« Les services de l’État estiment que 18,4 millions de Français
(plus d’un quart de la population) habitent dans une zone
exposée à des inondations d’ampleur exceptionnelle. »
Ouest-France, 24 novembre 2023.
Souvenez-vous. C’était hier. Les plus tonitruands de nos « premiers de cordée » se bidonnaient en chœur… Le dérèglement climatique ? Une grosse fable ! Les scientifiques sonneurs d’alerte ? Des charlatans ! On veut bien faire une COP, ou 28 clopinettes, pour calmer vos inquiétudes, mais n’attendez pas que ça soit autre chose que de la poudre aux yeux. On ne va tout même pas freiner notre très lucratif saccage de la planète parce que le déluge ne s’est pas plié à notre souhait cynique qu’il passe après nous. D’ailleurs, vous-mêmes avez tout à gagner à notre détermination : plus nous entasserons de pognon et plus une portion en redescendra vers vous, par ruissellement.
Eh ! bien, voilà, Le ruissellement est là, mais il n’a pas du tout l’allure promise. Venant après une canicule dévastatrice et une multitude d’incendies, de tempêtes, de tornades et autres joyeusetés, les inondations « records » de ces dernières semaines confirment que la nature, détraquée par les morsures de ses saigneurs, se fâche, et que ceux qui annonçaient cette colère depuis cinquante ans étaient loin d’être les pitres allègrement moqués dans les lucarnes à mensonges. Ce n’est plus seulement le relatif « confort » carcéral des locataires de la tanière marchande qui se déglingue. Ce n’est pas seulement qu’ils doivent ramer toujours plus péniblement dans leurs galères quotidiennes, s’épuiser comme rouages de la machine à sous, subir humiliations et truanderies, coups et blessures, misères et guerres. À toutes ces exactions s’est ajouté un attentat contre les bases mêmes de la vie. En dévorant sans retenue les ressources permettant de subsister sur cette planète, et en lui déchirant la peau et les entrailles, l’ogre capitaliste entraîne l’humanité dans une ruée suicidaire vers une fin cataclysmique.
Voir sa maison bousillée par les inondations ne donne qu’un avant-goût très bénin de ce que promet cette razzia. Il n’y aura pas d’éponge assez grosse pour effacer tous les dégâts à venir, et bien du monde va boire la tasse. Car il ne faut pas espérer qu’ils se mouillent beaucoup les plombiers fous qui ont ouvert les robinets en grand. La maison coule mais ils regardent toujours vers leurs tiroirs-caisses. Ce n’est pas qu’ils sont « aveugles » comme leur reprochent les naïfs voulant encore croire que, s’ils ont tant magouillé pour prendre le pouvoir, ce serait pour servir le « public ». C’est tout simplement que, conducteurs du rouleau compresseur qui assure leurs sinécures, ils ne peuvent imaginer d’en arrêter le moteur alors même qu’il s’emballe. Ne pensant qu’à sauver leur moissonneuse à picaillons, ils ne cessent de multiplier les mesures accentuant le mal au prétexte de le guérir, recourant à la peste pour combattre le choléra. Il n’y a pas de quoi s’en étonner : on a rarement vu des naufrageurs fournir à leurs victimes des canots de survie, et moins encore construire des phares.
Au contraire, quand la terre se soulève, ils ne songent qu’à l’emprisonner, dissoudre les tentatives de stopper le massacre. Comme si menottes, matraques, fusils et cachots pouvaient arrêter durablement les flots tempétueux de la nature, et ceux – encore plus agités – de la nature humaine ! Les arrogants marquis « républicains » qui jouent les pères fouettards s’illusionnent sur leur capacité à sauver par la police leur emprise sur ceux qu’ils n’arrivent plus à domestiquer par la tromperie. Comme tous les despotes de tous les temps voyant leur pouvoir s’effriter, ils pourront bien faire fouetter les vagues. Ils ne pourront les soumettre, pas plus que les colères qu’elles provoquent. Certes ils pourront forcer à écoper bien des soutiers mutins de leur croisière, mais ils ne pourront empêcher que les mutineries progressent. Car s’il est possible de dompter momentanément les sursauts de la dignité bafouée ; s’il est possible de confiner les épidémies de jaunisse rebelle, il en va autrement quand c’est la survie qui est en jeu. Là, les pulsions se déchaînent pour le meilleur ou le pire. Se repose alors, de manière plus aiguë, le dilemme qui s’est posé à d’autres moments de l’Histoire : on fait une révolution ou on sombre dans la barbarie ?
