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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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À contretemps, n° 36, janvier 2010
Article mis en ligne le 2 janvier 2011
dernière modification le 21 mars 2015

par F.G.

À la suite de la recension du livre Quel autre monde possible ? Retour sur le projet communiste – signée Alice Faro et publiée dans le n° 33 (janvier 2009) de notre bulletin (pp. 21-22) sous le titre « Pour une nouvelle conspiration des Égaux » –, nous avons reçu un courrier de Claude Bitot insistant sur deux points :



1.– Donner pour titre à cette recension de mon livre « Pour une nouvelle conspiration des Égaux », c’est là déformer le contenu de celui-ci : c’est laisser entendre qu’il se serait donné pour but de remettre à l’honneur le babouvisme en tant qu’organisation politique « conspirative », alors qu’il n’en est rien. Si j’ai parlé du babouvisme, c’est parce que j’ai trouvé intéressant son rapport avec le machinisme et les besoins, cela entrant tout à fait dans ce qui est le véritable objet de ce livre : la critique de la vision industrialiste, productiviste et abondanciste du communisme, partagée aussi bien par Marx que par nombre d’anarchistes, dont, je signe et persiste, Kropotkine, fervent admirateur de la société industrielle américaine (les citations de Kropotkine que j’ai faites dans ce livre sont à elles seules suffisamment éloquentes pour s’en convaincre), comme Marx l’avait été de la société industrielle anglaise quelque temps auparavant. Quant à ce qui serait le « versant noir » du babouvisme, si je n’en ai pas parlé c’est tout simplement parce que cela n’entrait pas dans la matière de ce livre. Je peux cependant en dire deux mots : je considère comme erronée et dépassée sa conception conspirative et avant-gardiste de la révolution. Mais s’il fallait en parler plus longuement, il faudrait alors parler également du « versant noir » de l’anarchisme, qui n’avait rien à envier à celui du babouvisme : ainsi Bakounine et son « Organisation secrète révolutionnaire des frères internationaux », sorte d’état-major de la révolution composé de « cent révolutionnaires fortement et sérieusement alliés » qui suffiront pour faire exploser, en Europe, la marmite sociale ; Malatesta et ses tentatives de « coups de main » en Italie dans les années 1870, cela faisant partie des méthodes de la « propagande par le fait » ; le groupe Nosotros et ensuite des Solidarios en Espagne, avec Durruti, Ascaso, Oliver et d’autres, doublant non seulement la CNT mais aussi la FAI, en organisant des attentats et aussi, au début des années 1930, en tentant de mettre sur pied des insurrections. Si tout cela n’est pas de « l’avant-gardisme », c’est quoi d’autre ! Signalons, au passage, que toutes ces tentatives – ainsi que celles des babouvistes et des blanquistes, d’ailleurs – n’avaient rien de méprisables, celles-ci ne faisant que témoigner de l’échec du mouvement révolutionnaire passé.

2.– « On doute que l’austère perspective communiste que trace Claude Bitot dans cet essai ait la moindre chance de susciter l’adhésion enthousiaste des masses », écrit Alice Faro. Assommante cette manie de convoquer, comme elle le fait, les masses actuelles – quant à celles du futur, personne n’est pour l’heure en mesure de dire ce que sera leur réaction – pour les faire juges de mon essai – encore faudrait-il qu’elles le lisent au lieu de regarder des émissions de télé-réalité –, alors qu’en dehors du ballon rond on ne voit guère autre chose qui pourrait les enflammer, intoxiquées qu’elles sont par l’industrie du divertissement que le capitalisme de la modernité s’est chargé de mettre en scène. En fait de « masses », c’est à Alice Faro, comme son appréciation très mitigée de mon livre le laisse voir, que [cette perspective] ne plaît pas. C’est son droit. Mais je trouve déplacé qu’on éprouve le besoin de se couvrir « des masses », faisant comme si elles étaient avec nous en parlant en leur nom – vieille méthode gauchiste militante –, chaque fois qu’on exprime un désaccord avec un texte. C’est tout.



Sur ces deux points, Alice Faro tient à préciser :

Nul ne saurait contester que le scientisme de Kropotkine fut aussi constant que son déterminisme. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les appréciations de Malatesta publiées dans ce même numéro. Quant aux citations de Kropotkine retenues par Claude Bitot, elles sont évidemment destinées à nourrir sa conviction qui voudrait que l’anarchisme « se rattache au rationalisme bourgeois du XVIIIe siècle, matérialiste et utilitariste ». Nous avons simplement signalé que, citations à l’appui ou pas, cette disqualification s’inscrivait dans une longue tradition marxiste dont il ne suffit pas de dire qu’on l’a abandonnée pour s’en être tout à fait dépris. La preuve, les anciens réflexes demeurent. Invariance, quand tu nous tiens…

Qu’il existe un « versant noir » de l’anarchisme, nous le contestons d’autant moins qu’il nous arrive assez souvent, nos lecteurs s’en seront aperçus, de l’explorer sans ambages pour y porter un regard critique. Cela dit, Claude Bitot nous excusera de ne pas mettre sur le même plan, d’une part, les dérives blanquistes, puis léninistes, du babouvisme – la dictature de la minorité, pour faire court – et, d’autre part, les romantiques penchants conspiratifs de Bakounine – plus pitoyables que dangereux –, les aventures de la « bande du Matese » – plus folkloriques qu’avant-gardistes –, les faits d’armes des groupes Solidarios, puis Nosotros – dans l’ordre, car il faut de la rigueur historique en toute chose – et ladite « gymnastique révolutionnaire » pratiquée, en terre d’Espagne, au cours des années 1930, par les anarcho-syndicalistes. Quelle que soit l’appréciation qu’on puisse porter sur ces méthodes, c’est prendre des vessies pour des lanternes que de confondre la technique du coup d’État lénino-blanquiste et la pratique du coup d’éclat libertaire. Quant à prétendre que les « insurrectionnalistes » des groupes précités doublaient « non seulement la CNT, mais aussi la FAI », c’est faire bien peu de cas de la spécificité de l’anarcho-syndicalisme espagnol et de sa complexe dialectique. Sur ce point, Claude Bitot devrait relire plus attentivement l’entretien de Juan García Oliver, publié dans le numéro 17 – juillet 2004 – de notre revue.

Quant à notre allusion aux « masses », il fallait n’y voir, bien sûr, qu’un clin d’œil au fétichisme dont ont toujours fait preuve, à leur endroit, les différents acteurs marxistes du « projet communiste ». Le fait que Claude Bitot n’ait pas perçu cette pointe d’ironie prouve simplement qu’il n’a pas le sens de l’humour, ce qui, soit dit en passant, explique aussi beaucoup du fait que sa si austère perspective communiste n’ait rien d’enthousiasmant.