dangereux pour I’avenir. »
Napoléon III, soucieux de calmer les esprits, amnistia les 90 personnes arrêtées lors de la répression qui avait suivi la fusillade. Mais, par ailleurs, il fit nommer Gausseraud chevalier de la Légion d’honneur.
Brigitte LAURENÇON
Le Peuple français, n° 2, avril-juin 1971, pp. 10-11*.