Il est évident que, pour sortir du merdier, il est idiot de compter sur les moyens qui y ont plongé le monde. Le baratin rassurant des idolâtres de la science totalement embrigadée par les Attila régnants ne peut que faire plouf ! Les apprentis sorciers vaquant à sa tambouille ne produiront jamais que des rustines pour une « civilisation » baudruche qui prend l’eau de toutes parts. Si des scientifiques veulent pouvoir faire plus que des constats et des pronostics sur l’échéance de l’apocalypse il faut qu’ils rejoignent le camp de ceux qui, parmi eux, désertent les laboratoires de cette science-là pour mettre leurs compétences au service d’un changement radical.
Car ça saute aux regards sans écrans : ce Moloch dévorant le monde n’est pas réformable, et c’est de l’énergie gâchée que de vouloir lui rogner les crocs. Pour éviter de se noyer dans la fosse d’aisance dans laquelle elle patauge de plus en plus péniblement, l’humanité ne peut s’épargner d’avoir à en sortir. Pour cela il lui faudra bien démolir tout ce qui l’y maintient engoncée et « refuser d’obtempérer » aux diktats des gardiens du purin.
Malgré leur gluant baratin antisystème, ce ne sont évidemment pas les candidats führers qui assureront la sécurité par laquelle ils essaient de séduire les désemparés voyant leurs pantoufles partir à l’égout. Ces envahissants démagogues guettant l’occasion de lâcher le masque « démocrate » pour devenir franchement califes absolus, ne proposent en réalité rien d’autre que de précipiter le durcissement du système dont ils se prétendent les guérisseurs. Surfant sur le désarroi et attisant les peurs des sinistrés de ce système, dont ils se gardent bien de définir la nature, ils racolent en déviant les griefs et en excitant la haine contre ces damnés de la terre qui, en s’aventurant à venir gratter « chez nous » quelques miettes de malbouffe pour survivre, se noient autrement que le retraité piégé par la montée des eaux, mais à cause de la même déraison.
Quel que soit leur amour de leur terroir, les arnaqués qui sont nés quelque part auraient tort de compter sur les croisades « identitaires » pour aboutir à leur retour rêvé à la paix pavillonnaire. Les défilés de coqs au pas de l’oie, l’Histoire a montré où ça mène. Les gros bras bas du front font de méchantes nounous. Les guerres qu’ils ont menées hier comme celles qui déchirent le globe aujourd’hui le confirment : les torrents de cruauté ne débouchent pas sur le lac de la sérénité.
Pour que l’humanité sorte de l’engrenage destructeur, il lui faut renouer avec la belle ambition de ses ancêtres, ceux qui avaient compris qu’ils ne pourraient avoir une vie meilleure sans bâtir une autre société, construite sur une autre conception des rapports humains que celle des « valeurs » cannibales du despotisme capitaliste. L’humanité ne pourra poser les fondations d’une vie sécurisée sans qu’elles soient celles d’un heureux séjour sur terre pour tous les humains, celles d’une vie la plus épanouie possible. Ça implique que les humains actuellement réduits à l’état de pions du système toxique reprennent leur souveraineté sur les décisions qui conditionnent leur vie ; redeviennent de vrais citoyens par la pratique d’une authentique démocratie délivrée de la confiscation parlementaire et des chefs en tous genres. Seule une collectivité d’individus reprenant ensemble, sans dieu ni maître, le gouvernail du vaisseau qui porte leur vie pourra le tirer hors de la tempête et mettre le cap sur de meilleurs horizons. Éviter les inondations ça commence par reprendre le contrôle des robinets. C’est plus compliqué et ça demande plus d’efforts que de jouer de la serpillière mais, quitte à devoir se mouiller, autant que ce ne soit pas pour juste surnager jusqu’à la prochaine submersion, mais plutôt pour nager à larges brasses dans le plaisir de faire pleinement sa vie.
GÉDICUS